José María Aznar

Après les attentats du 11 mars et la défaite de la majorité aux législatives, la sortie programmée du président du gouvernement espagnol a pris des allures de débâcle.

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 6 minutes.

Le 10 mars au soir, à la veille des attentats, José María Aznar était encore un homme serein, fier de son bilan et confiant dans l’avenir. Le massacre de Madrid aura tout bouleversé. Et ruiné l’image d’un dirigeant politique à qui tout réussissait.
Trois jours après ce tragique événement, le 14 mars, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) remportait les législatives que l’on croyait depuis longtemps acquises au Parti populaire (PP) d’Aznar. La sortie programmée de ce dernier prenait subitement des allures de débâcle. D’autant qu’après le verdict des urnes il s’est aussitôt retrouvé en position d’accusé. Accusé d’avoir menti, d’avoir sciemment manipulé l’information à des fins électorales en privilégiant la piste ETA, quand tout indiquait, finalement, que les attentats étaient l’oeuvre de réseaux islamistes. Si seulement la première piste avait été la bonne… Dans ce cas, c’est sûr, le PP aurait remporté la victoire. Car la lutte acharnée qu’il mène depuis huit ans contre le terrorisme basque s’en serait trouvée légitimée. Seulement voilà, c’est le contraire qui était vrai. Du coup, ses rêves de grandeur, son désir de figurer sur la photo à côté de George W. Bush et de Tony Blair, son alignement total sur la politique américaine en Irak, avec les risques que cela comportait et dont il n’a jamais voulu tenir compte, tout cela lui est revenu en pleine figure. Son caractère inébranlable, son arrogance même, sa froide détermination, son goût pour la décision solitaire, tout ce qui semblait faire sa force apparaît aujourd’hui comme ce qui a causé sa perte. Le 14 mars, quand il est sorti du collège Nuestra Señora del Buen Consejo, où il s’était rendu pour voter, des cris ont fusé : « Vous les fascistes, vous êtes les terroristes ! » À ses côtés, son épouse, celle qui la première a décelé en lui les qualités d’un homme d’État, est en pleurs. Elle ne cherche même pas à sécher les larmes qui ruissellent sur ses joues. Comme si elle pressentait l’humiliation à venir.
Il était pourtant sûr de lui, José María Aznar, jusqu’à ce jour maudit. D’abord parce que tous les sondages avaient annoncé une troisième victoire consécutive du PP aux législatives. Et ce parti, c’est l’oeuvre de sa vie. Certes, il l’a reçu en héritage des mains d’un ancien ministre de Franco, Manuel Fraga Iribarne. Mais c’est bien lui, il y a quinze ans, qui l’a extirpé des débris du franquisme, qui l’a mené à la victoire en 1996, et en a fait ce qu’il est aujourd’hui : une formation moderne, dynamique et conquérante.
Quant à cette fierté, n’était-elle pas légitime ? Résultats économiques à faire pâlir d’envie ses voisins européens, rôle accru de l’Espagne sur la scène internationale, les années Aznar pouvaient tenir en peu de mots : gestion rigoureuse, croissance et grandeur retrouvée.
Et qu’on ne vienne pas lui parler de la crispation de la vie politique nationale. Elle serait due, selon ses détracteurs, à son centralisme castillan et à son refus de discuter des nouvelles exigences basques et catalanes en matière d’autonomie. Mais pour satisfaire ces exigences, il aurait fallu modifier la Constitution. Impensable ! On ne doit pas toucher à une seule virgule de ce texte fondateur. Pas plus qu’il ne fallait céder face à la protestation générale soulevée par sa décision de soutenir la guerre américaine en Irak. « La légitimité, ce sont les urnes, pas la rue », s’est-il alors contenté de répondre aux millions de manifestants qui défilaient, en mars 2003, sous ses fenêtres. Il est comme ça, José María Aznar : ferme et décidé. Rien, jamais, ne le fait revenir en arrière. Mais puisque tout lui réussit, pourquoi changer ? D’ailleurs, moins de deux mois plus tard, le PP, que l’on croyait discrédité par l’autoritarisme de son leader, a finalement remporté les municipales.
Comment, avec un tel bilan, ne pas être confiant dans l’avenir ? D’autant que c’est sur ce bilan, précisément, que son dauphin, Mariano Rajoy, devait être élu, le 14 mars, à la présidence du gouvernement. Et si ce dernier, comme il l’a annoncé, applique à la lettre la recette libérale de son prédécesseur, il n’y a aucune raison pour que l’Espagne ne continue pas à bien se porter. Et le PP à gouverner. Quant à lui, José María, sa décision de renoncer volontairement à un troisième mandat devait le faire entrer dans l’Histoire. Car quand on quitte le pouvoir à 51 ans, au sommet de la gloire, on a encore droit à un bel avenir… À l’ONU ? À la Commission européenne ? Qui sait ? Mais tout cela, bien sûr, c’était avant. Avant les terribles attentats qui ont ensanglanté Madrid. À cet instant précis, Aznar a perdu le contrôle du scénario qu’il avait mis en place pour préparer sa succession. Comme si, pour la première fois, la situation lui échappait. Rarement, il faut le reconnaître, un attentat aveugle aura été aussi méticuleusement ciblé. Non seulement il frappait de plein fouet un homme qui avait fait de la lutte contre le terrorisme sa priorité absolue, mais il le faisait à trois jours d’un scrutin décisif, ne laissant au gouvernement aucun délai de réflexion.
A-t-il eu le jugement troublé par le souvenir de l’attentat auquel il avait échappé, comme par miracle, en 1995 ? A-t-il senti monter en lui comme une bouffée de haine contre l’ETA, sa bête noire ? Ou a-t-il, au contraire, agi par calcul pour éviter à son parti, et à lui-même, une cuisante défaite ? Les deux probablement. Car ce qui s’est mis en place, dès l’apparition du premier indice permettant d’orienter l’enquête vers el-Qaïda, n’est rien d’autre, finalement, qu’une vaste entreprise d’intoxication destinée à masquer la vérité aux Espagnols, et au monde entier.
Car les preuves d’une implication islamiste s’accumulaient, et vite : il y a eu d’abord, dès le matin, la découverte de détonateurs et d’une cassette en arabe dans une fourgonnette garée près du lieu d’où sont partis les trains de la mort. Mais le résultat des analyses de ces pièces à conviction ne sera rendu public qu’à 20 heures. Entre-temps un dirigeant d’Herri Batasuna, la branche politique de l’ETA, aujourd’hui illégale, fait savoir que, selon lui, « ni les objectifs, ni le mode opératoire de cet attentat ne permettent d’en rendre l’ETA responsable ». Le lendemain, un communiqué de l’ETA, adressé au journal basque Gara, décline toute responsabilité dans ce massacre. Réponse du ministre de l’Intérieur, Angel Acebes : « Nous n’y croyons pas ! » Même la publication par un journal londonien d’un texte des brigades Abou Hafs el-Masri, un groupe lié à el-Qaïda et revendiquant l’attentat, ne parviendra pas à modifier la stratégie adoptée par Aznar. Il appelle lui-même au téléphone les directeurs des grands quotidiens nationaux pour leur faire part, avec insistance, de sa « conviction » qu’il s’agit effectivement de l’ETA. Certains journaux, la plupart même, iront jusqu’à modifier leur titre en première page en pensant que le président dispose d’éléments qu’il ne peut pas encore communiquer.
Mais la machine s’emballe, et les preuves s’ajoutent aux preuves, accréditant chaque fois un peu plus la piste islamiste. Aznar, lui, ne les voit pas. Il faudra attendre le 13 mars au soir, veille du scrutin, pour qu’Acebes reconnaisse enfin publiquement que la piste du terrorisme islamiste « est la bonne ». Et pour cause : les premiers suspects viennent d’être arrêtés. Il s’agit de deux Indiens et de trois Marocains. L’un d’eux avait même déjà été signalé aux autorités espagnoles par la police marocaine. Mais le revirement arrive trop tard. Dans la rue, la foule en colère réclame déjà qu’on lui dise enfin la vérité.
Acharné, obstiné, inébranlable dans ses certitudes, Aznar n’a pas vu que toutes ces qualités qu’on lui reconnaissait pouvaient aussi, dans certaines circonstances exceptionnelles, causer sa perte. Le lendemain, les Espagnols votaient et balayaient d’un seul coup les années Aznar. Ces huit années dont il était si fier.
Aujourd’hui, il doit expédier les affaires courantes jusqu’à l’arrivée, dans un mois, de son successeur, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, dont on sait déjà qu’il est le petit-fils d’un capitaine de l’armée républicaine, fusillé en 1936 par les troupes franquistes. L’autre Espagne en quelque sorte. Du testament de ce grand-père, il a retenu une phrase essentielle : « Il faut savoir pardonner. »
Quant à José María Aznar, il a laissé entendre qu’il pourrait s’installer aux États-Unis, avec son épouse Ana Botella. Et qu’il est à la recherche d’un travail.

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