Docteur Douste et Mister Blazy

Jamais un ministre des Affaires étrangères n’avait été autant raillé et critiqué que celui-là. Rencontre avec un homme blessé qui ne s’explique toujours pas le lynchage médiatique dont il se dit la victime.

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 8 minutes.

« Je rêve d’un journaliste qui fasse enfin une enquête objective sur moi. » Cette petite phrase en forme de cri du cur est la première – ou presque – que Philippe Douste-Blazy a prononcée en nous recevant dans son bureau du Quai d’Orsay. Nous voilà donc prévenus. Affaire d’ego, bien sûr : cet homme né un 1er janvier – il vient de fêter ses 54 ans – se verrait bien objet d’étude, cas d’école, voire sujet de thèse. Question de fierté, surtout. Rarement ministre des Affaires étrangères aura été autant critiqué, raillé, vilipendé que ce médecin cardiologue originaire de Lourdes, la ville des miracles, propulsé un jour de juin 2005 sous les ors du plus beau bâtiment ministériel de France. « Jamais, auparavant, on n’avait ainsi remis en cause mes qualités professionnelles et mon travail, explique-t-il, visiblement peiné. J’en ai été surpris, choqué et, bien sûr, blessé. » Ce qu’il faut bien appeler le lynchage médiatique de Philippe Douste-Blazy – même si, reconnaissons-le, la victime a souvent tendu les verges pour qu’on le batte – a commencé par les surnoms. « Mickey d’Orsay », « Mister Bluff », « Douste Blabla » Puis sont venues les anecdotes ravageuses le dépeignant sous les traits d’une sorte de benêt du village, opportuniste et satisfait, qui enfilerait les bourdes comme des perles. Enfin est arrivé le jugement, en forme de couperet : l’erreur de casting que fut sa nomination serait le symbole et le syndrome d’une fin de règne interminable, celle de Jacques Chirac. À trois mois de l’élection présidentielle et de l’issue programmée de sa propre mission, le locataire du Quai a donc une obsession : se défaire de l’image calamiteuse qui lui colle à la peau et réparer ce qu’il estime être une profonde injustice. Alors, Philippe Douste-Blazy écrit (ou plutôt dicte) un livre sur son expérience au Quai. Et recherche, désespérément, un journaliste objectif
Lorsque, en juin 2005, l’ancien ministre de la Santé, puis de la Culture, passé par les mairies de Lourdes et de Toulouse tout en siégeant au Palais-Bourbon comme député des Hautes-Pyrénées, accède aux très convoitées Affaires étrangères, le choc est rude pour les fonctionnaires de cette grande maison. PDB est précédé d’une réputation peu en phase avec les exigences du lieu : celle d’un politicien malin, rapide, intuitif, qui a le sens des médias et le goût du risque, fonctionne à l’oral et cultive une désinvolture, parfois une légèreté, insupportables pour des diplomates très pénétrés de leur rôle. Peu d’entre eux savent que Philippe Douste-Blazy s’est battu pendant trois ans pour obtenir ce poste prestigieux et qu’il l’a obtenu de justesse, à force d’insistance, alors qu’on lui proposait les Affaires sociales. Tous y voient un cadeau de Jacques Chirac pour son ralliement à l’UMP (Union pour un mouvement populaire) en 2001. « En réalité, confie un proche de Chirac, c’est Dominique de Villepin qui a fait pencher la balance en sa faveur. Il se disait que, avec Douste au Quai, flanqué du très précieux Pierre Vimont comme directeur de cabinet, il pourrait continuer à tirer les fils. Mais, comme d’habitude, Villepin a surestimé sa capacité à tout contrôler. » L’intéressé, on l’imagine, y voit une tout autre explication : « Si j’ai demandé ce ministère, c’est parce qu’il s’inscrivait logiquement dans le sens de ma carrière, assure Douste-Blazy. J’ai été chef de clinique et professeur de santé publique, j’ai fait quinze ans d’action humanitaire aux côtés, notamment, de mon ami Bernard Kouchner, le temps était venu de faire coïncider cet engagement avec la politique extérieure de la France. Avec la prolifération nucléaire, l’humanitaire est sans doute le sujet mondial numéro un du XXIe siècle. » Il n’empêche. Lorsqu’il expose ses idées devant ses nouveaux collaborateurs, ces derniers ouvrent des yeux ronds : « Ils se demandaient ce que je racontais là, explique PDB, et ils se disaient que je me trompais de ministère, alors que je leur proposais de mettre en uvre la politique la plus audacieuse que le Quai avait à accomplir depuis longtemps ! »
En juin 2005, Philippe Douste-Blazy se donne « un an pour apprendre ». L’état de grâce ne durera que quelques semaines. Distillées de l’intérieur et amplifiées à l’extérieur par le réseau apparemment acharné de ses ennemis politiques – au premier rang desquels figure le patron sortant du Conseil supérieur de l’audiovisuel, Dominique Baudis -, les petites histoires croustillantes, voire salaces, sur le comportement et l’amateurisme du ministre font les délices des rédactions parisiennes. Lors d’une visite au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, en septembre, Douste se serait enquis du sort des « Juifs d’Angleterre » pendant la Seconde Guerre mondiale. À l’occasion d’une visite à Paris de la présidente du Sri Lanka, il aurait confondu la Thaïlande avec Taiwan. En décembre, c’est le pompon. Il se raconte, puis s’imprime, que Douste, en vacances à La Mamounia de Marrakech, a eu une violente altercation avec sa compagne, occasionnant pour 30 000 euros de dégâts dans la suite que le couple occupait. Plus récemment, fin novembre 2006, c’est le coût de son voyage en Inde, à bord d’un avion de location, qui fait la une du Canard enchaîné : près de 300 000 euros ! « Faux, honteux, inouï, s’emporte Douste. Yad Vashem, la Thaïlande, tout cela, ce sont des inventions. Qu’on m’apporte des preuves, des témoignages précis ! À La Mamounia, c’est vrai qu’il y a eu une engueulade que les voisins ont entendue. Mais l’ancien et le nouveau directeurs de cet hôtel, Robert Bergé et Mohamed Chab, ont certifié par écrit que les dégâts ne furent que minimes, à peine un cendrier ébréché. Quant à mon voyage en Inde, pour un sommet avec Bill Clinton, Sonia Gandhi et trois de mes collègues, le ministère m’a loué un appareil chez une compagnie suisse après appel d’offres parce que les ?avions officiels étaient tous occupés. Je signale au passage que le tarif était 20 % moins cher que celui pratiqué par le ministère de la Défense lorsqu’il nous affrète l’un de ses avions ! » Interrogé sur l’origine, selon lui, de ce qu’il qualifie d’« acharnement indécent », Philippe Douste-Blazy se ferme, énigmatique. « J’ai ma petite idée, qui n’a rien à voir avec la politique nationale. Ceux qui veulent ma peau connaissent très bien le système. Il y a un fil rouge à tirer, mais je le garde pour moi. » On l’aura compris : ce « fil rouge » ne saurait en aucun cas être de son fait, encore moins relever de sa propre (ir)responsabilité. Studieux, le ministre se replonge aussitôt dans les fiches préparées par ses collaborateurs, qu’il lit avec le plus grand naturel, pour répondre à nos questions, dès que celles-là s’éloignent des terrains qui lui sont familiers
Cet amateur de golf, qui affirme travailler « quatorze ou quinze heures par jour », n’ignore pas que sa marge de manuvre par rapport à Jacques Chirac est extrêmement faible. Cela semble l’arranger et il le revendique : « S’il y avait autonomie, cela voudrait dire qu’il y aurait une différence entre le président et moi. Or je n’ai aucune divergence de vue avec Chirac. Il est parmi les dix personnes qui, au monde, connaissent le mieux les affaires internationales : quelle légitimité aurais-je pour lui porter la contradiction ? » Mais cette osmose ne signifie pas pour autant que le Docteur Douste soit en panne d’idées et de jugement. Intarissable sur la crise du Darfour, qu’il connaît manifestement très bien, il est également à l’aise sur le Maghreb. Lui qui, pour avoir rencontré les infirmières bulgares dans leur prison de Benghazi et qui juge « choquante » leur condamnation à mort, n’hésite pas à dire qu’à ses yeux de médecin, « comme pour 99,9 % de la communauté internationale », elles sont innocentes. Lui qui, en octobre 2005, avait reçu des opposants tunisiens à l’ambassade de France à Tunis, une initiative dont la conséquence immédiate fut l’annulation de son audience prévue avec le président Ben Ali, tient à marteler que « si c’était à refaire, [il] le referai[t] », tant il est vrai que « les droits de l’homme sont un marqueur essentiel de la démocratie ». Lui qui, enfin, fut l’un des initiateurs de la fameuse et très controversée loi du 23 février 2003 sur le rôle positif de la colonisation française en Algérie persiste à sa manière – en assumant du bout des doigts un texte purement électoraliste qu’il a, dit-il, signé « par solidarité » en tant que secrétaire général de l’UMP, mais qu’il se défend d’avoir présenté. Oui, bien sûr, le ministre peut admettre que, « vu d’Alger, cela puisse choquer ». Mais, ajoute-t-il, « 75 % des Algériens ont moins de 25 ans. Leurs dirigeants devraient donc comprendre qu’ils doivent cesser de regarder la relation avec la France dans le rétroviseur. »
Mais la vraie passion, le vrai bijou et le vrai joujou de Mister Blazy a pour nom Unitaid, acronyme très charity business d’une fondation ambitieuse dont le but est de contribuer à la lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme et la faim dans le monde à raison de 1 milliard de dollars par an pendant vingt ans. Lancée en 2005, l’initiative Unitaid, dont PDB préside le conseil d’administration, est née d’une idée conjointe Chirac-Lula (le président brésilien), avec comme financement espéré les revenus dégagés par la fameuse taxe sur les billets d’avion. « Une idée géniale », applaudit Douste, qui revendique le privilège d’y avoir fait adhérer Bill Clinton en personne « à l’issue d’un entretien de trois heures dans son bureau de New York ». Enthousiasmé par ce projet, qui revient à subventionner une vaste centrale d’achat de médicaments à la disposition de l’OMS et de l’Onusida, l’ancien président américain aurait accepté de transférer 200 millions de dollars de sa propre fondation dans les caisses d’Unitaid. « C’est la réalisation dont je suis le plus fier », confie-t-il. Un rêve de « French Doctor » que le ministre devra cependant laisser à d’autres au lendemain du 6 mai, date du second tour de l’élection présidentielle. Que fera-t-il ensuite ? « Je ne me projette jamais, dit-il, et puis je suis président de l’agglomération du Grand Toulouse jusqu’en mars 2008. J’ai donc de quoi m’occuper. » En réalité, ce faux modeste, qui a attendu l’avant-veille de Noël pour officialiser son soutien à Nicolas Sarkozy, espère mieux et plus. Un nouveau maroquin ? Rien n’est exclu, même si son ralliement un peu tardif à Sarko lui a valu ce commentaire acerbe d’un très proche de ce dernier, Patrick Devedjian : « Comme les hirondelles suivent le printemps, Douste Blazy ne se trompe jamais de succès » – manière de signifier qu’il vole au secours de la victoire. « De Devedjian, no comment », lâche devant nous PDB, qui poursuit : « L’important, c’est de battre madame Royal. Je n’ai aucune envie qu’elle devienne chef de l’État. Ce n’est pas un problème de droite ou de gauche, c’est tout simplement inimaginable. »
Alors, Philippe Douste-Blazy fait campagne pour « Nicolas », qu’il assure « connaître et apprécier depuis plus de quinze ans », tout en expédiant les affaires courantes de son grand ministère. Le soir, devant son dictaphone, il s’échine à traduire pour son futur livre ce qui aura été sa « plus belle expérience ». Mais il y a problème. Les premières pages, juge-t-il avec lucidité, sont tout simplement « désastreuses ».

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