Attention, Sarko débarque !

Au lendemain de l’adoption par le Parlement français d’une nouvelle loi – très contestée – sur l’immigration, la visite à Bamako et à Cotonou du ministre français de l’Intérieur a suscité quelques turbulences.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

« Permettez-moi de vous parler très franchement, comme on ne le fait sans doute pas assez souvent entre Français et Africains », s’est exclamé Nicolas Sarkozy au Palais des congrès de Cotonou, le 19 mai, devant un parterre de responsables béninois, lors de la deuxième étape de sa tournée africaine du 17 au 19 mai.
Pour sa troisième visite en Afrique subsaharienne (il s’était déjà rendu au Mali, en février 2003, puis au Sénégal, en décembre de la même année), le ministre français de l’Intérieur n’a pas dérogé à ses habitudes et joué dans son registre de prédilection : provocation, franc-parler, discours de rupture et rhétorique sécuritaire. Venu pour « expliquer aux Africains » sa loi sur l’immigration non plus désormais « choisie » mais « concertée » avec les gouvernements des pays d’émigration (voir encadré p. 14), il en a profité pour décrire à grands traits la politique africaine de la France. Comprenez : celle qu’il mènera s’il remporte la course à l’Élysée.
Se référant tour à tour au discours de François Mitterrand à La Baule (1990), aux « qualités visionnaires du général de Gaulle » et au « courage » d’Édouard Balladur lors de l’intervention française au Rwanda (1994), il a soigneusement évité d’évoquer la politique africaine menée depuis dix ans par Jacques Chirac. Pis, en rendant hommage « aux Béninois, aux Maliens et Ghanéens qui ont donné une solide leçon à tous ceux qui répètent que la démocratie n’est pas faite pour les Africains », il a sciemment pris le contre-pied d’une déclaration du chef de l’État français datant de 1986 (« Les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie »). Morceau choisi : « Il nous faut débarrasser la relation Afrique-France des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés. »
Tout le périple sarkozien a été parsemé de « petites phrases » assassines, du genre : « la France n’a pas besoin économiquement de l’Afrique » ; ou « faisons de la discrimination positive à la française, en n’aidant pas de la même manière les démocraties et les régimes dictatoriaux » ; ou encore : « Africains, vous avez une responsabilité dans l’échec économique de votre continent ». Bref, le ministre s’est exprimé comme s’il était déjà le chef de l’État. Par ses propos aux antipodes du discours diplomatiquement correct tenu d’ordinaire par les responsables français, il a pris le risque de déplaire et de mettre en péril son capital-confiance, déjà bien écorné, sur le continent. Les présidents du Mali et du Bénin se sont d’ailleurs gardés de tout commentaire public à l’issue des discussions. Après tout, il n’est encore « que » ministre d’État…
Au palais présidentiel de Koulouba, à Bamako, le 18 mai, Sarkozy a reçu des mains d’Amadou Toumani Touré, en guise de cadeau de bienvenue, une porte dogon. « Cette porte, on peut l’ouvrir ou la fermer, on est libre de la franchir », a expliqué le chef de l’État au ministre français de l’Intérieur. L’allusion au durcissement des conditions d’immigration en France – qui concerne au premier chef les Africains et, tout particulièrement, les Maliens – était trop tentante pour que ATT y résiste. La veille, sur les ondes de Radio France internationale, il avait déjà expliqué que « l’hospitalité malienne n’est pas choisie ou sélective », référence au terme employé depuis plusieurs mois par Sarkozy pour qualifier sa nouvelle politique d’immigration.
Après la polémique déclenchée par le Sénégalais Abdoulaye Wade à propos du pillage des élites africaines, le mécontentement à l’égard des idées et du personnage même de « Sarko » s’est largement exprimé, de Bamako à Cotonou.
Pourtant, ce voyage prévu de longue date – que les lenteurs parlementaires ont malencontreusement fait coïncider avec l’adoption de la nouvelle loi sur l’immigration – avait pour but essentiel, à moins d’un an de la présidentielle, de conforter la stature internationale de Sarkozy. Officiellement, il a porté son choix sur le Mali et le Bénin parce que ces deux pays constituent à ses yeux des réussites démocratiques. Mais le fait qu’à l’instar du Liberia, de l’Afrique du Sud ou de la RD Congo – pays où il devait initialement se rendre – ils ne fassent pas partie de la « chasse gardée » du président Jacques Chirac n’y est peut-être pas tout à fait étranger. « Voici quatre ans que Sarkozy est invité par Omar Bongo Ondimba, explique-t-on dans l’entourage du président de l’UMP. S’il ne s’est toujours pas rendu au Gabon, ce n’est pas de son fait. » Quand on connaît la proximité des présidents gabonais et français, tout est dit.
Mais finalement, même s’il ne l’avait pas prémédité, Sarkozy n’est peut-être pas si mécontent que son périple africain ait tourné au débat – animé ! – sur l’immigration. Car la fronde africaine légitime aux yeux d’un certain nombre de Français la sévérité de sa politique en ce domaine. À le voir transpirer dans la touffeur ouest-africaine, certains feignaient malicieusement de s’interroger : pourquoi le ministre de l’Intérieur parcourt-il tant de kilomètres pour, finalement, ne s’adresser qu’aux électeurs français ?
À l’ambassade de France à Bamako, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours devant une centaine de ses compatriotes installés au Mali – et naturellement inscrits sur les listes électorales, en France. « J’aurai besoin de vous », leur a-t-il lancé en riant. Sans doute avait-il à l’esprit que les voix des Italiens de l’étranger ont assuré sur le fil la victoire de Romano Prodi, au mois d’avril Et d’ajouter, comme pour s’excuser d’avoir confisqué au profit du candidat la tribune offerte par l’ambassadeur au ministre d’État : « Si je ne l’avais pas dit, vous m’auriez reproché de faillir à ma réputation. » En Afrique, en tout cas, sa réputation n’est désormais plus à faire.

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