Assassinat de Mgr Romero

Publié le 22 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Le soleil vient à peine de disparaître sous l’horizon. Dans la fraîcheur de la chapelle de l’hôpital de la Divine-Providence, au nord-ouest de San Salvador, Mgr Oscar Arnulfo Romero célèbre une messe de requiem devant une centaine de personnes. Il est 18 h 25 quand l’archevêque commente de sa voix douce et monocorde l’Évangile de Jean : « Si le grain ne meurt, il ne porte pas de fruit… » L’homélie ne dure qu’une dizaine de minutes. Alors que le prélat invite les fidèles à partager l’eucharistie, une détonation déchire le silence de l’église. Mgr Romero, 63 ans, porte la main à sa poitrine avant de s’écrouler sur le plancher de l’autel, au pied du grand crucifix. Une balle de calibre 22 lui a perforé le coeur et un poumon. Quelques heures plus tard, il s’éteint à l’hôpital non sans avoir réclamé la miséricorde pour ses assassins : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Mgr Romero, « la voix des sans-voix », savait en revanche qu’il courait de gros risques en prononçant chaque dimanche des sermons musclés à l’encontre de ceux qui mettaient à feu et à sang ce petit pays d’Amérique centrale, à peine aussi grand que Djibouti. Eux, ce sont les militaires qui dirigent le pays d’une main de fer depuis 1932, date de la révolte paysanne contre les riches propriétaires terriens. Ce sont aussi et surtout les escadrons de la mort, encouragés par l’armée gouvernementale à exterminer la guérilla marxiste engagée dans la guerre civile depuis 1979. L’ecclésiastique avait déjà reçu de nombreuses menaces de mort. Et il savait que leurs auteurs n’hésiteraient pas à passer à l’acte. Depuis le début de cette année 1980, n’avaient-ils pas déjà assassiné près de 800 personnes, dont quatre prêtres ? Mais le prélat était prêt à mourir pour ses idées et pour les opprimés : « Par mandat divin, je suis obligé de donner ma vie pour ceux que j’aime, même pour ceux qui vont peut-être me tuer. »
Quand il a été nommé archevêque de San Salvador, en février 1977, Mgr Romero bénéficiait pourtant dans l’oligarchie d’un préjugé favorable. Il était plutôt conservateur et adopta une attitude de nature à calmer les esprits, selon le Vatican. Mais quand en mars de la même année, son ami, le père Rutilio Grande, un jésuite fervent défenseur des peones (les paysans, donc les pauvres puisque 14 grandes familles possèdent à l’époque 90 % des terres), tombe sous le feu des balles, Mgr Romero devient le plus intrépide des « prêtres politiques ».
« Basta ! » (« Ça suffit ! ») martèle-t-il une fois de plus le 23 mars, la veille de sa mort. Dans la cathédrale de la capitale, le petit homme aux cheveux poivre et sel fait preuve de cette légendaire audace évangélique qui lui a valu d’être nominé pour le prix Nobel de la paix. Mais peut-être est-il allé trop loin en s’adressant directement à la garde nationale, à la police et à l’armée : « Aucun soldat n’est obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Je vous en supplie, je vous l’ordonne, au nom de Dieu : arrêtez la répression ! » La foule l’ovationne tandis que l’armée qualifie son appel à la désobéissance de « crime ».

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Son meurtre prémédité, mais non revendiqué, est aussitôt attribué à l’extrême droite. Les enquêtes menées par la Commission de la vérité, créée par l’Organisation des Nations unies (ONU) lors des accords de paix de 1992, désigneront comme commanditaire le major Roberto d’Aubuisson, alors responsable des services de renseignements de l’armée.
La mort de celui qui se posait en réconciliateur ne fera qu’attiser les tensions et alimenter les rancoeurs. Même le jour de ses obsèques sera sanglant. Le 30 mars, alors qu’une foule en pleurs vient rendre un dernier hommage à Mgr Romero, une fusillade éclate et se solde par la mort d’une quarantaine de personnes.

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