Maturité démocratique espagnole

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Il faut bien mesurer la portée de la victoire inattendue des socialistes espagnols de José Luis Rodriguez Zapatero sur leurs adversaires conservateurs aux législatives du 14 mars. Trois jours avant ce scrutin, le pays avait été endeuillé par des attentats d’une ampleur jusqu’alors inconnue en Europe. Plus de 200 morts et près de 1 500 blessés : un bilan terrible qui aurait pu l’être davantage si les trains avaient explosé à leur entrée en gare d’Atocha. Le toit du bâtiment n’y aurait pas résisté, et les morts se seraient alors comptés par milliers. Imaginons un instant que des attentats comme ceux du 11 septembre 2001 frappent les États-Unis à la veille de la prochaine présidentielle américaine. Que se passerait-il ? Eh bien, George W. Bush, le sinistre croisé du Bien contre le Mal, serait réélu dans un fauteuil. Et que s’est-il passé en Espagne ? Exactement l’inverse ! Mariano Rajoy, le successeur désigné de José María Aznar – et donné encore largement vainqueur une semaine avant le scrutin -, a été battu à plate couture.
En renvoyant le Parti populaire dans l’opposition, les électeurs espagnols ont évidemment sanctionné la désastreuse gestion par leur gouvernement des suites des attentats du 11 mars. En s’accrochant à la thèse de la responsabilité des Basques d’ETA, en s’employant à dissimuler les résultats de l’enquête policière, les autorités ibériques ont donné l’impression de vouloir sciemment tromper le peuple. Pour éviter de rendre des comptes sur l’engagement catastrophique du pays en Irak aux côtés de la coalition américano-britannique. Mais le vote des Espagnols revêt une signification qui dépasse – et de beaucoup – le simple mouvement de colère d’électeurs floués. Confrontés à une situation parfaitement analogue à celle dans laquelle ont été plongés les Américains au lendemain du 11 septembre 2001, ils ont réagi de manière diamétralement opposée. Ils ont censuré le faucon Aznar pour plébisciter la colombe Zapatero. Ils ont rejeté massivement la tentation de l’unilatéralisme et du manichéisme en se prononçant pour un homme qui n’a cessé, tout au long de sa campagne, de plaider pour un virage à 180 degrés dans la politique étrangère et la posture intellectuelle de l’Espagne.
Zapatero veut que son pays prenne ses distances avec l’équipe Bush et renoue des liens forts avec la France, l’Allemagne et la Belgique, ces nations de la « vieille Europe » moquées par les Américains avec la complicité active d’Aznar. Il veut aussi que son pays cesse de faire obstacle à l’adoption de la Constitution européenne. Zapatero est un multilatéraliste, il veut « plus de Bruxelles et moins de Madrid ». Il veut une Europe forte et soudée. Parce qu’il sait que cette Europe incarne le progrès, le dialogue et la légalité internationale. Que cette Europe émancipée et fière de ses valeurs d’ouverture et de tolérance, attachée à la recherche d’une solution juste et pacifique au conflit israélo-arabe, constitue la meilleure arme face à el-Qaïda. Parce qu’il est convaincu qu’il existe d’autres parades à apporter aux sectateurs de l’apocalypse que l’emploi brutal et injuste de la force, en Irak par exemple, où il a promis de retirer les 1 300 soldats du contingent ibérique une fois passé le cap fatidique du 30 juin 2004, date du transfert de souveraineté aux Irakiens.
En choisissant Zapatero, les Espagnols ont donné une magnifique leçon de dignité et de maturité démocratique. Ils ont montré que, même interpellée par l’horreur de la violence aveugle, l’intelligence pouvait conserver ses droits en politique. Que même blessé dans sa chair, un peuple pouvait refuser de succomber à la tentation des raccourcis simplificateurs et de la régression mentale. Ils ont su faire la part des choses entre la guerre contre le terrorisme et le choc des civilisations. On ne peut que souhaiter des électeurs américains qu’ils méditent l’exemple espagnol et s’en inspirent en novembre prochain, au moment de choisir entre le républicain George W. Bush et le démocrate John F. Kerry…

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