Françis Kpatindé : « Merci, grand frère ! »

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Ma première rencontre avec Siradiou Diallo remonte à début 1986. Nouveau venu à Jeune Afrique, j’ai tout de suite été impressionné par le côté zen du personnage. Rien, en effet, ne semblait pouvoir l’ébranler. En tout cas pas l’annonce d’un coup d’État au Congo-Brazzaville ou au Burkina, ni l’expulsion de millions de ressortissants ouest-africains du Nigeria, encore moins le deadline, l’heure du bouclage, pourtant considéré par beaucoup de journalistes comme un cauchemar. Devant le déchaînement des événements, il restait imperturbable. Un peu comme un diplomate à la veille d’une conflagration. Quelles que soient l’urgence du moment et la richesse de l’actualité, même lorsqu’il dirigeait la rédaction, il quittait presque toujours le journal aux alentours de 18 heures. Un rituel qui valait le détour. Même en pleine conversation, il regardait brusquement sa montre, rangeait soigneusement ses affaires, saisissait son gros cartable noir ainsi que son manteau, éteignait la lumière de son bureau et s’en allait, alors que la journée commençait pour certains d’entre nous.
Comme Habib Bourguiba, Béchir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique, écrit à l’encre verte. Sennen, l’autre grande signature subsaharienne du journal, disparu en 1997, à l’encre mauve. Monique Thibout, la « voix des sans-voix », ancienne responsable du courrier des lecteurs, au rouge. Siradiou lui, se contentait, comme on dit chez nous, d’un « Bic », bleu, comme le ciel de son Fouta natal, où il m’a reçu, au début des années 1990, dans sa grande maison, où tout le voisinage se bousculait, le soir, pour regarder la télévision ou une cassette vidéo de meeting. Là, en boubou brodé, au milieu des siens, dans une région dont il semblait apprécier le microclimat, il se décorsetait et l’on retrouvait un autre homme, plein d’humour.
Aussi surprenant que cela puisse paraître de la part de deux Africains exerçant, qui plus est, un métier où l’on est généralement à tu et à toi, je n’ai jamais réussi à le tutoyer, alors que je le faisais spontanément avec d’autres confrères européens plus âgés. Sans doute parce que je le considérais avant tout comme un « grand frère », avec ce que cela suppose de relations empesées. Car, tout en étant courtois et, bien souvent, à l’écoute des autres, Siradiou se livrait peu, et cette réserve naturelle n’autorisait pas les émotions ni les élans du coeur.
Je lui suis, en tout cas, reconnaissant d’avoir accepté de publier, contre l’avis de beaucoup, mon premier « vrai » article dans l’hebdomadaire : une malheureuse page sur un cordonnier béninois faisant de la « récup » dans l’est de la France pour assurer la formation d’autres travailleurs africains candidats au retour. Il m’a également initié au reportage en acceptant de m’accompagner lors de mon premier voyage pour le compte du journal. C’était en juillet 1986, au Sénégal, un pays dont il connaissait le ban et l’arrière-ban. Pour tout cela, mais aussi pour le reste, je te dis merci, grand frère !

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