L’autre politique

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Nous avons vécu, depuis plus de deux ans et demi, l’après-11 septembre (américain). Nous voici, depuis plus d’une semaine, dans l’après-11 mars (espagnol et européen).
Le 11 mars 2004 a pour grand mérite de clarifier la situation : nous voyons beaucoup mieux que, face au terrorisme, il y a deux types de dirigeants et deux politiques différentes, voire opposées.
Il y a Bush, Aznar, Blair, Berlusconi, Sharon, qui se disent en guerre et veulent nous y entraîner, pratiquent l’unilatéralisme et l’éradication, déstabilisent à tour de bras, jusqu’à leurs propres pays. Et il y a – nous compris – les autres, qui tentent, en vain jusqu’ici, de leur faire entendre raison, d’expliquer à ces messieurs qu’ils sont en train de renforcer le terrorisme et de l’exacerber, au lieu de l’affaiblir et de l’éliminer. Ne l’ont-ils pas introduit en Irak où il ne sévissait pas avant que leurs armées n’y détruisent les structures de l’État ?

Faisons un rêve : qu’il arrive à Bush en novembre prochain ce qui est arrivé à Aznar il y a une semaine. Qu’il perde le pouvoir et que l’Amérique change d’attelage. Que d’ici là, ou un peu après, les Israéliens se lassent de Sharon, de sa (vaine) politique de force et de ses turpitudes, que les Italiens et leurs magistrats renvoient leur chef du gouvernement à ses affaires, lui montrant ainsi, et au monde, qu’il n’a pas acheté l’Italie.
Imaginons notre planète sans eux, rêvons d’avoir au pouvoir, à leur place, des hommes plus raisonnables et qui seraient, eux, à l’écoute de leurs peuples.
Le départ de Bush et de ceux qui ont rallié sa croisade permettrait à leurs successeurs de pratiquer cette autre politique que j’évoquais ci-dessus : commencerait alors la vraie lutte contre le terrorisme, celle qui vise à lui retirer méthodiquement ses arguments et ses recrues.

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J’entends certains objecter : ce que vous imaginez là serait une extraordinaire victoire pour Ben Laden, el-Qaïda et tous les terroristes. La mise à l’écart de José María Aznar en est déjà une…
L’objection n’est, à mon avis, pas fondée. La mise à l’écart d’Aznar est sans aucun doute une belle leçon de démocratie, et c’est l’Espagne qui en sort victorieuse, pas le terrorisme, qui, lui, n’aime pas la démocratie.
L’autre politique ? C’est le contraire de « la guerre mondiale contre le terrorisme » déclarée inconsidérément le 12 septembre 2001 par George W. Bush.
Une guerre sans fin (elle dure déjà depuis trente mois !), qui a tué plusieurs milliers de civils innocents, déstabilisé maints pays, pesé sur l’économie mondiale, englouti des dizaines de milliards de dollars, semé la zizanie entre l’Europe et les États-Unis tout en… renforçant le terrorisme qu’elle prétendait éradiquer, en augmentant sa virulence et sa hargne, en lui donnant pour nouveaux théâtres l’Afrique et l’Europe, en plus du « Grand Moyen-Orient », en l’érigeant en arbitre suprême des différends entre alliés…

L’homme qui mène cette « guerre », dont il s’est autoproclamé le « commandant en chef », s’y est, semble-t-il, installé. En tout cas, il s’en sert puisqu’il se présente à sa réélection en tant que « président de guerre », ce qui lui vaut une cinglante observation du New York Times, le journal le plus prestigieux et le plus influent de son pays :
« Les États-Unis ont besoin d’un président qui soit en alerte sur la menace du terrorisme extérieur. Mais ils ne peuvent se permettre d’en avoir un qui répond au traumatisme des attentats du 11 septembre en réagissant de manière excessive à la possibilité du danger.
Dans la campagne électorale qui se prépare, Bush, qui s’est présenté comme un « président de guerre », devra montrer aux Américains qu’il est capable de distinguer les menaces réelles des fausses alertes, et qu’il a le courage de dire la vérité sur quelque chose d’aussi grave que la guerre. On peut s’interroger sur sa capacité à le faire. »

L’autre politique, qui ne peut être menée que par d’autres hommes, est celle à laquelle nous aspirons avec la majorité des peuples de notre planète et que recommandent tous les hommes raisonnables.
Il s’agit de combattre tous les intégrismes, qu’ils soient musulman, juif ou chrétien, par les idées et par l’exemple. Il faut pour cela faire reculer les injustices, l’humiliation et les inégalités, consacrer plus d’argent au développement économique et social, moins aux armées et à la guerre.
Il faut cesser de vouloir changer des régimes par la décision d’un ou plusieurs gouvernants, en dehors des Nations unies et d’un consensus international.
Il faut s’interdire d’occuper un pays pour y imposer sa volonté ; il faut, par conséquent, libérer l’Irak de l’occupation américaine et confier aux Nations unies la mission d’y installer un gouvernement représentatif en charge d’organiser le plus vite possible des élections libres et transparentes.
Il faut contraindre Israël à évacuer les territoires palestinien, syrien et libanais occupés depuis près de quarante ans. Et obliger les Arabes à reconnaître l’État hébreu, à faire enfin la paix avec lui.
Il faut que les États-Unis mettent de l’ordre dans leurs finances en limitant leurs déficits, acceptent de n’être que la plus grande des puissances, dépensent moins d’argent (emprunté) à se militariser et en consacrent davantage à aider les moins pourvus à se libérer de la pauvreté et de la maladie.
Il faut aider la centaine de pays où la démocratie est encore absente ou balbutiante à y accéder aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire. Et, pour avoir une chance de transformer l’essai, prendre en compte que la démocratie ne se décrète pas et ne s’impose pas, mais se construit, comme une maison.
Bien évidemment, tout cela est complexe, comme vous le voyez, et très certainement plus difficile à réaliser que de faire la guerre…

Bush et Sharon, eux, privilégient la guerre et la domination de l’autre.
Ils ont besoin du terrorisme pour continuer à exister politiquement, et le terrorisme a besoin d’eux pour « métastaser », comme vient de le déclarer, crûment, un de ses porte-voix.
Ils ne savent pas que notre XXIe siècle n’a pas besoin de « présidents de guerre » et sont incapables de comprendre qu’on ne peut pas venir à bout du terrorisme par la force seule.
Nous savons, nous, que c’est l’autre politique, menée par d’autres hommes, qui en viendra à bout.
En quelques années, après eux.

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