Yasser Arafat

Israéliens et Américains ont commis l’erreur de croire que le leader palestinien était fini.

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Au lendemain de l’annonce de la maladie du président de l’Autorité palestinienne, en octobre dernier, Jonathan Peled, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, a fait ce commentaire narquois : « Yasser Arafat est un chat à neuf vies, et nous ne pensons pas qu’il les ait encore toutes épuisées. » Le trait est juste un peu forcé. Donné « mort » politiquement à maintes reprises, l’homme au keffieh a échappé in extremis à plusieurs tentatives d’assassinat, menées aussi bien par les Israéliens que par des factions palestiniennes rivales, à des embuscades, à des bombardements et même à la chute de son avion, en 1992, dans le désert de Libye.
Qu’on le dise gravement malade, atteint de la maladie de Parkinson, affaibli par la grogne d’une partie de l’establishment palestinien qui l’accuse de corruption, de népotisme et de mauvaise gestion, lâché par ses principaux soutiens dans le monde arabe, comme le président égyptien Hosni Moubarak ou le prince héritier saoudien Abdallah, critiqué par ses plus proches collaborateurs, qui lui reprochent notamment d’accaparer tous les leviers du pouvoir politique, sécuritaire et financier, accusé par les Israéliens d’encourager, en sous-main, les Brigades des martyrs d’el-Aqsa, un groupe paramilitaire lié au Fatah, à commettre des attentats suicide, voué aux gémonies par les Américains qui s’impatientent de voir une autre personnalité lui succéder à la tête de l’Autorité, Abou Ammar (c’est son nom de guerre) sait démentir les pronostics et rebondir au moment où on l’attend le moins. Car cet homme de 75 ans, ancien fedayin devenu président d’une entité aux contours (juridiques et géographiques) imprécis, sait tirer sa force de l’adversité même. « Il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il est acculé, le dos au mur », dit l’un de ses collaborateurs. Qui ajoute : « C’est un animal politique : il a usé nombre de partisans et d’adversaires. Chez lui, la survie est plus qu’une science : c’est une seconde nature. Depuis le temps qu’il règne sur la scène politique palestinienne, nous sommes presque arrivés à le croire immortel. »
En septembre 1970, le roi Hussein de Jordanie donne l’ordre à son armée de liquider la guérilla palestinienne dirigée par Arafat. Ce sont les massacres de « Septembre noir ». Le chef du Fatah, créé en 1958, parvient à sortir d’Amman et à se réfugier au Liban, où un statut d’extraterritorialité vient d’être accordé aux camps palestiniens.
En 1982, l’armée israélienne occupe le Liban. Arafat est assiégé durant trois mois à Beyrouth-Ouest, changeant de cachette toutes les deux ou trois heures. Il doit sa vie sauve aux Américains et surtout aux Européens, qui veulent le garder en vie pour de futures négociations. En septembre, il quitte Beyrouth avec ses troupes. Le jour de son départ, le général Ariel Sharon interdit à l’un de ses tireurs d’élite, qui a Arafat dans son viseur, d’appuyer sur la gâchette.
En 1985, le leader palestinien est, une fois de plus, miraculeusement épargné à la suite d’un raid mené par des bombardiers israéliens sur le quartier général de l’OLP, à Hammam-Chatt, un quartier résidentiel de la banlieue sud de Tunis.
En décembre 2001, au lendemain de deux attentats palestiniens perpétrés à Jérusalem et à Haïfa, le Premier ministre israélien Ariel Sharon accuse Arafat d’être « le plus grand obstacle à la paix et à la stabilité au Proche-Orient » et qualifie l’Autorité palestinienne d’« entité soutenant le terrorisme ». Décrété « ennemi de l’ensemble du monde libre » par les Israéliens, le chef de l’OLP est assiégé par l’armée israélienne, à partir de janvier 2002, dans son quartier général de Ramallah, en Cisjordanie. En juin de la même année, le président américain fait de son éviction de la tête de l’Autorité un préalable à la création d’un État palestinien. Séquestré dans sa résidence de la Mouqataa, qu’il n’a plus quittée depuis, Arafat plie mais ne rompt pas.
Face aux critiques dont il est l’objet parmi les siens, il lâche du lest, donne son feu vert pour une réforme de l’administration et des institutions palestiniennes, mais sans rien céder de ses attributions, notamment en matière sécuritaire. Une réforme de la Constitution crée le poste de Premier ministre, qui est confié, en avril 2003, au numéro deux de l’OLP, Mahmoud Abbas (Abou Mazen). Ce dernier, qui jouit du soutien de l’administration américaine, est censé occuper progressivement le terrain et se préparer à prendre la place d’Arafat. Il rend le tablier au bout de cinq mois. L’ancien président du Conseil législatif palestinien (CLP), numéro trois de l’OLP, Ahmed Qoreï, est appelé, en septembre dernier, à prendre les commandes symboliques d’un gouvernement fantôme. C’est El-Khityar (« le Vieux ») qui tient, en réalité, les rênes du pouvoir dans les Territoires.
Les Israéliens et leurs alliés américains ont commis l’erreur de croire qu’Arafat était politiquement fini et l’ont donc prématurément enterré. Or la vérité, même s’ils ont du mal à l’admettre, est tout autre. Arafat est bien « vivant ». Et plus Israël, les États-Unis, l’Égypte et l’Europe durcissent le ton à son égard, plus son prestige grandit auprès des siens. Car il reste leur chef incontesté et le symbole de leurs aspirations nationales. La preuve en a été donnée, une nouvelle fois, le 11 septembre dernier, après la « décision de principe » du gouvernement Sharon de l’expulser des Territoires. Plus de trois mille Palestiniens lui ont manifesté leur soutien dans les différentes villes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, et même dans les camps palestiniens au Liban, en criant : « Par notre âme et notre sang, nous te défendrons Abou Ammar ». À Jérusalem-Est, des affrontements ont même éclaté entre Palestiniens et policiers israéliens.
Le 1er décembre, les promoteurs palestiniens de l’Accord de Genève ont dû demander son soutien préalable avant de prendre l’avion pour la Suisse. Et pour cause : lui seul pouvait donner une légitimité à leur action ou, tout au moins, assurer leur protection face à l’acharnement de ceux qui s’opposent à leur initiative (voir J.A.I. n° 2239). N’en déplaise donc à Sharon et à Bush, Arafat reste incontournable. Il se peut même qu’il leur survivra, comme il a survécu à nombre de leurs prédécesseurs.
« La situation restera bloquée tant qu’Arafat sera de ce monde », ne cessent de répéter les leaders de la droite israélienne. « Même si Arafat était exilé à Tunis ou au Caire, aucun autre dirigeant palestinien ne saurait prendre sa place, s’élever pour changer de politique et prendre en main le destin de la Palestine », leur rétorquent les partisans du statu quo. « Tout dépendra de lui : s’il n’accepte pas la houdna, il n’y aura pas de trêve. S’il n’accepte pas la feuille de route, il n’y aura pas de feuille de route. Il est peut-être insupportable, mais nous ne pouvons rien faire sans lui », écrit Dov Goldstein dans le quotidien israélien Ma’ariv (19 juin 2003).

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