France – Côte d’Ivoire : fini le pré carré !
« Jeune Afrique » fait le bilan des trois premières années de présidence Ouattara en ce qui concerne les entreprises hexagonales. Malgré quelques victoires, celles-ci sont prises de vitesse par les Américains et les Asiatiques.
C’est une déconvenue de taille pour Suez Environnement. Le 4 juin, le marché de la gestion intégrée des déchets solides ménagers et assimilés du district d’Abidjan a été attribué à un consortium mené par l’américain Wise Solutions CDI, illustre inconnu en Afrique.
Le groupe français était pourtant annoncé comme le grand favori de cet appel d’offres portant sur les quinze prochaines années. Marie-Ange Debon, directrice générale adjointe de Suez Environnement chargée de l’international, avait multiplié les déplacements dans la capitale économique ivoirienne pour défendre la cohérence de son offre et sa technologie de pointe en la matière, citant en exemple le site de traitement et d’incinération des déchets de Créteil, près de Paris. En vain. C’est un marché de 200 milliards de F CFA (environ 300 millions d’euros) qui échappe à la France.
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara, en 2011, les espoirs qui avaient accompagné l’élection de ce président francophile ont été en partie douchés.
Espoirs
Suez réagit
Suite à la publication de l’article « France-Côte d’Ivoire, fini le pré carré ! » dans Jeune Afrique no 2792 (du 13 au 19 juillet), nous avons reçu de Suez Environnement le courrier suivant :
« Suez n’a pas répondu à l’appel d’offres portant sur la gestion intégrée des déchets solides ménagers et assimilés du district d’Abidjan. -Marie-Ange Debonn a effectué aucun déplacement à Abidjan, ni dans le cadre de cet appel d’offres, ni à un autre titre. »
Réponse :
Dont acte. Nos sources « haut placées » maintiennent que Suez Environnement a bien pris part à cet appel d’offres. Selon nos informations, le directeur délégué Afrique de Suez a même séjourné dans ce cadre à Abidjan.
La rédaction
Un de plus, diront les mauvaises langues ! De fait, depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara, en 2011, les espoirs qui avaient accompagné l’élection de ce président francophile ont été en partie douchés.
Des exemples ? Fin 2011, Alstom a été coiffé au poteau par le consortium américano-coréen General Electric-Hyundai pour les travaux d’extension de la centrale thermique d’Azito, un contrat de plus de 300 millions d’euros.
Et en juillet 2013, Bureau Veritas a perdu, contre toute attente, le marché de concession du contrôle des importations, au profit de l’émirati Webb Fontaine.
« Le chef de l’État est un vrai libéral qui estime que la diversification des partenaires de notre économie est essentielle pour aller vers l’émergence. Les Français doivent se battre avec les mêmes armes que les autres. Fini le favoritisme », lâche un conseiller de Ouattara.
Paris reste malgré tout l’un des principaux partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire, et les échanges entre les deux pays continuent de progresser (1,3 milliard d’euros en 2011, 1,5 milliard en 2012, 1,7 milliard en 2013), tout comme les exportations françaises à destination du pays, qui ne cessent de battre des records (735 millions d’euros en 2011, 999 millions en 2012, 1,02 milliard en 2013). L’Hexagone demeure ainsi le deuxième fournisseur de la Côte d’Ivoire, après le Nigeria.
Et s’il est vrai qu’au cours de la longue crise qu’a traversée le pays de nombreux patrons français ont cédé leurs entreprises en Côte d’Ivoire à des hommes d’affaires libanais, 140 filiales et quelque 400 PME tricolores sont encore implantées dans la première économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), employant au total 40 000 personnes.
Orange reste le leader des télécoms, avec 43 % de part de marché ; Société générale se maintient à la première place des banques du pays ; Canal+ est toujours le seul distributeur de chaînes de télévision à péage ; et Bolloré a assis sa suprématie portuaire en décrochant la concession du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan…
Meute
À la veille de la visite de François Hollande en Côte d’Ivoire, prévue les 17 et 18 juillet – ce sera la première depuis son élection, en mai 2012 -, le tableau est donc loin d’être totalement noir. Accompagné d’une cinquantaine de patrons, le président français devrait signer plusieurs conventions dans le cadre du Contrat de désendettement et de développement (C2D).
Philippe Serey-Eiffel : L’homme qui murmure à l’oreille d’ADO
Il est réputé discret. Et pourtant, ce sexagénaire est l’un des conseillers économiques les plus influents d’Alassane Ouattara.
Attentif au moindre détail, le Français forme avec Isaac De, conseiller chargé des infrastructures, et Jean-Luc Bédié, spécialiste des marchés financiers et du secteur bancaire, le trio qui épluche les grands dossiers économiques du quinquennat.
« Les entreprises françaises qui étaient en Côte d’Ivoire depuis longtemps, de Bolloré à Bouygues en passant par Accor, réinvestissent massivement depuis la fin de la crise », insiste Julien Lefilleur, responsable de l’Afrique de l’Ouest chez Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) chargée du secteur privé.
Mais sur les 109 entreprises françaises accompagnées par Ubifrance (une structure placée sous la tutelle du ministère de l’Économie), peu sont passées à l’acte, malgré quelques très bonnes surprises comme l’arrivée de Carrefour et de Cdiscount ou l’offensive d’Onomo, un petit groupe hôtelier français contrôlé désormais par la famille Ruggieri.
« Les difficultés des nouvelles entreprises françaises à gagner des marchés en Côte d’Ivoire sont dues au fait qu’elles manoeuvrent en solitaire, contrairement aux Asiatiques ou aux Américains, qui chassent en meute », explique un homme d’affaires français rompu aux arcanes du business en Côte d’Ivoire : « Par exemple, pour le marché des déchets, les Américains ont bâti un consortium de six entreprises, alors que Suez Environnement s’est présenté tout seul. »
Lire aussi:
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– La Côte d’Ivoire demande l’annulation pure et simple de sa dette auprès de la France
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Lenteur
Longtemps un pilier des relations économiques franco-ivoiriennes, l’avocat d’affaires Jean-François Chauveau incite désormais ses compatriotes à travailler avec les Asiatiques.
« C’est lui qui a convaincu Bouygues de faire un consortium avec les sud-coréens Dongsan Engineering et Hyundai pour le projet de train urbain d’Abidjan », explique un conseiller du ministre ivoirien des Transports.
Autre reproche adressé aux investisseurs français : la lenteur de la prise de décision. « Les entreprises du Sud sont plus opportunistes, elles ne font pas forcément des années d’étude de marché avant de se lancer », constate un financier français installé en Côte d’Ivoire.
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Nouveaux venus sur les rives de la lagune Ébrié ou « vieux Africains », ayant fait leurs armes ailleurs sur le continent, ces entrepreneurs français sont devenus des patrons ivoiriens, acteurs majeurs de l’économie de la Côte d’Ivoire et de la relation privilégiée avec l’Hexagone. Portraits.
Briser les monopoles
Le goût du gouvernement ivoirien pour les marchés de gré à gré en a par ailleurs découragé plus d’un, mais, paradoxalement, certains groupes hexagonaux ont aussi été victimes de leur toute-puissance. À la présidence, en effet, des directives claires ont été données pour briser les monopoles, ce dont plusieurs groupes français ont pâti.
Accor, jusqu’alors incontournable dans l’hôtellerie d’affaires, voit exploser la concurrence ; Castel a vu arriver sur le marché les Brasseries ivoiriennes, du groupe régional Eurofind ; et dans le secteur de la cimenterie, le groupe Amida, via sa filiale historique Ciminter, subit de plein fouet la concurrence du marocain Addoha, qui a ouvert récemment une usine à Abidjan…
Ironie de l’histoire, cette politique de lutte contre les monopoles a été mise en musique par un Français, Philippe Serey-Eiffel, principal conseiller économique de Ouattara.
« Les Français n’ont de toute façon pas besoin de lobbying politique. La Côte d’Ivoire est un pays ami : s’ils veulent vraiment venir, ils seront bien accueillis », lâche un homme d’affaires français implanté de longue date dans le pays.
Selon lui, le problème est avant tout dans la tête des investisseurs hexagonaux, qui continuent d’avoir « une mauvaise image » de l’Afrique en général. Et de la Côte d’Ivoire en particulier.
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