Une humiliation

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Vingt-cinq millions de dollars pour avoir sa tête, il y a de quoi tourner bien des têtes. On ne saura jamais qui est l’heureux bénéficiaire de cette prime vertigineuse. Saddam Hussein a donc été donné aux Américains. Caught like a rat, « attrapé comme un rat », nous dit le général américain qui a mené l’opération.
Pourtant, il fut un « bon » dictateur, la coqueluche de tout l’Occident. Le président Chirac lui rendit visite. Il était laïque et faisait la guerre aux mollahs terroristes et intégristes d’Iran. Il était démocratiquement élu avec des pourcentages surréalistes : 100 % aux dernières élections.
Au moment où Saddam se livrait à des purges staliniennes à l’intérieur de son parti, au moment où il torturait jusqu’à la mort les opposants à son régime, au moment où il écrasait à l’aide d’armes chimiques les rébellions séparatistes, personne en Occident n’avait protesté. « Affaires intérieures », comme les huit cent mille morts au Rwanda. Les États-Unis n’avaient-ils pas donné l’exemple avec l’arme atomique, à Hiroshima et à Nagasaki, puis avec l’agent orange au Vietnam ? C’était pour la bonne cause, celle de la liberté et de la démocratie.

Pour moi, incapable de comprendre ce qu’il y a de sublime dans cette éthique, parce que congénitalement imperméable à la supériorité de la culture occidentale, particulièrement
dans sa forme américaine, si je mesure bêtement les crimes au nombre des victimes, l’État le plus criminel de l’époque contemporaine sont les États-Unis. Ce sont eux qui, incontestablement, ont tué le plus grand nombre de personnes, au gré de leurs intérêts,
en habillant leurs crimes de mensonges éthiques, allant des fameuses armes de destruction massive, dont ils ont pratiquement le monopole, à la défense de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme.
Saddam est devenu persona non grata à partir du moment où il a menacé sérieusement les intérêts américains, pétroliers au Proche-Orient, et politiques en Israël. Il est le bouc émissaire des dictateurs ; et qui n’est pas dictateur dans le monde arabe ? En envahissant l’Irak, en capturant son chef, en l’humiliant sciemment devant les caméras du monde entier, les États-Unis adressent un message sans ambiguïté à tous les dictateurs arabes : vous devez m’obéir, me servir, vous soumettre à ma politique, au besoin jusqu’à
la haute trahison de vos peuples et de vos pays, sous peine de subir le même sort que l’Irak. La capture de Saddam renforce la dictature. Elle n’est pas dirigée contre elle. Elle n’apporte aux Irakiens ni liberté ni démocratie. Elle leur apporte la servitude à
un pouvoir étranger. C’est pire que la dictature de Saddam.
Les États-Unis ont des collaborateurs en Irak, comme ils en ont eu au Vietnam. C’est aux peuples de relever ce nouveau défi, comme ils ont relevé le défi colonial. Un million de morts en Algérie avant que le « terroriste » Ben Bella réussisse à rendre à son pays son
honneur et sa dignité.
L’image d’un Saddam sale et hirsute, délibérément humilié par un officier américain qui faisait sur lui des prélèvements d’ADN, restera gravée dans nos mémoires comme celle de notre humiliation. Il nous faut nous laver coûte que coûte de cette humiliation.

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