« Madam Speaker » s’en va-t-en guerre

Le président Bush et la nouvelle présidente démocrate de la Chambre des représentants se haïssent cordialement. La cohabitation s’annonce tendue !

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Elle est la bête noire de tout ce que les États-Unis comptent de réactionnaires plus ou moins allumés. Et l’espoir de ces liberals qu’on avait cru définitivement balayés par la vague ultraconservatrice qui a déferlé sur le pays il y a six ans. Entre George W. Bush, le « canard boiteux » retranché à la Maison Blanche jusqu’en 2008, et Nancy Pelosi, la nouvelle présidente démocrate de la Chambre des représentants (Speaker of the House), tout le monde s’attend à une cohabitation tendue, électrique, tant ces deux-là se haïssent. Elle le sera peut-être moins que prévu. Pour au moins trois raisons.
La première relève du timing politique. L’échéance décisive, c’est l’élection présidentielle de novembre 2008. D’ici là, personne n’a intérêt à déclencher une offensive générale, encore moins à multiplier les règlements de comptes partisans au risque d’effaroucher l’électorat modéré, qui, sauf exception comme en 2004, fait la décision. Selon toute apparence, républicains et démocrates devraient avancer leurs pions avec circonspection.
La deuxième est institutionnelle. Le Congrès a les moyens d’empoisonner la vie du chef de l’exécutif – surtout sur le plan budgétaire -, mais pas de lui imposer ses volontés, ne serait-ce que parce que le président dispose d’un droit de veto sur ses décisions. Quant à engager une procédure de destitution, le précédent Clinton montre qu’il s’agit d’une opération longue et hasardeuse Pelosi l’a d’ailleurs, par avance, exclu. Des enquêtes parlementaires et/ou judiciaires seront sans nul doute diligentées, mais de manière ciblée, tactique, dans le cadre d’une stratégie d’ensemble visant à affaiblir les positions du clan présidentiel, pas à l’amener d’emblée à résipiscence. Sans doute l’administration Bush devra-t-elle rendre des comptes pour sa gestion calamiteuse des conséquences de l’ouragan Katrina ou son utilisation des fonds alloués à la guerre en Irak. Mais pas pour ses mensonges ou ses coups tordus les plus graves.
La troisième tient au piège dans lequel l’armée américaine est engluée en Irak. Au point où en sont les choses, il n’existe plus de bonnes solutions pour en sortir. Reste à trouver la moins mauvaise. Or, comme à son habitude, Bush a choisi la pire : l’envoi de plus de 20 000 hommes en renfort et le déblocage de 1 milliard de dollars supplémentaires. Opposés à cette escalade, comme l’ont solennellement rappelé Nancy Pelosi et Harry Reid, son alter ego au Sénat, les démocrates ne peuvent prendre le risque de couper les vivres aux troupes déployées sur le terrain sans provoquer une débandade aux conséquences électorales, sécuritaires et géostratégiques incalculables. D’où la nécessité de jouer serré. « Nous fournirons à nos soldats toutes les ressources dont ils auront besoin, a expliqué Madam Speaker, mais en soumettant toute proposition d’accroître le niveau de notre engagement à un examen approfondi et en fixant des critères que le président devra respecter s’il veut bénéficier de subsides supplémentaires. »
Jusqu’à la présidentielle, le rôle de chef d’état-major est, chez les démocrates, dévolu à Pelosi, désormais troisième personnage de l’État – et première femme à occuper un poste aussi prestigieux. Certains s’en inquiètent : cette pimpante jeune grand-mère en tailleur Armani, par ailleurs médiocre oratrice et peu connue du grand public, en a-t-elle la carrure ? « Je ne pense pas être dure, mais suis ferme et forte, répond virilement l’intéressée. Ceux qui me connaissent savent qu’il ne faut pas jouer avec moi. »
Née en 1940 à Baltimore, ville de docks et de hauts-fourneaux, Pelosi est un pur produit du vieil establishment démocrate de la côte est, très proche de la classe ouvrière et des minorités ethniques. Elle-même est d’origine italienne. Tom D’Alesandro, son père, fut membre de la Chambre des représentants et maire de la ville (1947-1959), de même que l’un de ses frères, vingt ans plus tard. Selon une légende familiale complaisamment colportée, la jeune Nancy aurait appris à lire en recopiant avec application la longue, longue liste des services rendus par son père à ses obligés…
Après des études dans divers établissements catholiques, la jeune femme rencontre Paul Pelosi, jeune diplômé de Georgetown University qui devient son premier boy-friend sérieux. Si sérieux qu’elle l’épouse, en 1962. Le couple s’installe en Californie et, dans la grande tradition italienne, s’empresse de faire cinq enfants en six ans. Alexandra, la petite dernière, est aujourd’hui journaliste. On lui doit notamment un amusant documentaire sur la première campagne présidentielle de Bush (Journeys with George). Tandis que Paul fait fortune dans l’immobilier et la finance (il est à la tête d’un patrimoine estimé à 16 millions de dollars), Nancy éduque sa progéniture, puis, mission accomplie, se lance dans la politique. Au Parti démocrate, bien sûr. En 1987, elle est élue représentante du 8e district de Californie (San Francisco), sans doute le plus à gauche du pays. Elle sera, par la suite, constamment réélue avec des scores avoisinant 80 %. En 2002, elle est portée à la tête du groupe démocrate à la Chambre des représentants.
Pour un agriculteur du Missouri ou une institutrice du Nebraska, San Francisco, c’est Sodome et Gomorrhe. Et Pelosi, un danger mortel pour les valeurs fondatrices de l’Amérique, une gauchiste fanatiquement attachée à la promotion des droits des immigrés et des homosexuels. Dans son fief, en revanche, elle apparaît comme une centriste, très en retrait des ultras de son parti sur la question irakienne, par exemple. Elle est pour l’avortement et le contrôle des armes à feu. Contre la prière à l’école, la peine de mort, la baisse générale des impôts et le Patriot Act. Son programme prévoit des mesures immédiates en faveur des plus pauvres (relèvement du salaire minimum) et pour le contrôle des activités de lobbying, cette tumeur maligne de la vie publique américaine. Elle juge Bush « incompétent et dangereux », et les républicains « immoraux et corrompus ».
En politique étrangère, on ne lui connaît pas de vision géostratégique originale, mais elle est très engagée pour le Darfour (visite à Khartoum en février 2006) et la défense des droits de l’homme en Chine. Elle est aussi très pro-israélienne, comme en témoignent ces propos tenus en mai 2005 devant l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac) : « Certains affirment que le conflit israélo-palestinien a pour unique origine l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza. C’est un non-sens absolu. En vérité, la cause essentielle du conflit est le droit à l’existence d’Israël. Les États-Unis soutiennent ce pays, aujourd’hui et pour toujours. »
Sa principale force, elle l’a sans doute héritée de son père : c’est une apparatchik d’une redoutable efficacité, capable de maintenir la discipline dans les rangs turbulents des représentants démocrates. Depuis 2002, ces derniers ont respecté les consignes de vote de leur parti dans 88 % des cas. De mémoire de parlementaire, on n’avait jamais vu ça ! Elle aura besoin de tout son savoir-faire pour guider les premiers pas des nouveaux élus, novices en politique et donc très vulnérables. C’est aussi un inlassable collecteur de fonds, qui, sur ce point, ne le cède qu’à Hillary Clinton – une référence. Lors des élections de la mi-mandat, en novembre, elle est parvenue à lever 50 millions de dollars en faveur des candidats démocrates. Enfin, elle contrôle un vaste réseau d’affidés patiemment tissé au fil des années.
Ses points faibles ? Peut-être une relative inexpérience au plus haut niveau, qui peut lui coûter cher face aux « tueurs » patentés du clan Bush. Peut-être aussi, paradoxalement, la fortune de son mari. Elle possède à Washington un pied-à-terre d’un valeur de 1 million de dollars, et son train de vie est manifestement sans rapport avec ses émoluments de Speaker of the House (212 000 dollars par an). Il y a beau temps que des enquêteurs appointés par ses adversaires ont tenté de mettre le nez dans les affaires de Paul Pelosi. Sans succès, pour l’instant, mais comment croire qu’ils aient renoncé ?

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