Vladimir Poutine

Majorité au Parlement, popularité, médias et oligarques mis au pas,Tchétchénie… Qui pourra arrêter le maître du Kremlin ?

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Il a une démarche caractéristique, un peu hésitante, presque gauche, l’inverse de son caractère. Vladimir Vladimirovitch Poutine, 51 ans, ne fume pas, ne boit pas, aime sa femme, Lioudmila Alexandrovna, et ses deux filles, Macha et Katia, 18 et 17 ans. Il a poli son image publique, mise à mal à ses débuts par quelques réflexions intempestives, mais révélatrices, du genre « nous traquerons les terroristes [tchétchènes] jusque dans les chiottes ». Il surveille maintenant ses gestes, ses mots, ses sourires, et sait même contrôler ses accès de colère.
2003 a été une année décisive pour le président russe. Dernière ligne droite de son mandat, elle lui a permis d’asseoir son pouvoir. Les élections législatives du 7 décembre ont été une étape importante. Le parti Edinaïa Rossia (Russie unie), proche de Poutine, a obtenu près de 37 % des voix à la Douma, la Chambre basse du Parlement. Cela signifie que, grâce au jeu des alliances et pour la première fois depuis la chute de l’Union soviétique, les partis favorables au président obtiennent la majorité absolue des sièges. L’opposition n’est plus représentée que par le seul Parti communiste (KPRF), dont le score avoisine les 13 %, inférieur de moitié à celui de 1999. Cette majorité parlementaire pourrait, à terme, permettre une révision de la Loi fondamentale qui supprimerait la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. « Le chef de l’État n’est pas encore prêt, a commenté l’ancien vice-Premier ministre Boris Nemtsov. Mais la tentation augmentera à l’approche de 2008. » En attendant, la prochaine étape à franchir est l’élection pour un second mandat, fixée au 14 mars 2004. Avec une cote de popularité qui se maintient autour de 80 %, Poutine est pratiquement assuré d’être reconduit.
« Les Russes n’aiment que les tyrans », disait avec dépit Alexandre Soljenitsyne, dans une interview télévisée début 2003. Le glissement autoritaire, amorcé depuis la reprise de la guerre en Tchétchénie, en 1999, s’est en effet poursuivi, sonnant le glas, par exemple, de l’indépendance des médias. Depuis deux ans, les chaînes de télévision n’ont plus aucune marge de manoeuvre, pas même NTV, chaîne dite privée, autrefois contrôlée par le milliardaire Boris Berezovski. Les émissions politiques sont devenues rares, même en temps de campagne électorale, et sont désormais retransmises en différé. La presse écrite a été mise au pas. Beaucoup de journaux à petit tirage, comme Novye Izvestia (vingt mille exemplaires), ont été contraints à la fermeture en 2003. « Nos critiques étaient insupportables pour le Kremlin, confie une journaliste. Nos articles traitaient de la guerre en Tchétchénie, du culte de la personnalité de Poutine ou des promotions éclairs de certains officiers de l’armée ou du FSB [ex-KGB]. Nous avons été sacrifiés à l’approche des élections. » La seule à surnager, avec d’extrêmes difficultés financières, est la presse quotidienne. Comme les radios, elle n’est préservée qu’en raison de sa faible influence. Tout organe d’information ne survit que s’il se borne à retransmettre les informations officielles et ne prononce pas un mot au sujet de la Tchétchénie.
La situation politique et militaire de la petite République séparatiste du Caucase demeure une épine dans le pied du président, quoiqu’il s’en accommode de mieux en mieux. Il a ignoré délibérément l’effet désastreux provoqué sur l’opinion internationale par l’affaire du théâtre Doubrovka de Moscou. La libération des sept cents personnes prises en otages par un commando tchétchène avait alors coûté la vie à une centaine d’entre eux, gazés lors de l’assaut des forces de l’ordre, le 26 octobre 2002. Vladimir Poutine concrétise aujourd’hui l’aubaine qu’a représenté pour lui le 11 septembre 2001 : il a obtenu la métamorphose des rebelles indépendantistes en « terroristes internationaux ». Pour gagner l’amitié des États-Unis, il a approuvé l’installation de bases militaires dans plusieurs ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale, tremplins pour l’Afghanistan. Et pour obtenir le silence des Européens, très critiques sur les crimes de guerre commis en Tchétchénie, il s’est rallié aux positions de la France et de l’Allemagne, lors de la bataille diplomatique qui a opposé ces pays à la Coalition à propos de la guerre en Irak. La dérive islamiste de certains groupes indépendantistes a balayé les derniers scrupules des chancelleries. Le taux de participation de 83,6 % affiché après l’élection d’Akhmad Kadyrov, ancien chef de l’administration pro-russe, à la présidence tchétchène révèle une manipulation dans la plus pure tradition soviétique.
Tout aussi soviétique, pour ne pas dire stalinienne, est la manoeuvre qui consiste à redistribuer les cartes du pouvoir en coulisse. Au cours de l’année, Vladimir Poutine a placé de nombreux hommes de confiance au sein des rouages de l’État, notamment dans les gouvernorats et l’administration, comme Boris Gryzlov à l’Intérieur ou Sergueï Ivanov à la Défense. Ces Siloviki (littéralement : « hommes de la réserve ») sont tous issus des rangs du FSB, comme leur patron. L’incarcération de Mikhaïl Khodorkovski, principal actionnaire et directeur du géant pétrolier Ioukos, qui affichait trop ouvertement ses ambitions électorales, est une mise en garde adressée aux oligarques. Ils sont ainsi sommés de respecter le pacte tacite passé avec le pouvoir en vertu duquel ils doivent se tenir éloignés de la politique. Le retentissement de cette affaire a été considérable. À l’étranger, elle a inquiété les investisseurs. À l’intérieur, elle a provoqué des remous boursiers, mais fait la joie des Russes, qui détestent ces jeunes milliardaires, accusés de piller les richesses du pays.
Cette arrestation a aussi entraîné la démission d’Alexandre Volochine, tout-puissant chef de l’administration présidentielle et proche de l’ancien président Boris Eltsine. Il a été remplacé par Dimitri Medvedev, un technocrate issu des milieux libéraux de Saint-Pétersbourg, ce qui a fortement mécontenté les Siloviki. Mais le maître du Kremlin sait aussi qu’il faut diviser pour régner.

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