Un sommet pour quoi faire ?

Les 29 et 30 mars, à Tunis, les dirigeants arabes essaieront de dépasser leurs vieilles querelles « fraternelles ». Avec l’espoir de reprendre l’initiative sur les grands dossiers de l’heure. Y parviendront-ils ? Rien n’est moins sûr.

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

Pourquoi Habib Ben Yahia, le chef de la diplomatie tunisienne, a-t-il cru devoir confirmer, dans une déclaration à l’agence TAP (Tunis Afrique Presse) datée du 15 mars, la tenue du seizième sommet de la Ligue arabe, à Tunis et à la date prévue, les 29 et 30 mars ? Son pays n’a-t-il pas déjà annoncé officiellement, à la mi-février, au lendemain de l’audience accordée par le président Zine el-Abidine Ben Ali au secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qu’il acceptait d’accueillir ce sommet, mettant ainsi fin aux rumeurs sur son éventuel transfert à Charm el-Cheikh, en Égypte ?
Le ministre tunisien des Affaires étrangères a cru devoir aussi souligner la qualité de l’infrastructure hôtelière de son pays et sa « haute capacité » à organiser des « assises internationales au plus haut niveau », rappelant au passage que Tunis a déjà abrité un sommet de la Ligue arabe en 1976, un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1994 et le premier sommet du « dialogue 5+5 », qui a réuni, en décembre dernier, dix chefs d’État et de gouvernement de la Méditerranée occidentale. Cette mise au point s’imposait-elle vraiment ?
À vrai dire, les Tunisiens ont longtemps hésité à accueillir une rencontre qui risquait de mettre à nu l’incapacité des dirigeants arabes à dissiper les inquiétudes de leurs peuples. L’altercation verbale qui avait opposé, lors du précédent sommet de Charm el-Cheikh, le leader libyen Mouammar Kadhafi et le prince héritier saoudien Abdallah, sous le regard médusé de millions de téléspectateurs arabes, avait de quoi refroidir leur enthousiasme. Pouvaient-ils s’assurer qu’une pareille scène ne se répéterait pas ?
Au cours d’une tournée qui l’a amené ces dernières semaines dans plusieurs capitales arabes, le chef de la diplomatie tunisienne a insisté sur la nécessité d’assurer le succès du prochain sommet, notamment en évitant les sujets qui fâchent. Est-ce pour le rassurer que ses homologues arabes ont décidé, à l’issue de leur réunion du 4 mars, au Caire, de laisser aux chefs d’État le soin d’adopter une position commune sur le projet américain du Grand Moyen-Orient, voire de renvoyer tous les sujets litigieux au sommet suivant, à Alger, en 2005 ?
Le sommet de Tunis aura donc lieu comme prévu. Les Tunisiens s’attendent à une participation record des chefs d’État arabes. Ils annoncent aussi la venue d’une délégation du Gouvernement provisoire irakien (GPI), qui comprendra vingt-cinq personnes et sera conduite par Mohamed Bahr el-Ulum, actuel président du GPI. Autres personnalités de marque attendues, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, et Javier Solana, haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère. Yasser Abed Rabbo, membre du Comité exécutif de l’OLP et l’un des principaux auteurs palestiniens de l’Accord de Genève, sera également au rendez-vous. Il est peu probable, en revanche, que le chef de l’Autorité palestinienne soit autorisé par les Israéliens à quitter son QG d’Al-Mouqataa, à Ramallah, pour rejoindre ses homologues dans la capitale tunisienne.
« Les Arabes pourraient ébranler les pouvoirs américain et israélien s’ils invitaient le président Bush et le Premier ministre Sharon au sommet arabe de Tunis afin d’examiner ensemble l’initiative du prince héritier d’Arabie Abdallah, entérinée par le sommet de Beyrouth en 2002 », écrivait Houda al-Husseini dans le quotidien londonien Asharq Al-Awsat du 11 mars, en citant des « sources américaines ». Les mêmes sources auraient ajouté, un brin ironiques : « Cette initiative est acceptée par tous les pays arabes, car ils veulent tous la paix. À y regarder de plus près, les Arabes veulent collectivement la guerre, mais veulent individuellement la paix. »
Ce reproche est presque démodé. Car, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les leaders arabes ont mis beaucoup d’eau dans leur vin. Les menaces auxquelles ils font face collectivement les ont paradoxalement contraints à enterrer leur intransigeance d’antan, même si celle-ci n’était que de façade. On pourrait même parier qu’ils profiteront de leur conclave tunisois pour essayer de reprendre l’initiative sur les dossiers de l’heure, à savoir le chaos irakien, la situation dans les Territoires palestiniens et le projet américain du Grand Moyen-Orient (voir encadré). Ils se feront même un devoir de prendre, à cette occasion, une posture de défenseurs de la paix, conçue aujourd’hui comme… un préalable à toute réforme politique.
Les leaders arabes savent cependant que, pour être pris au sérieux, ils doivent dépasser leurs vieilles querelles « fraternelles » et se montrer unis. On peut donc espérer qu’en plus des accolades de circonstance, le sommet de Tunis donnera lieu à des réconciliations spectaculaires, notamment entre le roi du Maroc Mohammed VI et le président algérien Abdelaziz Bouteflika, entre le président mauritanien Maaouiya Ould Ahmed Taya et le leader libyen Mouammar Kadhafi, ainsi qu’entre ce dernier et le prince héritier saoudien Abdallah. Quant au président égyptien Hosni Moubarak, qui a grandement vexé les Algériens en affirmant qu’une accélération du processus démocratique dans le monde arabe pourrait aboutir à des violences comme dans leur pays, il devrait se faire un devoir de rectifier le tir.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires