Pourquoi les patrons ont choisi Bouteflika
Après les syndicats ouvriers, c’est au tour des chefs d’entreprise d’apporter leur soutien au président sortant pour l’élection du 8 avril.
La nouvelle aurait pu passer inaperçue, tant le flot d’annonces de ralliements à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika émanant de la société civile semble incessant. Une semaine après l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la puissante centrale syndicale ouvrière, le patronat a officiellement exprimé, le 7 mars, son soutien au président sortant. Dans un pays marqué par quatre décennies d’économie socialiste, la notion de patronat ne s’est imposée que depuis quelques années. Partenaire du dialogue social, le patron algérien n’a jamais eu une représentation crédible. « Il y autant d’organisations patronales que de patrons », plaisante-t-on à Alger. Durant les années 1990, une constellation d’organisations se disputant le droit de parler au nom des chefs d’entreprise était associée aux tripartites, ces réunions regroupant le gouvernement, les syndicats et le patronat, censées désamorcer les conflits sociaux. Cette multitude de représentations n’était pas pour donner de la cohérence au discours du patronat.
En 2000, une nouvelle organisation voit le jour : le Forum des chefs d’entreprise (FCE). Regroupant une soixantaine de patrons, tous secteurs confondus, le FCE se voulait non pas un contre-pouvoir, mais un cadre de réflexion et un centre de propositions. Il ne tarde pas à faire parler de lui en lançant une campagne publicitaire pour inciter les Algériens à consommer local. L’impact a été important, selon Omar Ramdane, président du FCE, héros de la guerre de libération et prospère homme d’affaires spécialisé dans les matériaux de construction. On n’a peut-être pas connu de bond spectaculaire en matière de consommation des produits nationaux, mais le Forum s’est fait une place dans le paysage socio-politique algérien. D’autant que le FCE et ses membres pèsent près de 180 milliards de dinars (environ 2 milliards d’euros) en chiffre d’affaires et emploient près de 50 000 personnes.
Les enjeux du scrutin du 8 avril ne pouvaient laisser indifférente une telle organisation. C’est pourquoi le FCE a décidé de réunir son bureau exécutif pour évoquer la question. « Il n’y a pas eu de consensus, raconte un participant à la réunion. La question était trop importante, et il fallait en débattre en assemblée générale. » Cette dernière se déroule le 7 mars à l’hôtel Aurassi, à Alger. Les participants sont invités à répondre, à bulletins secrets, à deux questions : êtes-vous pour une position de neutralité du FCE ? Êtes-vous pour le soutien d’un candidat et lequel ? 34 patrons choisissent le soutien à Bouteflika, 22 se prononcent pour la neutralité et 4 bulletins sont considérés comme nuls.
L’appui à un second mandat du chef de l’État se justifie, selon la déclaration rendue publique à l’issue de l’assemblée générale, par « les bonnes performances économiques réalisées dans notre pays et le retour d’une croissance forte grâce aux effets du programme de relance mis en oeuvre en avril 2001 ».
Première victime de la décision du FCE, Issad Rebrab. L’homme d’affaires a préféré claquer la porte d’une organisation dont il est cofondateur. Le patron du groupe agroalimentaire Cevital a remis sa démission à Omar Ramdane. Réputé proche de Saïd Sadi, chef du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Issad Rebrab est, en outre, propriétaire du quotidien francophone algérois Liberté, qui n’a jamais caché son hostilité à Bouteflika. Issad Rebrab reproche à la direction du FCE d’avoir lancé un débat sur la présidentielle : « Cette initiative déplace et réoriente l’objectif du contrat sur lequel nous nous sommes engagés. »
En d’autres termes, Issad Rebrab accuse ses pairs de changer les règles du jeu en cours de partie et de tourner le dos à un acquis de l’organisation : sa neutralité politique. « Pas du tout ! se défend Omar Ramdane. L’inscription de la présidentielle à notre ordre du jour s’est faite à la demande de la majorité des membres du Forum. La transparence qui a entouré le vote enlève toute ambiguïté à propos de cette décision. »
Cela dit, le FCE ne donne pas un chèque en blanc à Bouteflika. « Il faut réhabiliter l’entreprise nationale, prévient Omar Ramdane. C’est elle le centre de création de richesses et d’emplois. L’assainissement de l’environnement économique demeure la clé de la réussite des réformes. » Il est clair que le candidat Bouteflika sera attendu sur les préoccupations du FCE, notamment sur la délicate question du foncier industriel, sur les conséquences de l’accord d’association avec l’Union européenne et celles de l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le soutien apporté à Bouteflika par le monde des affaires – toutes les autres organisations patronales se sont aussi ralliées à sa candidature – n’est pas négligeable, même s’il ne sera pas déterminant. Constitue-t-il une nouveauté ? Pas vraiment. Bouteflika avait déjà gagné à sa cause de nombreux chefs d’entreprise en 1999. Pour ses premiers voyages à l’étranger, au début de son mandat, il s’était fait accompagner d’hommes d’affaires. Peu à peu, toutefois, il s’est éloigné du patronat, de ses revendications et de ses doléances. Les patrons lui ont rendu la monnaie de sa pièce, lui refusant leur soutien quand il se battait pour faire passer certaines réformes, notamment le projet de loi sur les hydrocarbures. Et il a fallu un véritable krach financier avec l’affaire Khalifa pour faire passer une réforme de la loi sur la monnaie et le crédit.
Brahim Hadjas, un homme d’affaires influent qui ne fait pas partie du FCE, apporte lui aussi son soutien à Bouteflika. « Je suis d’autant plus à l’aise que ma préférence allait ailleurs en 1999. Je ne l’ai pas caché. Si ce système a pu résister à cette lame de fond qu’était l’islamisme salafiste, il ne peut être réformé, modernisé et humanisé que par l’un de ses artisans. Le parcours de Bouteflika montre qu’il est le seul parmi les prétendants à connaître parfaitement les failles du système. Il est le mieux placé pour en neutraliser les forces d’inertie. »
Boutef, homme de rupture ? « L’Algérie a vécu trop de drames pour évoquer la rupture à tout bout de champ, poursuit Brahim Hadjas. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas simplement un leader charismatique qui parle et présente bien. Il nous faut une coalition politique ayant une vision stratégique pour ce pays. Et si cette coalition est incarnée par un homme, cela ne me gêne pas outre mesure. Ne sommes-nous pas dans un régime présidentiel ? Ce qui a été réalisé au cours des dernières années n’est pas aussi dérisoire qu’on le prétend, mais il reste tellement à faire. Comment se débarrasser de la bureaucratie ? Comment rendre plus efficiente la justice, notamment en matière d’affaires économiques ? Comment réduire le secteur protégé, qui n’a pas de comptes à rendre, au profit du secteur exposé, représenté à tous les niveaux par ceux qui ont un bilan à soumettre, du chef de l’État au patron de PME ? Voilà le défi que doit relever le prochain président. »
Bouteflika engrange soutien après soutien, mais ce sont autant d’espoirs qu’il ne devra pas, en cas de victoire, décevoir. Non pour sa carrière, déjà riche, mais pour son pays.
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