Nécessaire diversification

Malgré la concurrence des importations qui pénalisent les produits locaux, le pays veut promouvoir le maraîchage et l’agro-industrie.

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Ibrahima Guèye montre fièrement son champ de manioc qui s’étend sur près de 10 hectares. « Les prix ont tellement fluctué que je n’ai pas encore récolté », explique le président du conseil rural de Diender, près de Thiès, élu en 2002. Les commerçants lui proposent 1,6 million de F CFA (2 450 euros) par hectare, il en demande 2 millions. « Si on n’arrive pas à se mettre d’accord, je vendrai en sacs de 50 kg », prévient-il. Le calcul n’est pas mauvais puisque le prix atteint déjà 25 000 F CFA le sac, contre 20 000 l’année dernière. Ibrahima peut attendre. En revanche, son petit lopin de terre consacré à l’arachide fait grise mine. « Devant les problèmes de commercialisation, les paysans ont abandonné cette culture. Il est maintenant plus rentable de faire du maraîchage de contre-saison. »
Après une campagne arachidière 2005-2006 chaotique au cours de laquelle un grand nombre de paysans n’ont pas été payés, la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) a pris les devants. Devenue Suneor, elle a fixé les prix d’achat aux producteurs à 150 F CFA le kilo, dont 40 F CFA versés par l’État, contre 45 l’an dernier. Une annonce dont l’objectif est de rassurer les populations des régions de Diourbel et Kaolack vivant pour une large part de cette récolte, qui oscille entre 500 000 et 700 000 tonnes par an. La production du Sénégal, qui a occupé pendant de longues années la première place mondiale, représente aujourd’hui un peu moins de la moitié des échanges internationaux. Mais au-delà des volumes, la filière est en pleine restructuration : face à la concurrence du colza, du tournesol et de l’olive, et dans un contexte de baisse des cours, le marché de l’huile d’arachide est en perte de vitesse.
S’appuyant sur une grande diversité climatique, le pays axe à présent son développement agricole sur les fruits et les légumes qui ne représentent encore que 13 % de la consommation locale. Le potentiel est pourtant immense. La carotte, la tomate, le sésame, le chou, le gombo, l’aubergine, l’oignon et le haricot envahissent désormais les étals colorés de Dakar. La région de Niaye est devenue le grenier à légumes du pays. Quant aux fruits en provenance de la Casamance ou de la région irriguée du fleuve Sénégal, ils ont tout pour séduire. Les producteurs de mangues, pastèques, bananes et melons pensent déjà à l’exportation. Le bissap, quant à lui, bénéficie d’un programme particulier lancé par l’État en 2005. L’objectif est de parvenir à 100 000 tonnes par an, contre 700 actuellement.
Attirés par ce marché et les facilités fiscales accordées par l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix), de nombreux investisseurs ont tenté le pari de l’agro-industrie. C’est le cas de la société Versen créée en 2004 avec des capitaux espagnols et sénégalais. « Les conditions climatiques, la richesse du sol et les ressources en eau donnent au Sénégal les mêmes atouts que le Brésil et le Costa Rica », assure son directeur général, Alioune Correa. Avant d’ajouter : « L’Europe connaît des ruptures d’approvisionnement en fruits et légumes durant l’hiver. Du fait de sa proximité géographique, le Sénégal peut se positionner sur ce marché. » Versen possède trois sites : 35 hectares à Bayakh et 60 hectares à Kirène, entre Dakar et Thiès, ainsi que 5 000 hectares dans la région de Saint-Louis. Montant total des investissements : près de 10 milliards de F CFA dont 130 millions consacrés à l’achat des terrains. « Nous travaillons à la carte et en fonction des caractéristiques du sol. La première année à Bayakh a été très encourageante », se félicite Correa. Avec ses 10 hectares sous serres, l’exploitation dispose d’une pépinière, d’une station de repiquage, d’une installation automatisée d’arrosage et de traitement phytosanitaire, d’un bassin de rétention d’eau ainsi que d’un système de forage. Plus de 500 tonnes de poivrons et 245 tonnes de melons sont sortis de terre avant d’être conditionnés pour être envoyés en Espagne, en Allemagne et en Grande-Bretagne. « À Almería, le poivron met soixante jours pour arriver à maturation. Ici, il faut quarante-cinq jours, et les rendements sont meilleurs », triomphe-t-il.
À terme, lorsque les sites de Kirène (melons) et Saint-Louis (pêches, abricots, raisins, fraises, cerises et citrons) débuteront leur production, Versen devrait employer plus de 6 000 personnes en période de récolte. « Nous allons retenir les populations avec des salaires mensuels de 65 000 F CFA », annonce le patron maraîcher qui ne manque pas d’ambitions. La Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale) vient de lui accorder un crédit de 3 milliards de F CFA pour construire une chambre froide de conditionnement et se lancer dans la vente de boutures aux paysans de la région. « Tout le monde y trouvera son compte », assure-t-il. Ibrahima Guèye, du conseil rural, « applaudit l’initiative » mais regrette que Versen ne paie aucun impôt localement.
À côté de lui, Ibrahim Ndiaye, 23 ans, cherche toujours une terre. « J’ai un diplôme de technicien agricole mais, sans argent, il est impossible de se lancer », regrette-t-il en observant, autour de lui, les dizaines d’hectares non exploités. Ibrahima lui explique que la distribution des terres répond à des critères historiques : « Certaines familles conservent leurs droits même si elles sont parties vivre en ville. » « Les problèmes fonciers sont un frein au développement agricole et l’une des causes de l’exode rural. La réforme promise se fait attendre », constate amèrement un observateur. « Depuis 2000, l’État mène une politique volontariste avec notamment la loi d’orientation agropastorale. Mais malgré les aides et la force des organisations paysannes, l’agriculture sénégalaise cumule les handicaps », ajoute Mamadou Cissoko, leader du mouvement paysan et président d’honneur du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCCR).
En raison du climat sahélien, les récoltes dépendent à 95 % des précipitations. Les intrants chimiques, importés et coûteux, ont été préférés à la fertilisation naturelle des sols. L’absence de mécanisation ainsi que la prédominance d’une agriculture autarcique et familiale entraînent des rendements médiocres. « L’avenir de nos métiers est menacé », estime Cissoko, alors que le secteur primaire représente 15 % du PIB et occupe 70 % de la population. Les pluies abondantes durant la campagne 2006 ont permis de récolter 1,2 million de tonnes de céréales (mil, sorgho, riz, maïs, manioc et fonio), le cheptel composé de 12 millions de têtes de bétail n’a pas été frappé par la maladie et les fourrages sont en quantité suffisante. Mais, fondamentalement, les importations massives de produits alimentaires, évaluées à 294 milliards de F CFA en 2004, mettent en péril les filières locales. Quant aux planteurs de coton (50 000 tonnes par an), ils subissent de plein fouet les effets des subventions américaines à l’exportation. « Ce n’est pas admissible, proteste Cissoko, qui demande une hausse des taxes douanières. Notre marché est très fragile, et il n’est pas protégé. »
La filière industrielle des poulets de chair a été laminée par les importations de carcasses, à 75 % congelées, qui ont atteint plus de 13 000 tonnes en 2004, contre 1 100 tonnes cinq ans auparavant. Entre-temps, le Tarif extérieur commun (TEC) mis en place, en 2000, au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) a réduit certains droits de douanes de 60 % à 22,7 %. Sur les 10 000 emplois que représentait l’aviculture, entre 3 000 à 5 000 auraient été supprimés. La culture du riz n’a pas échappé, elle non plus, à la crise. « En 1995, nous produisions 43 quintaux de riz à l’hectare, explique Saliou Sarr, producteur de la région de Saint-Louis. Nous vendions nos récoltes à 125 F CFA le kilo. Aujourd’hui, grâce aux gains de productivité, nous sommes passés à 60 quintaux à l’hectare, mais nos prix ont chuté à 80 F CFA, alors que le riz importé est vendu entre 210 et 250 F CFA sur les marchés. Parallèlement, le Sénégal importe chaque année entre 600 000 et 800 000 tonnes de riz, contre une production locale de 150 000 tonnes que nous avons du mal à écouler. Qui sont les gagnants ? Les importateurs et les distributeurs. Sûrement pas les producteurs. » De la même manière, alors que le Sénégal est l’un des seuls pays d’Afrique de l’Ouest à disposer d’une industrie de transformation de tomates, les importations de concentré en hausse constante commencent à faire des ravages. En novembre 2006, les autorités ont temporairement fermé les frontières. Voulant jouer la carte internationale, le Sénégal va devoir à présent composer avec les règles du libre-échange.

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