La Casamance sans son abbé

La mort du leader historique du mouvement indépendantiste Augustin Diamacoune Senghor est-elle source d’inquiétude ou espoir de retour à la paix dans le sud du pays, en proie depuis vingt-cinq ans à un conflit ?

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

L’âme du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) est montée au ciel. La disparition, le 14 janvier, à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, son leader historique, marque un tournant important dans l’histoire du mouvement rebelle qui combat dans le sud du Sénégal depuis le 26 décembre 1982. Mais également dans l’évolution de la Casamance, cette région du Sénégal coincée entre la Gambie et la Guinée-Bissau, en proie à des violences récurrentes au nom de revendications indépendantistes.
De Kolda à Bignona, de Marsassoum à Ziguinchor, les Casamançais ont accueilli avec une émotion retenue la mort du prêtre reconverti en apôtre de la lutte armée, puis en homme de paix à l’issue de l’accord de décembre 2004. Vingt-cinq ans d’embuscades meurtrières et de demi-réconciliations ont fini par avoir raison de leur patience. Et par convaincre qu’il était temps de signer une paix des braves. Vivant sur la zone la plus pluvieuse, la plus riche et la plus attractive du pays, les Casamançais affrontent pourtant des difficultés économiques par la faute de la guerre. L’insécurité freine l’essentiel de leurs activités. Cap Skirring, coquette station balnéaire, jadis courue des touristes venus du monde entier, affiche aujourd’hui des taux de fréquentation désespérément bas.
La mort de celui dont s’est peu ou prou réclamée l’insurrection armée depuis son éclatement éveille des espoirs de paix chez les uns, des craintes de nouvelle guerre chez les autres. Parmi les Diolas, Socés, Mandjaks, Balantes, Peuls et Wolofs qui cohabitent en Casamance, beaucoup ne font pas mystère de leur souhait de voir disparaître avec Diamacoune une rébellion qui s’est criminalisée au fil des ans et qui multiplie quotidiennement les dérives : rackets, pillages, agressions contre les personnes, attaques des commerces Mais d’autres se demandent si, après la mort du vieux maître, les disciples ne vont pas être livrés à eux-mêmes et succomber aux sirènes de la radicalisation et de la violence. Le mouvement, à l’origine structuré et cimenté par les valeurs d’honnêteté et de respect de l’autorité bien ancrées en milieu diola, est devenu un ensemble hétéroclite, constitué d’autant de factions que de chefs de guerre en manque d’argent et de reconnaissance. La mort de l’abbé, qui constituait l’unique point de convergence, dépositaire d’une autorité morale incontestée, n’est pas pour arranger les choses. Celui qui se proclamait héritier spirituel de la reine Aline Sitoë Diatta, résistante à la pénétration coloniale, lègue une structure désarticulée à de jeunes loups aux dents longues.
Le MFDC est aujourd’hui divisé entre cinq factions qui se disputent le leadership et la légitimité du mouvement, quelquefois par les armes. César Atoute Badiate dirige le camp Kassolol, Magne Diémé est à la tête de Mahmouda, tandis que Salif Sadio, qui incarne l’aile dure, pilotait à lui seul jusqu’à sa fuite, en avril 2006, Petit Balandine, Tambaf et « l’état-major » de la rébellion. Chacune de ces factions compte entre 200 et 300 hommes au gré des défections et des enrôlements.
Mystérieux, direct et comminatoire, le quadragénaire Salif Sadio est le mieux armé et le plus radical des dirigeants du MFDC. En mars 2006, ses hommes ont fait face un mois durant à l’armée bissauguinéenne – à laquelle les autorités sénégalaises, bien qu’elles s’en défendent, ont « sous-traité » la guerre – appuyée par les factions Kassolol et Mahmouda, qui ont regagné pour l’occasion les rangs du président sénégalais Abdoulaye Wade. Défaites, les troupes de Sadio ont changé de quartier général, ailleurs dans la forêt épaisse de la région.
Le chef de l’État bissauguinéen, João Bernardo « Nino » Vieira, faisait ainsi d’une pierre deux coups. Il prenait sa revanche sur celui qui, en 1999, avait prêté main-forte à son tombeur, le général Ansumane Mané, mort en novembre 2000 au cours d’une tentative de putsch contre le président Kumba Yala. Et rendait également service à son ami et homologue Abdoulaye Wade qui a mis à prix la tête de Sadio, auquel il reproche d’organiser des attaques sanglantes et récurrentes.
D’un conflit interne, la crise casamançaise a dépassé les frontières sénégalaises pour prendre une dimension sous-régionale. Après la déroute de ses troupes, Salif Sadio a rejoint la Gambie, où il semble bénéficier de la bienveillance du pouvoir. Comme pour renforcer la suprématie de son « protégé » sur les autres seigneurs de guerre du MFDC, le président Yahya Jammeh a arrêté et emprisonné le chef de Mahmouda, Magne Diémé. Sa faute ? Avoir transité par imprudence sur le territoire gambien. Si la Gambie nie accueillir Sadio, un haut responsable du MFDC assure que celui-ci n’a pu être joint, dans les minutes qui ont suivi le décès de Diamacoune, que par l’entremise du ministre gambien de l’Intérieur.
En froid avec Wade, qu’il soupçonne d’avoir fomenté deux tentatives de coup d’État pour le renverser, Jammeh ne ménage pas ses efforts pour entraver la résolution de la crise casamançaise. De source proche de la présidence sénégalaise, le président gambien aurait organisé, en juillet 2006, une entrevue entre le rebelle et le chef de l’État ivoirien, Laurent Gbagbo, alors en visite officielle à Banjul. S’il tente de sauver les apparences, ce dernier cherche à rendre la monnaie de sa pièce à Wade, qui aurait délivré un passeport diplomatique au chef des rebelles ivoiriens, Guillaume Soro, régulièrement reçu avec les honneurs à Dakar
Crédité de moyens financiers importants et d’un stock d’armes récemment acquis, Sadio – que Jammeh aurait même introduit dernièrement auprès du « Guide » libyen, Mouammar Kadhafi – tarde toutefois à modifier le rapport des forces sur le terrain. À en croire un responsable du MFDC, qui s’est rendu dans le maquis en décembre dernier, « les combattants montrent des signes de lassitude mais ont peur de se rendre. La plupart d’entre eux sont malades. Ils mangent mal, se déplacent beaucoup, s’enivrent de vin de palme et s’abreuvent d’eau stagnante. »
Depuis juin 2006, l’armée sénégalaise s’est repositionnée à Bignona, dans le sud de la région, mettant en veilleuse l’accord de paix signé le 30 décembre 2004. Cent cinquante soldats marocains, appuyés par une cinquantaine de médecins et d’infirmiers militaires, sont arrivés fin décembre 2006 dans la région. Officiellement chargés de neutraliser les mines dans les zones qui en sont parsemées, ils sont accusés par les rebelles d’être en réalité des guérilleros et des espions venus prêter main-forte à l’armée régulière.
La Casamance n’échappe pas en tout état de cause au contrôle des forces loyalistes. L’ex-secrétaire général de la rébellion, Ansoumana Badji, l’a bien compris, qui prône avec beaucoup de réalisme l’urgence de discussions. « En vingt ans, nous n’avons pu libérer une seule parcelle de la Casamance, déclare-t-il. Nous devons à présent négocier une paix honnête et équitable avec le pouvoir central. » Sera-t-il entendu ? Pour l’heure, rébellion et autorités sénégalaises doivent faire face à une nouvelle donne : la mort de Diamacoune.
La direction du MFDC est plus que jamais divisée. Trois de ses responsables revendiquent la succession légitime du défunt : le maquisard Salif Diallo, l’irréductible Nkrumah Sané exilé à Paris, et le secrétaire général du mouvement, Jean-Marie Biagui, qui s’est autoproclamé « président par intérim » après la mort de l’abbé.
De son côté, le pouvoir sénégalais semble éprouver de sérieuses difficultés à pacifier le sud du pays. Après son conseiller spécial Latif Aïdara, le général de gendarmerie Abdoulaye Fall, le président du Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales Mbaye Jacques Diop, c’est Farba Senghor, ministre de l’Agriculture, que Wade a récemment désigné comme missi dominici auprès des hommes du maquis. Sera-t-il en mesure de rompre avec « la politique de la mallette » qui, de l’avis d’observateurs avisés, entretient depuis l’ère Abdou Diouf des positions de rente et contribue à faire perdurer la rébellion ?

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