Le tour d’Afrique de Pierre-André Wiltzer

Moins médiatique que Dominique de Villepin, son patron, le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie ne se contente pas d’inaugurer des puits dans le Sahel. C’est lui qui, au quotidien, conduit la politique africaine de son pays. Entretien.

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 7 minutes.

A l’ombre parfois envahissante du condottiere Dominique de Villepin, le janséniste Pierre-André Wiltzer n’est certainement pas le plus médiatique des membres du gouvernement français. Près de deux ans après sa nomination au poste de ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, ce fils de préfet de 63 ans, énarque bon teint qui fut le collaborateur de Jacques Chaban-Delmas et de Raymond Barre, semble toujours préférer l’anonymat des cabinets aux feux de la rampe. Peu nombreux, donc, sont ceux qui savent que le député-maire de Longjumeau est aussi lieutenant- colonel (de réserve) de l’armée de l’air, spécialiste du Québec et « africanophile » impénitent. Depuis son arrivée Rue Monsieur, en juin 2002, Wiltzer s’est rendu à une trentaine de reprises sur un continent où il mit pour la première fois les pieds en 1962 et où il compte quelques amis proches – l’opposant guinéen Alpha Condé, notamment. La politique africaine de la France, sur le terrain et au quotidien, c’est donc lui. D’où l’idée de ce tour d’horizon, qui démontre que celui dont la première affectation professionnelle fut un poste d’administrateur au ministère de l’Outre-Mer n’est pas uniquement chargé d’inaugurer des puits dans le Sahel ou de défendre une langue en péril, fût-elle celle de Senghor.

Côte d’Ivoire : sans Marcoussis, point de salut

la suite après cette publicité

« La France souhaite que l’élection présidentielle d’octobre 2005 soit ouverte à tous. L’issue de la crise interne très grave qu’a connue la Côte d’Ivoire passe donc par l’application intégrale des accords de Marcoussis. J’observe que des progrès significatifs
ont été accomplis en ce sens puisque des projets de loi existent, qui concernent les domaines les plus sensibles. Reste à passer des intentions aux actes. Mais je n’imagine
pas, dans la mesure où Marcoussis est le fruit d’un accord entre toutes les parties concernées, que l’Assemblée nationale ivoirienne, où les différentes forces politiques du
pays sont représentées, puisse faire obstacle à son application. Quand on signe un texte de ce type, après moult débats et mûre réflexion, on se doit de tenir ses engagements jusqu’au bout. »

Gbagbo et nous

« Rien ne nous permet de penser que le président Gbagbo ne joue pas le jeu. Je pense d’ailleurs que si les accords de Marcoussis sont intégralement appliqués, cela sera porté largement à son crédit. D’aucuns pensent même que, dans une perspective électorale, ce ne serait pas sans intérêt. »

Togo : vers la fin des sanctions ?

la suite après cette publicité

« Le Togo a manifesté la volonté de reprendre avec l’Union européenne une coopération suspendue depuis plus de dix ans. Il a pour cela fait appel à la procédure de consultations préalables prévue par l’article 96 des accords de Cotonou. La France a
encouragé le Togo dans cette démarche. Du côté de l’Union européenne, on n’est pas hostile à la perspective d’une reprise de la coopération, dans le cadre d’un programme
de bonne gouvernance démocratique, sous réserve que certaines conditions soient effectivement remplies. Il y a certes, en ce domaine, des progrès à accomplir au Togo, mais notre sentiment est que le président Eyadéma et son gouvernement y sont tout à fait disposés. Nous souhaitons évidemment qu’il en soit ainsi car nul ne peut se satisfaire de la situation actuelle : une décennie de sanctions n’a fait qu’appauvrir la population
togolaise. Plus généralement, la France est très réservée vis-à-vis de ce type de mesures. Parce qu’elles pénalisent avant tout les citoyens et n’ont que des effets marginaux sur la gouvernance elle-même. »

Gabon-Guinée équatoriale : à qui appartient Mbanié ?

la suite après cette publicité

« Ce n’est pas à la France de dire le droit en ce domaine, d’autant que nous entretenons de très bonnes relations bilatérales avec ces deux pays. Je note que le Gabon et la Guinée
équatoriale ont accepté l’offre de médiation du secrétaire général de l’ONU et qu’une personnalité indépendante, M. Fortier, a été nommée. Je note aussi que les deux ministres
des Affaires étrangères ont signé, au mois de janvier, à New York, un communiqué commun réitérant leur volonté de régler le cas de l’îlot Mbanié de façon pacifique. Nous avons fourni au médiateur toutes nos archives à ce sujet. Je souhaite et je pense que sa démarche parviendra à aplanir ce contentieux, un peu dans l’esprit de ce qui est en train de se passer entre le Cameroun et le Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi. Je suis d’autant plus confiant que les présidents Bongo Ondimba et Obiang Nguema, qui ont d’ailleurs de bons rapports personnels, soutiennent cette initiative. »

Cameroun : transparence et gouvernance

« Nous souhaitons, bien sûr, que l’élection présidentielle prévue pour la fin de cette année soit préparée et se déroule dans la plus parfaite régularité et la plus grande transparence. La réforme de la composition de l’Observatoire national des élections, mais aussi le fait que le rapport rédigé par cette instance ait été rendu public bien qu’il mette en lumière certaines faiblesses dans l’organisation des précédentes consultations,
tout cela va dans le bon sens.
Pour le reste, le Cameroun a atteint une étape stratégique de son développement. Son taux de croissance annuel se situe entre 4 % et 5 %, ce qui est satisfaisant, mais améliorable.
Des discussions sont en cours avec le FMI pour le passage au « point d’achèvement » de l’Initiative des pays pauvres très endettés, et avec la France pour un contrat de désendettement et de développement (CPPTE). Des sommes considérables sont en jeu. Tout pousse donc à ce que, sur le double plan de la gouvernance politique et économique, la mise à niveau soit le plus satisfaisante et le plus rapide possible. »

Congo-Brazza : FMI et opposition

« Le Congo, c’est vrai, n’est pas parvenu à conclure un accord avec le FMI à la date prévue, en octobre 2003. Cela ne doit pas occulter les progrès sensibles réalisés par le gouvernement : fin de la pratique des prêts gagés sur le pétrole, réalisation d’un audit de la société nationale SNPC, publication des chiffres précis de la production pétrolière, etc. Autant d’initiatives louables qui rompent avec certaines habitudes bien ancrées – ce qui explique peut-être le retard de leur mise en œuvre –, mais qui vont dans
la bonne direction. Tout concourt donc à ce qu’un terrain d’entente soit rapidement trouvé avec le Fonds.
Par ailleurs, sur un plan strictement politique, tout ce qui est de nature à favoriser l’apaisement et l’ouverture d’un dialogue intercongolais est bon à prendre. Qu’il s’agisse de l’initiative dont vous parlez [la médiation menée par la Fédération protestante de France entre le pouvoir et l’opposition en exil, NDLR] ou d’autres. À
condition, bien sûr, de respecter la souveraineté et les responsabilités des autorités en place. À condition, aussi, de savoir que les actions les plus efficaces ne sont pas forcément les plus publiques. »

Centrafrique : l’effet Aristide

« Le séjour de l’ancien président Aristide en Centrafrique n’a pas donné lieu, à ma connaissance, à une négociation ou à un marchandage avec les autorités de Bangui. On peut, en revanche, estimer que le gouvernement de ce pays a souhaité faire un geste de bonne volonté en direction d’une communauté internationale au sein de laquelle la Centrafrique souhaite vivement retrouver sa place. De là à parler de compensations, il y a
un pas que je me garderai de franchir. La précipitation des événements, en tout cas, ne permettait pas d’en faire un préalable. »

France/États-Unis : vraie-fausse rivalité

« On parle souvent d’une prétendue concurrence entre les Américains et nous sur le continent. Je ne vois pas très bien où elle se situe dans la réalité de nos politiques africaines respectives. Plus les pays développés du Nord investissent dans le développement de l’Afrique, plus je me réjouis. La France fait tout ce qu’elle peut en
ce domaine. Les États-Unis, qui disposent de moyens beaucoup plus importants, font en proportion beaucoup moins. Tout effort de leur part est donc le bienvenu. Lorsque je me
rends à Washington et que je rencontre les responsables Afrique du département d’État, nous sommes le plus souvent sur la même ligne. Je ne vois donc pas où se situe la rivalité. »

Un ministre heureux ?

« Je mentirais si je disais le contraire. Je suis arrivé dans ce ministère il y a un peu moins de deux ans, le 18 juin 2002 pour être précis. Mais cela fait quarante ans que l’Afrique me passionne. Vous me posez la question de savoir si j’ai, une fois, songé à démissionner. Je vous réponds clairement : non. Ce n’est pas mon genre, encore moins
ma manière d’être. »

Villepin et lui

« Nos relations personnelles sont sans nuages. C’est un homme assez passionnant, il est vrai, doté du charisme, de l’énergie et des capacités que tout le monde connaît. La répartition des tâches est assez simple : il est le ministre des Affaires étrangères
chargé de l’ensemble de l’action de la France à l’étranger. Dans ce cadre, je prends en charge l’ensemble des dossiers relatifs au développement et à la francophonie.
Évidemment, quand éclate une de ces crises qui font la une des médias, je ne suis pas en compétition avec Dominique de Villepin. Il est moins facile d’attirer l’attention de vos
confrères sur des problèmes de fond comme la lutte contre la pauvreté, le sida ou l’éducation pour tous. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Cela ne me froisse ni ne me frustre. J’ai une conception plutôt janséniste du pouvoir. »

Chirac et l’Afrique

« Jacques Chirac bénéficie sur le continent d’une image extraordinaire. Il suffit de voyager avec lui pour se rendre compte à quel point les Africains se le sont approprié. Mais je sais aussi, pour l’avoir souvent entendu dans sa bouche, qu’il n’ignore pas tout ce que les accueils émouvants que lui réservent les foules recèlent comme attentes et, souvent, comme exigences. Il est convaincu de l’absolue nécessité d’y répondre et de faire
partager cette conviction par les autres pays riches. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires