Margaret Chan

Entrée en fonctions le 4 janvier, la nouvelle directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé a déjà fixé ses priorités. Interview.

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 7 minutes.

Le Dr Margaret Chan, seconde femme à occuper le poste de directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) après la Norvégienne Harlem Gro Brundtland, a pris ses fonctions le 4 janvier, à Genève. Estimée pour sa brillante carrière de trente ans dans la santé publique à Hong Kong, cette frêle mais énergique Chinoise au seuil de la soixantaine a bénéficié du soutien de Pékin et, dit-on, de sept pays africains membres du conseil exécutif, qui l’a désignée le 8 novembre 2006 parmi les cinq candidats en lice. On se souvient que, lors du sommet Chine-Afrique de Pékin, les 4 et 5 novembre dernier, le président Hu Jintao avait promis de participer au développement du continent, dont les populations, additionnées à celle de la Chine, représentent un tiers de l’humanité. Rien d’étonnant donc à ce que Margaret Chan ait annoncé, dès son élection, qu’elle se focaliserait sur les Africains et les femmes. Détail non négligeable : elle est une des rares personnalités de la santé mondiale à avoir une véritable expérience de gestion des maladies émergentes, dont l’irruption brutale et la mortalité rapide laissent la communauté scientifique provisoirement sans réponse. En ces temps où la grippe aviaire recommence à faire parler d’elle avec, à plus ou moins long terme, le risque d’une pandémie meurtrière, la présence à la tête de l’OMS de Margaret Chan peut sembler rassurante. Car elle a su se montrer efficace lors de la flambée de grippe aviaire à Hong Kong, en 1997 et plus tard, ou de syndrome respiratoire aigu sévère (sras) dans la province du Guangdong, en 2003. Quand on soupçonne le Dr Chan de complaisance à l’égard de Pékin et de sa rétention d’informations sur la progression de la grippe aviaire sur son territoire, elle ne se démonte pas et estime être « la personne la mieux placée pour exiger la transparence des autorités chinoises ». Entretien.

Jeune Afrique : Vous destiniez-vous à la santé en commençant vos études ?
Margaret Chan : Quand mon ami d’enfance, mon futur mari, m’a annoncé qu’il allait faire médecine, j’ai laissé tomber les beaux-arts pour le suivre, par amour ! Il n’aurait plus disposé de beaucoup de temps pour moi en étant médecin. Il nous fallait donc travailler ensemble. Je suis entrée au département de la Santé de Hong Kong en 1978 et l’ai dirigé à partir de 1994. Depuis 2003, j’ai occupé plusieurs hautes fonctions à l’OMS, ce qui m’a préparée à cette charge. La Chine, qui a proposé ma candidature, m’a offert la chance d’être nommée à un poste à haute responsabilité. C’est la démonstration du rôle que la femme peut jouer de nos jours. Il est temps pour les organisations et pour les pays de mettre en avant les compétences des femmes. L’un des objectifs de l’ONU est de leur donner plus de responsabilités, notamment dans les pays en développement. Si nous pouvions motiver les femmes et travailler avec elles en les utilisant comme agents du changement, cela diminuerait la mortalité des enfants, qui s’est accrue en Afrique depuis 1990, mais il faudrait, pour commencer, leur fournir l’eau et l’assainissement appropriés.

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Quel bilan faites-vous de la situation de l’OMS au moment d’en prendre les rênes ?
Il me plaît de constater que les chefs d’État et de gouvernement, partout dans le monde, accordent de plus en plus d’importance à la santé et qu’ils s’investissent dans la lutte contre le sida. D’autres signes vont aussi dans le sens de l’ouverture la plus grande possible que je souhaite donner à l’OMS, tels que l’arrivée de partenaires privés comme la Fondation Bill Gates, la Fondation Clinton et bien d’autres au Japon et en Europe. La santé est devenue un domaine fédérateur. Dans un monde bouleversé où les mauvaises nouvelles abondent, elle pourrait être une lueur d’espoir.

Vous avez inscrit la santé des Africains parmi vos priorités, comment cet intérêt va-t-il se traduire ?
Pendant ma campagne, j’ai visité une dizaine de pays en Afrique, j’ai relevé des succès sanitaires, notamment au Botswana, aux Seychelles, en Afrique du Sud, au Cap-Vert, où l’on a commencé à réduire la mortalité maternelle en faisant suivre la grossesse et l’accouchement par des personnes compétentes, des sages-femmes entre autres ; il faudrait répertorier les expériences positives et les reproduire ailleurs. Malheureusement, le niveau de la mortalité maternelle à l’échelle ?du continent reste inacceptable (160 000 morts par an).
Aujourd’hui, l’Afrique abrite 11 % de la population de la planète pour 20 % de la charge de morbidité et de mortalité dans le monde, et 3 % seulement des agents de santé, souvent concentrés dans les villes. C’est disproportionné. Le paludisme, le sida et la tuberculose sont de grands tueurs. Mais je ne veux pas entendre dire que l’on ne peut rien faire en Afrique, ce n’est pas vrai. Parce que santé et développement sont étroitement liés, en améliorant la santé des populations, nous les aiderions à sortir du piège de la pauvreté. Il revient maintenant aux pays concernés de mettre en uvre une politique de santé efficace. L’OMS est prête à les y aider.

N’est-ce pas là précisément le dilemme de l’OMS que de ne pouvoir agir sans le consentement de ses États membres ? L’absence de volonté politique n’est-elle pas votre premier obstacle ?
Lors de la réunion d’Abuja (mai 2006), les membres de l’Union africaine (UA) se sont engagés, dans une déclaration commune, à investir 15 % de leur budget dans la santé. Le soutien bilatéral devrait aussi les aider en termes d’investissement.

Le sida a tué des millions d’Africains depuis 1981, mais les progrès dans l’accès aux médicaments antirétroviraux sont insuffisants. Comment accélérer le processus ?
L’OMS travaille avec d’autres donateurs à offrir l’accès universel aux soins aux Africains. Mais attention, il s’agit d’en faire bénéficier les plus démunis, pas ceux qui peuvent se les offrir. Nous cherchons des solutions : les bénéficiaires pourraient être des travailleurs du sexe, des femmes, des enfants, des toxicomanes. Pour cela, nous devons tenir compte de plusieurs éléments : d’abord l’investissement propre du pays dans la lutte contre le sida, ses compétences techniques, le soutien des donateurs. Trop souvent, les systèmes de santé sont défaillants dans de nombreux pays africains. Par exemple, si une pandémie de grippe humaine devait y survenir, ce serait absolument dramatique, car au départ, rien ne distingue une grippe humaine banale d’une grippe à virus muté pouvant évoluer rapidement vers la pandémie. C’est pourquoi l’OMS a réagi tout de suite en aidant le Nigeria, premier pays atteint l’an dernier par la grippe aviaire. Il va falloir opérer des changements si l’on veut aboutir à des progrès rapides. Dans le cas de la grippe aviaire, tout est important, comme, par exemple, offrir des moyens de protection aux agents de santé qui vont dans les poulaillers repérer les volailles infectées ; il y a aussi tout un travail pédagogique à faire pour apprendre aux gens à ne pas approcher les volatiles ou les oiseaux au sol qui semblent malades.

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Mais comment se soigner dans les villages quand les médicaments sont inaccessibles ?
Il y a partout des expériences couronnées de succès dont on pourrait s’inspirer. Si une boisson peut aboutir à l’autre bout de la planète, pourquoi pas des médicaments ? Nous devons être plus créatifs, plus audacieux, et oser travailler avec d’autres secteurs qui disposent d’un réseau de distribution actif. Au Rwanda, par exemple, dans une région où il n’existe que quatre ou cinq hôpitaux et une quinzaine de cliniques, on dénombre huit cents églises Pourquoi ne pas travailler avec elles ? Imaginez l’impact !

Récemment, vos services indiquaient que plus de 30 % des médicaments disponibles en Afrique et en Asie étaient frelatés, donc inutiles, voire dangereux. Comment maîtriser la situation ?
Il faut que l’OMS coopère avec les gouvernements pour les aider à édicter des réglementations rigoureuses. Tous les pays ne possèdent pas un laboratoire d’analyse. Ceux qui n’en ont pas peuvent déjà recourir à notre programme de préqualification, qui devrait les aider à commander des médicaments de qualité. Mais ce qui me préoccupe le plus, ce sont les canaux illégaux par lesquels sont introduits les médicaments falsifiés sur le marché. Nous avons tenu des réunions de très haut niveau avec Interpol à ce propos et nous nous préparons à une conférence internationale des législateurs sur les médicaments contrefaits, qui aura lieu en 2008.

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Des médicaments trop chers, rares ou falsifiés, mais aussi un manque cruel de personnel soignant. Comment l’Afrique peut-elle s’en sortir ?
Cinquante-sept pays dans le monde, dont trente-six en Afrique, sont en pénurie aiguë de personnels de santé. Le problème doit être reconsidéré dans son ensemble : en termes de formation, d’emploi et de désemploi, mais aussi de rémunération. Il est urgent de se pencher sur les importantes migrations des travailleurs de santé africains avec les pays qui les laissent partir et ceux qui les attirent. Une alliance mondiale dédiée aux personnels de santé vient d’être créée. Elle va promouvoir, sous l’égide de l’OMS, un partenariat entre gouvernements, organismes d’aide, groupes de la société civile et organisations multilatérales, afin de former et de fidéliser ces agents. Malheureusement, cette formation nécessitera beaucoup de temps.

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