L’Europe… et les autres
Si certains pays comme la Tunisie, la Turquie ou la Syrie tirent leur épingle du jeu, l’UE occupe une position dominante sur le marché international. Maîtres mots de la profession : qualité et haut de gamme.
Alors qu’en France la cueillette des olives 2003-2004 – étalée de novembre à février – vient de s’achever, et laisse présager un bilan décevant, la récolte 2002-2003 reste encore dans la tête de tous les oléiculteurs français : « Nous avons connu une année record, tant en qualité qu’en quantité. Ça ne s’était pas vu depuis plus de dix ans », se rappelle Jean-Benoît Hugues, producteur au Moulin du Castellas, dans la vallée des Baux-de-Provence (sud de la France). Le secret ? Un hiver assez froid et suffisamment de pluie sur les fleurs. Mais aussi une année 2001-2002 plutôt… médiocre : un olivier peut théoriquement produire entre 15 et 50 kilos d’olives, mais seulement une année sur deux. « Il y a encore dix ans, ces effets d’alternance faisaient varier la production du simple au triple, explique Christian Teulade, vice-président d’Afidol (Association française interprofessionnelle de l’olivier). Aujourd’hui, grâce au savoir-faire des producteurs et à leur enthousiasme, le rapport n’est plus que de deux pour trois. » Reste que les différences peuvent être encore importantes : la production française avait augmenté de 30 % pour la campagne 2002-2003, passant de 3 600 à 4 700 tonnes.
Malgré ces bons résultats, la France fait toujours figure de « petit poucet » face aux grands producteurs et consommateurs du Bassin méditerranéen, aux premiers rangs desquels on retrouve les trois géants européens : l’Espagne, l’Italie et la Grèce. L’Union européenne (UE) occupe d’ailleurs une position dominante sur le marché mondial (elle représente 80 % de la production et 70 % de la consommation mondiale d’huile d’olive). D’autres pays parviennent cependant à tirer leur épingle du jeu : la Tunisie, la Turquie, la Syrie, le Maroc ou la Jordanie. D’après les dernières prévisions, leur production totale atteindrait 441 500 tonnes pour 2003-2004, soit 15 % de la production mondiale. Un chiffre honorable sur le marché international, même si certains ont connu en 2002-2003 une production assez faible. C’est le cas de la Tunisie, avec ses 70 000 tonnes : « Après cette année médiocre, nous misons beaucoup sur la campagne 2003-2004 qui s’achève : les conditions climatiques ont été bonnes et nos oliviers se sont reposés, explique Cherif Hosni, directeur export de Sfax Huiles, l’un des leaders de l’exportation en Tunisie. On espère atteindre les 180 000 tonnes. » Ce qui constituerait un record.
Pour tous les oléiculteurs du monde, du petit producteur traditionnel qui vend au détail dans sa propriété, à l’entreprise automatisée qui exporte en vrac, la clé de la réussite consiste à profiter de ces pics de fortes productions pour se lancer sur de nouveaux marchés : « Nous avons pu prospecter dans les pays scandinaves, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, résume Jean-Benoît Hugues, qui se positionne sur le créneau de l’huile d’olive haut de gamme. Des secteurs sur lesquels nous entrons directement en concurrence avec les Toscans, les Andalous et les Siciliens. » Dans ce marché dit « de condiment », en opposition au marché de « matière grasse », les Italiens restent les leaders mondiaux : « Ils sont à l’huile ce que les Français sont au vin : tout autant ambassadeurs qu’éducateurs de palais, poursuit Jean-Benoît Hugues. Nous les laissons découvrir de nouveaux marchés, et nous nous engouffrons ensuite dans la brèche. »
Produit typiquement méditerranéen, l’huile d’olive s’est lancée, depuis quelques années déjà, à l’assaut de nouvelles assiettes. Séduits par les vertus curatives et nutritives qu’on lui attribue, les consommateurs canadiens, suédois, japonais ou encore australiens sont de plus en plus nombreux à la préférer à l’huile de tournesol ou à celle d’arachide. Mais si les adeptes se multiplient, la consommation reste encore très confidentielle, comparée aux foyers « traditionnels » de l’huile d’olive : si, par exemple, les Français utilisent en moyenne 1 litre et demi par individu et par an, le rapport est de 13 litres pour les Italiens, 15,5 litres pour les Espagnols et atteint même 27 litres pour les Grecs !
Quoi qu’il en soit, l’engouement est réel et s’inscrit aujourd’hui dans la durée. L’un des meilleurs exemples en est la réussite des magasins Oliviers & Co, créés en 1998 par Olivier Baussan – concepteur de la marque provençale L’Occitane – et entièrement dédiés à l’huile d’olive. En cinq ans, ce concept d’épicerie de luxe proposant du « tout à l’huile d’olive » – tapenades, biscuits, savons – est décliné à travers plus d’une cinquantaine de boutiques dans le monde : Belgique, Japon, Norvège, États-Unis, Brésil. « Loin d’être un simple effet de mode, c’est le résultat d’une envie de consommer autrement : moins, mais mieux ! nous assure-t-on au service communication. Nous jouons avant tout la carte de la qualité et de la sélection. » Dans chaque boutique, les bouteilles d’huile sont soigneusement rangées et étiquetées comme autant de grands crus de vins, présentant près d’une trentaine d’huiles de provenances différentes (France, Espagne, Italie, Uruguay, Liban, Tunisie).
La qualité est bien devenue le maître mot de la profession, déclinée sous forme de normes internationales imposées par le Comité oléicole international (COI), mais aussi de normes européennes ou de « critères qualité » propres à chaque pays. « En France, comme nous produisons peu, nous nous sommes spécialisés sur les produits haut de gamme, et les ventes en AOC représentent aujourd’hui 50 % des ventes totales, explique Christian Teulade, de l’Afidol. Alors qu’en Italie, par exemple, elles n’atteignent que 10 % de la totalité. » Des choix de positionnement sur le marché qui entraînent forcément des différences de prix très importantes : entre 20 et 25 euros le litre en moyenne pour une huile française, alors que certaines huiles en provenance du sud de l’Espagne ou du Maghreb se vendent à 5 euros le litre. Elles seront ensuite souvent mélangées pour obtenir un produit de qualité très moyenne, qui se retrouve sur les étals des supermarchés.
Et pourtant, certains producteurs-exportateurs des pays extracommunautaires, comme les Tunisiens de Sfax Huiles, entendent aujourd’hui se positionner sur le marché de l’huile de qualité, aux côtés des Provençaux ou des Toscans : « L’huile de première catégorie vierge extra représente 90 % de nos exportations », affirme Cherif Hosni. Depuis la libéralisation du marché de l’huile d’olive en Tunisie, en 1995, près d’une vingtaine de sociétés d’import-export se sont créées. « Et celles qui font vraiment de la qualité se comptent sur les doigts d’une main », poursuit le directeur de l’export. Il reconnaît que pour l’ensemble des producteurs du Maghreb les temps sont difficiles. La concurrence est acharnée, surtout sur le terrain européen : l’UE subventionne ses producteurs (2,3 milliards d’euros par an pour 2,8 millions d’oléiculteurs) et protège ses frontières par des droits de douane très élevés. La solution ? Créer le besoin ailleurs, et se tourner toujours vers d’autres marchés : la Russie, la Corée, les pays du Golfe. Avec la certitude que l’huile d’olive est un nectar millénaire qui a de l’avenir.
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