Conté peut-il tenir ?

Tandis que la grève générale se poursuit, les manifestations d’hostilité au régime gagnent l’ensemble du pays. Un à un, les soutiens du chef de l’État le lâchent

Publié le 23 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Plusieurs morts par balles à Conakry, Kissidougou et Mamou Des dizaines d’arrestations, un peu partout À Labé, la résidence du gouverneur a été mise à sac. À Pita, le préfet est en fuite, tandis que les villes de Dabola, Télémélé, Boffa et Dalaba sont en proie à l’émeute. Depuis le déclenchement, le 10 janvier, d’une « grève générale et illimitée » par les deux principales centrales syndicales du pays, la Guinée est en état d’insurrection. Jamais, depuis 1984, Lansana Conté n’avait paru aussi acculé. Ses jours à la tête du pays semblent comptés. À supposer que tout ne soit pas consommé au moment où vous lirez ces lignes.
Sentant son pays se soulever, l’ex-général devenu président perd complètement son sang-froid. « Je vais vous tuer, tous tant que vous êtes. Je suis militaire, j’ai déjà tué des gens », a-t-il lancé, le 17 janvier, à des responsables syndicaux médusés. Tel un vieux lion édenté, il rugit, mais ne fait plus peur à personne. Totalement isolé, il ne parvient même plus à mobiliser son propre parti. Il a contre lui les syndicats, bien sûr, mais aussi les associations de la société civile, les partis politiques, les organisations religieuses de toutes obédiences Même sa région natale, le pays soussou, le lâche. Le 18 janvier, les manifestations se sont étendues à deux quartiers de Conakry (Boulbinet et Coronthie), puis à Boffa. Frappés de plein fouet par une crise économique gravissime et la multiplication des oukases au sommet de l’État, les Guinéens sont résolus à en finir avec Conté et son régime. Les chancelleries occidentales à Conakry, les Guinéens de la diaspora (ceux de France devaient manifester le 20 janvier devant leur ambassade à Paris) et les organisations de défense des droits de l’homme soutiennent le mouvement et dénoncent la répression.
Déterminés à se battre « jusqu’au rétablissement de l’ordre républicain », les dirigeants de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) et de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) prennent tous les risques, bravent toutes les menaces – anonymes ou pas. Dans ce pays où, depuis l’indépendance, les forces de l’ordre se sont souvent illustrées par leur brutalité dans la répression des libertés publiques, cela demande du courage. Ils réclament « la mise en place d’un gouvernement d’union nationale composé de ministres compétents et intègres ». Dans un mémorandum remis à la première dame, Henriette Conté, pour qu’elle le transmette à son mari, ils estiment qu’une telle décision « permettra [au chef de l’État] de prendre [sa] retraite afin de mieux ménager [sa] santé ».
Recevant les responsables syndicaux, le 12 janvier, Conté leur a tenu un discours surréaliste : « Je ne savais pas que vous étiez en grève, personne ne m’en a informé. Remettez-moi dès demain votre plate-forme revendicative, je vais voir les points qu’il est possible de satisfaire. » Trois jours plus tard, nouvelle rencontre : « J’ai vu vos revendications. En tant qu’agent de l’État, je suis en grève moi aussi. Je veux bien examiner vos doléances, mais je ne peux pas reprendre seul le travail » Dans l’impossibilité de poursuivre les pourparlers, confrontés à un interlocuteur qui oscille entre inconscience et bravade, les syndicalistes se radicalisent. Le 17 janvier, des manifestations ont lieu un peu partout. Elles sont durement réprimées.
Malade et coupé de la réalité du pouvoir, Conté n’a pas hésité à écarter de la gestion de la crise son homme de confiance, Fodé Bangoura, qui passait pour l’éminence grise du régime. Il ne lui a pas pardonné l’obstination des syndicats à demander la poursuite de l’action judiciaire engagée contre l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, que le président est allé en personne extraire de sa cellule, le 16 décembre. Ennemi intime de Bangoura et « ami » du chef de l’État, Sylla a réussi à convaincre celui-ci que l’exigence de son retour en prison était un complot ourdi par le ministre d’État chargé des Affaires présidentielles
Reste à savoir ce que va faire l’armée. Peut-elle continuer à soutenir un régime totalement discrédité ? Depuis le début de la grève, les Guinéens ont appris à affronter les militaires. Si, par miracle, le régime parvient à survivre à cette crise, plus rien ne sera comme avant. Il y aura un avant et un après-janvier 2007.

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