Réunion de famille

Ferdinand Piëch, le patriarche, va enfin réunir sous un même toit les marques créées par ses ancêtres. Mais, fort d’un actionnariat familial, c’est le petit qui absorbera le géant.

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Au banquet des constructeurs, il faut une longue-vue pour noter la présence de Porsche : moins de 100 000 voitures par an. À l’autre bout de la table, le groupe Volkswagen (VW) trône parmi les géants : 5 millions de véhicules, 5e rang mondial. De surcroît, Porsche est confiné dans un maigre registre, les sportives de luxe. Tandis que VW recouvre tous les genres automobiles grâce à ses sept marques : VW, Audi, Seat, Skoda, Bentley, Lamborghini et Bugatti. Pourtant, le nain Porsche va croquer le colosse VW
À une époque où la finance est reine, cette absorption du gros par le petit est cocasse, car elle revient aux temps lointains du capitalisme familial. Porsche est détenu par deux familles étroitement apparentées, les Porsche et les Piëch. Ferdinand Piëch, l’homme fort du clan, est le petit-fils de Ferdinand Porsche, créateur, en 1938, de la « voiture du peuple », rebaptisée Coccinelle après la Seconde Guerre. Et le neveu de Ferry Porsche, fondateur de la marque Porsche, en 1947. À l’inverse, le capital de VW a toujours été fragmenté : 18 % pour la région de Basse-Saxe, 13 % en autocontrôle, le reste dans les mains de petits porteurs ou de fonds d’investissement.
Durant sa carrière au sein du groupe VW, qu’il dirigea de 1993 à 2002, Ferdinand Piëch eut une obsession : Mercedes. Peut-être parce que son grand-père, Ferdinand Porsche, avait été chassé du groupe Daimler-Benz en 1930 Il eut aussi deux grandes intuitions. Primo : la politique des plates-formes communes destinée à abaisser les coûts. Peu importe au public que les VW, Audi, Seat et Skoda partagent châssis et moteurs, tant que chaque marque reste distincte grâce à des carrosseries différentes. Une stratégie reprise par tous les constructeurs. Secundo : Piëch fut le premier à comprendre qu’avec la concurrence de jeunes marques venues d’Asie ou de pays émergents, le salut des barons de l’automobile passait par le haut de gamme, seul segment générateur de fortes marges. D’où le rachat de Bentley, Bugatti et Lamborghini, puis la décision de lancer la VW Phaeton sur les terres des Mercedes Classe S et BMW Série 7.
Cette tentation du luxe fut abondamment critiquée : elle passait pour la lubie d’un homme en fin de règne, poursuivi par le complexe Mercedes. Bernd Pischetsrieder, successeur de Piëch à la tête du groupe VW, crut bon de prendre ses distances avec celui qui l’avait fait roi. Notamment en retirant la Phaeton du marché américain. Certes, elle s’y vendait mal. Mais Piëch le savait pour avoir imposé Audi dans les années 1970 aux côtés de Mercedes et BMW : au royaume du haut de gamme, il faut d’abord dépenser beaucoup avant de gagner.
Parallèlement, Porsche était enfin parvenu à sortir de la monoculture de la 911, son modèle culte. Une mini-911 en 1996, la Boxster, puis un 4×4 routier en 2003, le Cayenne, ont élargi la gamme : 14 000 voitures en 1992, 97 000 en 2006. Porsche est ainsi devenu le constructeur le plus rentable au monde : 20 % de marge bénéficiaire lors du dernier exercice, soit 1,39 milliard d’euros, plus que le groupe VW Assis sur ce trésor, Ferdinand Piëch, président du conseil de surveillance de VW, a pu lancer l’offensive qu’il préparait de longue date : en octobre 2005, Porsche rachetait auprès de petits porteurs 19 % des parts de VW !
Pischetsrieder a tenté une contre-attaque. Avec l’aide du Land de Basse-Saxe, inquiet d’avoir perdu sa position de premier actionnaire, il a chargé le cabinet d’audit JP Morgan d’une singulière mission : vérifier si la double position de Piëch, actionnaire de Porsche et président du conseil de surveillance de VW, ne constituait pas un conflit d’intérêts. Mais tout le second semestre 2006, l’action VW a flambé : 50 euros en juillet, 90 euros en décembre. Car Porsche continuait d’acheter. Pischetsrieder a abattu une dernière carte à l’automne : contrer la montée de Porsche, qui détenait alors 27 % des parts, en augmentant le capital de VW. Désavoué par le conseil de surveillance, Pischetsrieder a démissionné. Piëch l’a remplacé par un de ses fidèles, Martin Winterkorn, patron d’Audi, sa marque chérie, car elle symbolise le bien-fondé de sa politique : désormais installée dans le secteur du haut de gamme, Audi a contribué pour plus de moitié aux bénéfices du groupe VW en 2006 !
Porsche a déclaré vouloir monter à 29,9 % dans le capital de VW. Au-delà, la loi allemande l’obligerait à lancer une OPA. Pour l’heure, Porsche n’y a guère intérêt. La législation de Basse-Saxe limite à 20 % les votes d’un actionnaire, quelle que soit sa participation. Mais Bruxelles, estimant cette disposition contraire à la libre concurrence, a saisi la Cour européenne de justice. Porsche attend sereinement sa décision. D’ores et déjà, le constructeur allemand a annoncé une augmentation de capital de 8 milliards d’euros. Il ne lui en faut pas davantage pour racheter la quasi-totalité des actions VW (39 %) encore entre les mains d’investisseurs.
Pour Piëch, la voie est libre. Pischetsrieder a disparu du paysage. Les petits actionnaires de VW sont enchantés de la plus-value réalisée en cédant leurs parts. Le Land de Basse-Saxe et les syndicats allemands se sont rangés de son côté après qu’il leur a donné l’assurance que les 20 000 suppressions de poste annoncées chez VW du temps de Pischetsrieder auraient lieu prioritairement dans les usines belges et espagnoles du groupe. Piëch va maintenant pouvoir réduire le capital flottant de VW en continuant à racheter des actions via Porsche pour gérer VW comme un groupe familial, affranchi de la pression des marchés. Et appliquer dans le haut de gamme sa stratégie des plates-formes, enrichie par l’expertise de Porsche. Il a défriché ce terrain : les 4×4 routiers Porsche Cayenne, VW Touareg et Audi Q7, ainsi que la berline VW Phaeton, sont bâtis sur le même châssis, les dernières Bentley, Lamborghini et Bugatti empruntent au savoir-faire d’Audi. BMW et Mercedes ne peuvent aligner une telle puissance de feu dans le haut de gamme.
À 71 ans, Piëch, le patriarche, est à deux doigts de son rêve : réunir la famille Porsche-VW sous un même toit, pour fêter la naissance de la Porsche Panamera, sportive de luxe à quatre portes, attendue pour 2009.

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