Face à Wade

L’élection présidentielle se tiendra finalement le 25 février alors que les législatives devraient être reportées au mois de juin. Dans les deux cas, la bataille promet d’être féroce. Passage en revue des forces en présence.

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Jamais avare en rebondissements, la campagne électorale sénégalaise a pris une tournure inédite le 12 janvier, après l’annonce de l’annulation, par le Conseil d’État, du décret présidentiel portant répartition des sièges des députés pour les prochaines législatives. Initialement couplées au premier tour de la présidentielle, toujours prévu le 25 février 2007, celles-ci risquent d’être reportées au mois de juin. Bref rappel des faits. Le 8 décembre 2006 : le président Abdoulaye Wade, 80 ans, et candidat à sa propre succession – il a été officiellement investi, le 16 octobre 2006, par le Parti démocratique sénégalais (PDS) -, concocte un décret portant à 150 (contre 120 actuellement) le nombre de députés. Un décret mal ficelé immédiatement attaqué, notamment par les socialistes, qui introduisent un recours en annulation, au motif que le nouveau découpage favoriserait outrageusement le parti au pouvoir. Aujourd’hui, les observateurs se demandent si l’opposition n’est pas tombée dans un piège en provoquant le report des législatives, ce qui, finalement, pourrait profiter au président.
« Wade peut être machiavélique, explique un expert du microcosme dakarois. L’idée du couplage l’arrangeait lorsque son parti était fragilisé par la défection d’Idrissa Seck et de ses partisans, elle permettait de limiter la casse. Mais aujourd’hui, ses adversaires avancent en ordre dispersé : la Coalition populaire pour l’alternative (CPA), qui a matérialisé l’éphémère unité de l’opposition, a volé en éclats, et la conjoncture lui est de nouveau favorable pour la présidentielle. En revanche, l’issue du scrutin législatif paraît plus incertaine. Il est tentant pour lui de le différer, le temps de voir clair et de capitaliser sur la dynamique de son éventuelle réélection. »
Longtemps caressée, l’idée d’une candidature unique de la CPA a finalement capoté. De fait, le socialiste Ousmane Tanor Dieng, héritier de l’ancien président Abdou Diouf, l’ex-Premier ministre Moustapha Niasse (Alliance des forces de progrès) et le leader de la Ligue démocratique/Mouvement pour le travail (LD/MPT), Abdoulaye Bathily, jusque-là regroupés dans la CPA, iront tous les trois au front. Un autre baron du PS, le maire de Ziguinchor, Robert Sagna, animateur du courant Démocratie et socialisme, en rébellion ouverte contre Tanor, serait lui aussi décidé à tenter sa chance. Tout comme Idrissa Seck, l’ancien dauphin de Wade, qui a annoncé en octobre 2006 la création de son parti, baptisé Rewmi (« le pays », en wolof).
Jeune, ambitieux et fonceur, celui que ses compatriotes surnomment « Idy » croit en son étoile. Soupçonné d’avoir voulu « enterrer le vieux trop vite », il a été démis de ses fonctions de Premier ministre en 2004. Tombé en disgrâce, il a été emprisonné pendant sept mois, entre juillet 2005 et février 2006, dans le cadre du scandale politico-financier des « chantiers de Thiès », la ville dont il est le maire. Contre toute attente, cet épisode judiciaire a renforcé sa popularité et lui a permis d’élargir son assise. Redoutable orateur, ce musulman moderne à la ferveur démonstrative est devenu l’un des plus farouches contempteurs d’un système qu’il a activement servi. Son éventuelle présence dans la course constitue la grande inconnue du scrutin présidentiel. Une fraction significative de la jeunesse qui avait massivement voté pour Abdoulaye Wade, le chantre du sopi (« le changement », en wolof) en 2000, serait prête à le soutenir. Mais surtout, Seck disposerait d’un trésor de guerre considérable
L’ex-opposition plurielle a suivi avec intérêt ses démêlés avec le pouvoir. Mais l’ascension du « phénomène » a contrarié ses plans et débouché, par ricochet, sur une profonde recomposition politique. La coalition de circonstance scellée par Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse a finalement éclaté. Conséquence : l’un et l’autre défendront leurs couleurs le 25 février. Si l’addition de leurs forces respectives aurait pu leur permettre de mettre le président en ballottage, leur choix de faire cavalier seul risque de leur coûter la deuxième place au profit du trublion Idrissa Seck.
Niasse, comme Tanor, qui rêvaient tous deux des premiers rôles, risquent maintenant de devoir jouer les forces d’appoint. Pour qui ? En s’appuyant sur ses alliés de toujours, Amath Dansokho, le leader du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), et Madior Diouf, le chef du Rassemblement national démocratique (RND), Niasse a monté une coalition sur les restes de la CPA. Baptisée Alternative 2007, elle l’a investi pour la présidentielle, et a offert à Dansokho la tête de liste aux législatives, où les trois formations feront liste commune. Et beaucoup parient sur la reconstitution d’un ticket Wade-Niasse pendant l’entre-deux-tours, si d’aventure le président sortant était placé en ballottage. En échange de son ralliement, Niasse pourrait se voir offrir un poste de vice-président (qui n’existe pas encore), car la primature, qu’il a déjà testée avec Wade en 2000, ne l’intéresse plus.
Le rabibochage entre les deux hommes pourrait être favorisé par leur commune hostilité à l’endroit d’Idrissa Seck, qui s’est trouvé, lui, un nouvel allié en la personne de Tanor Isolé, critiqué pour son manque de charisme et son autoritarisme, le chef du PS a officialisé son rapprochement avec Rewmi, mais aussi la LD/MPT de Bathily et le Bloc des centristes gaïndés (BCG) de Jean-Paul Dias. Cette coalition Jaam Ji (« la paix », en wolof) présentera une liste commune aux législatives et soutiendra le candidat le mieux placé à l’issue du premier tour de la présidentielle. En cas de victoire de Seck, Tanor pourrait alors légitimement revendiquer le poste de Premier ministre. Ou vice-versa.
En l’absence de sondages crédibles, difficile d’estimer le potentiel de chacun. Le socle électoral de Wade est évalué aux alentours de 30 % à 35 %. Il avait fait 31 % lors du premier tour en février 2000 contre Diouf et l’avait emporté au second tour avec 58 % des voix. L’important report des voix de Moustapha Niasse, qui avait obtenu 17 %, avait été déterminant. Si Wade compte bien bénéficier de la « prime aux sortants », il pourrait toutefois être victime d’une certaine usure. Les deux phénomènes s’annuleront-ils ? À voir. Tanor et Niasse, eux, pèseraient chacun entre 10 % et 20 % des voix. Mais l’éclatement du paysage politique risque fort de les pénaliser, et leurs scores pourraient en pâtir, Robert Sagna pouvant espérer récolter 5 % des voix. Il sera le premier candidat de confession catholique depuis Léopold Sédar Senghor et pourrait rallier nombre de suffrages en Casamance. Quant à Idrissa Seck, on le créditerait au minimum d’une vingtaine de points.
Dans la dernière ligne droite, tout reste possible : les ralliements les plus inattendus comme les défections les plus spectaculaires. L’une des principales interrogations concerne la candidature effective d’Idrissa Seck. L’étau judiciaire s’est resserré autour de lui et Bara Tall, le patron de Jean Lefebvre Sénégal, un entrepreneur impliqué dans l’affaire des chantiers de Thiès, a été incarcéré en novembre. Un rebondissement judiciaire peut-il l’éliminer de la course ? Cette hypothèse, qui provoquerait des remous, dégagerait la voie au président Wade, qui pourrait alors espérer l’emporter dès le premier tour.
La présidentielle 2007 sera l’élection de tous les règlements de comptes. Seck contre Wade, Niasse contre Seck, Sagna contre Tanor Ce qui fait dire à beaucoup que la tension risque d’être forte à l’approche comme à l’issue du scrutin. Quant au débat, au-delà des querelles de personnes, il va naturellement s’organiser autour du bilan de l’alternance. Les inconditionnels du sopi mettent en avant les performances économiques et les grands chantiers d’infrastructures. Ses détracteurs, eux, stigmatisent les espérances déçues sur le front du chômage, la dégradation du climat politique, le populisme du pouvoir et le développement de l’affairisme. Mais rien de tout cela ne doit faire illusion. Au pays de la transhumance, toutes les recompositions et tous les attelages, même les plus improbables, resteront possibles aux lendemains des élections

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