Nicolas Sarkozy

Pour le ministre préféré des Français, « tout baigne » en 2003. Trop, au goût de certains.

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Au fond, personne n’en a jamais douté : de la même manière que 2002 a été, en France, l’année Chirac, 2003 serait l’année Sarkozy. S’il a longtemps cru qu’il serait nommé Premier ministre et a dû se contenter du ministère de l’Intérieur – un poste néanmoins essentiel, occupé donc par le numéro deux du gouvernement -, Nicolas Sarkozy n’est pas homme à remâcher ses regrets ou à prendre son temps. À peine nommé, il s’est mis à l’ouvrage. Tandis que d’autres découvraient, émerveillés, les séductions du pouvoir, il établissait ses priorités, plaçait ses hommes, cajolait ses troupes (policiers, gendarmes et pompiers) et entreprenait de séduire l’opinion. Somme toute, cela lui était facile : puni pour cause de balladurisme au début du septennat de Jacques Chirac, puis opposant pendant les années Jospin, il avait pris la peine pendant cette longue traversée du désert de réfléchir à ce qu’il ferait une fois revenu au pouvoir et à ce qu’attendaient les Français. Dès les premiers mois de la seconde présidence Chirac, la machine Sarkozy s’est donc mise en marche. Elle a tourné à plein régime, sans un à-coup, tout au long de l’année.
Les éléments qui la constituent n’ont rien de mystérieux. Ils se nomment : clarté, simplicité, chaleur, énergie et sens de l’opportunité. Ce devrait être les caractéristiques de la vie politique. Hélas ! force est de reconnaître que nombre de responsables ont tellement recouru à la langue de bois et au jargon technocratique qu’ils ont fini par lasser les électeurs. Un rien suffit, il est vrai, pour transformer ces qualités en défauts. Ceux qui n’aiment pas Sarkozy ne s’en privent pas. Eux parlent non de clarté mais de simplisme, non de simplicité et de chaleur mais de démagogie, non d’énergie mais de précipitation, non de sens de l’opportunité mais d’opportunisme. Pourtant, ils ne sont guère entendus. Car les Français, s’ils respectent Napoléon, ont toujours préféré Bonaparte. Ils aiment l’esprit de décision, l’audace, cette façon de conquérir le pouvoir sans gêne et avec panache, sabre au clair et drapeau déployé.
De fait, il y a du Bonaparte chez Sarkozy. Il est partout, refuse de rester confiné dans son bureau parisien, se rend plusieurs fois par semaine sur le terrain, dans un commissariat, chez une victime, sur les lieux d’une catastrophe… Cet activiste pourrait donner l’impression de vibrionner, si, en toute occasion, il n’apportait la preuve de sa parfaite connaissance des dossiers : sa compétence impressionne. C’est au point qu’il lui arrive de déborder, sans choquer personne, du strict domaine de ses attributions, comme lorsqu’il a reçu les syndicats d’enseignants avec la bénédiction du Premier ministre.
Souvent, il est là où on ne l’attend pas, prend des positions qui surprennent chez un homme de droite. Sarkozy s’est ainsi prononcé contre la « double peine » pour les délinquants d’origine étrangère. Il a institué un Conseil du culte musulman et s’est déclaré partisan d’une « discrimination positive » en faveur des Français issus de l’immigration. Parfois, contraint par la solidarité gouvernementale, il doit opérer un retrait tactique. Sur la question du voile islamique, par exemple, il s’est rallié à Alain Juppé, alors qu’au fond il n’est pas favorable à une loi interdisant ce signe « ostentatoire » d’appartenance religieuse dans les établissements d’enseignement ou les administrations. Le lui reprochera-t-on ? Rien ne l’assure. C’est qu’il parvient à tirer profit même de ses rares échecs, comme lorsque les Corses ont refusé le statut qu’il leur proposait pour l’île. Car il a l’habileté de reconnaître ses erreurs, le souci d’expliquer, le talent d’argumenter et le goût de convaincre. Tant son énergie que son ton rompent avec la prudence habituelle du milieu politique. Le résultat de cette attitude qui mêle détermination et modération, impétuosité et réflexion, est qu’il est vite devenu très populaire. C’est le ministre que préfèrent les Français. Dans un sondage, il est même parvenu à dépasser le chef de l’État. Il enchante l’électeur de droite, sensible à l’autorité et à l’ordre, et séduit celui de gauche en mal de sécurité. Bref, pour « Sarko », tout « baigne », comme l’on dit, en cette année 2003.
2004 aurait pu ressembler à 2003 s’il n’y avait les inévitables fluctuations de l’opinion, la pression du calendrier et les impatiences des hommes. Oh ! certes, Sarkozy va continuer de dominer la scène politique française : ni lui ni le phénomène qu’il représente ne vont soudainement s’arrêter. La faveur populaire ne lui fera pas davantage défaut, mais, selon toute vraisemblance, il ne sera plus autant le chouchou de son camp. Et il sera moins ménagé par l’opposition. Tant que sa popularité était à l’unisson de celle du gouvernement, la droite s’en félicitait. Mais, aujourd’hui, Jean-Pierre Raffarin est en chute dans les sondages, et son gouvernement fragilisé. Du coup, le triomphe solitaire de Sarkozy inquiète. Il constitue un danger autant pour ses rivaux au sein de la majorité que pour ses adversaires du camp opposé. Déjà, à droite, certains l’accusent à nouveau de traîtrise. On murmure ici et là qu’il est moins un homme d’autorité qu’un dirigeant autoritaire. Et l’on s’empresse d’ouvrir son procès, celui d’une ambition forcenée. Quant aux socialistes, ils sont de plus en plus nombreux à penser que le chef de l’État ne se représentera pas et que Jean-Pierre Raffarin ne constitue plus une menace. Ils considèrent donc qu’il convient de s’attaquer dès maintenant à Sarkozy, afin qu’il n’apparaisse pas comme un candidat naturel à la prochaine présidentielle.
Celle-ci n’aura lieu que dans plus de trois ans, en 2007, mais le quinquennat accélère le cours de la vie politique et attise les ambitions. Celle de Sarko comprise… Depuis longtemps, il songe à l’Élysée. Dans cette perspective, être au préalable Premier ministre ne lui paraît pas indispensable. Le souhaiterait-il d’ailleurs que Chirac ne le voudrait pas. A-t-il commis une erreur en avouant si tôt son dessein ? Et une autre en estimant qu’il fallait « savoir laisser la place », ce qui, à l’évidence, visait le président ? Il s’en défend. Personne ne le croit, mais, au fond, il s’en moque. Il est décidé à suivre son chemin et déterminé à pousser son avantage. Même s’il sait que la route sera davantage semée d’obstacles en 2004 qu’en 2003.

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