[Tribune] Unis pour notre biosphère : protégeons les espaces vitaux de notre humanité

Alors que le sommet sur le climat s’ouvre ce lundi à l’ONU, les sites du patrimoine mondial naturel recensés l’UNESCO – qui couvrent une superficie équivalente à celle de la Chine – pourraient permettre de lancer un plan d’urgence et d’investissement massif pour les zones les plus critiques, en particulier en Afrique.

Coucher de soleil dans la réserve nationale du Masai Mara, dans le sud-ouest du Kenya. © Angela Sevin / Flickr

Coucher de soleil dans la réserve nationale du Masai Mara, dans le sud-ouest du Kenya. © Angela Sevin / Flickr

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Publié le 23 septembre 2019 Lecture : 4 minutes.

« Nous sommes en danger permanent d’auto-destruction collective ». L’avertissement du philosophe allemand Hans Jonas a quarante ans déjà, mais les incendies qui ont ravagé cet été les forêts tropicales d’Amazonie montrent combien il reste d’actualité.

Les immenses panaches de fumée, la terre désolée, l’éradication complète de la vie contrastent brutalement avec la luxuriance, la vitalité et l’ingéniosité de ces forêts primaires. Les forêts tropicales ne brûlent habituellement pas : elles sont aujourd’hui la proie de feux si intenses qu’on se demande s’il est même possible de les éteindre. Une telle aberration doit nous pousser à réagir.

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70 % des feux de forêts tropicales en Afrique subsaharienne

Les peuples des États amazoniens sont les premiers concernés par des mesures d’urgence que seules les autorités de ces pays peuvent prendre. Nous devons cependant aller plus loin : lorsque l’Amazonie brûle, c’est l’humanité tout entière qui est affectée. Cela nous impose des devoirs.

Les plus de 400 nations de peuples autochtones et leurs cultures dont cette immense forêt est le foyer, le quart de la biodiversité mondiale qu’elle abrite, le rôle de régulateur climatique essentiel qu’elle joue à l’échelle planétaire, en font un joyau exceptionnel dont on ne peut aujourd’hui que constater la vulnérabilité.

Nous avons collectivement la responsabilité de protéger et de préserver ce patrimoine fondateur légué par le temps long

L’Amazonie, qui a pourtant déjà perdu un cinquième de sa surface, n’est malheureusement pas la seule touchée. 70 % des feux de forêts tropicales concernent l’Afrique subsaharienne, l’Indonésie affronte des feux de plus en plus fréquents et de plus en plus graves : on peut dire sans exagérer que les poumons de la planète sont en flammes.

Écosystèmes en péril

Au-delà de ces incendies, ce sont, en réalité, tous les grands écosystèmes de notre monde qui sont en péril. Le rapport mondial sur la biodiversité, présenté à l’UNESCO en mai dernier, nous a permis de prendre conscience de l’ampleur du désastre : 40% de l’environnement marin et la moitié des cours d’eau sont structurellement altérés, notamment du fait de la pollution, de prélèvements anarchiques, ou de l’eutrophisation.

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L’échelle et la rapidité de ces bouleversements sont inédites ; et leurs conséquences difficilement prévisibles. Fonctionnant dans un entrelacs complexe d’interrelations et de rétroactions, le système Terre pourrait se déséquilibrer dans des proportions difficilement imaginables. Franchir ces seuils, c’est pénétrer dans l’inconnu.

Nous, habitants momentanés et passagers tardifs de la planète Terre, devons nous mobiliser pour reconnaître la spécificité de ces zones menacées

C’est en fait tout notre monde qui est en question : sa beauté, son patrimoine immatériel, les fondements mêmes de nos économies, la sécurité alimentaire, la santé, la qualité de vie dans le monde et le partage pacifique des ressources naturelles. Nous avons collectivement la responsabilité de protéger et de préserver ce patrimoine fondateur légué par le temps long.

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Cadre unique dans le système onusien

Nous, habitants momentanés et passagers tardifs de la planète Terre, devons nous mobiliser pour reconnaître la spécificité de ces zones aujourd’hui menacées par les activités humaines.

Nous disposons dans le système onusien des prémices d’un cadre unique et consenti qui concilie souveraineté nationale, coopération internationale et implication locale. Il s’agit des sites du patrimoine mondial naturel et des réserves de biosphère, désignés à l’UNESCO sur proposition des États membres : ensemble, ces zones couvrent une superficie équivalente à celle de la Chine, dont près de deux millions de kilomètres carrés sont situés en Amérique du Sud. L’UNESCO héberge aussi des réseaux de coopération scientifique mondiale sur l’eau, les océans ou la recherche fondamentale.

Nous pouvons nous appuyer sur ce cadre unique pour lancer un plan d’urgence et d’investissement massif pour les zones les plus critiques, partout dans le monde. Nos réseaux d’experts scientifiques nous aideront à les choisir en fonction de leur valeur écologique exceptionnelle et de la vulnérabilité du milieu dans lequel elles s’inscrivent.

C’est aussi à travers l’éducation que l’on peut prévenir les conflits

Offrir de véritables moyens aux États directement impliqués, c’est d’abord faire face à l’urgence, mais c’est aussi construire à l’échelle de ces territoires des schémas de développement durable sur le long terme, fondés sur le savoir scientifique, y compris autochtone.

Modifier les modes de vie à travers l’éducation

Nous devons aussi agir par l’éducation, de la maternelle à la formation professionnelle en passant par le secondaire et l’enseignement supérieur : l’enseignement à la nature devrait désormais se trouver au cœur des programmes scolaires.

L’éducation doit accélérer la prise de conscience et amorcer la modification profonde de nos modes de vie. C’est aussi à travers l’éducation que l’on peut prévenir les conflits que ces bouleversements ne manqueront pas de provoquer.

Le sommet sur le climat organisé aux Nations unies arrive en cet instant déterminant. Nous n’avons pas le droit de manquer ce rendez-vous avec l’avenir, auquel la jeunesse nous convoque avec impatience.

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