Laurent Gbagbo

On le décrivait affaibli, isolé, humilié. Le président ivoirien est toujours là. Et bien là…

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Pour Laurent Koudou Gbagbo, 59 ans le 31 mai prochain, les années se suivent, mais ne se ressemblent pas. Si 2003 avait plutôt mal démarré, 2004, année préélectorale, se présente sous de meilleurs auspices. Le président ivoirien était, on s’en souvient, arrivé à Paris, il y a un an, affaibli par une tentative de coup d’État qui a conduit à une partition de son pays. Il en était reparti humilié, muni d’une « feuille de route » – le fameux accord de Marcoussis signé par les différents acteurs politiques ivoiriens – qui l’obligeait à régner sans gouverner, avec un Premier ministre de « consensus », Seydou Elimane Diarra. Un an après ces épreuves, Gbagbo a repris de l’assurance. Mieux, il est redevenu fréquentable en… France. Si tout va bien, en effet, il devrait être reçu à l’Élysée courant janvier 2004 pour un tête-à-tête avec son homologue français Jacques Chirac.
Mais auparavant, comme pour bien marquer sa résurrection politique, il envisage de se rendre à Bouaké, fief de la rébellion. Ou, s’inspirant de la « Marche verte » organisée par les Marocains au Sahara occidental, en 1975, de prendre la tête d’une procession pacifique en direction de cette ville, la deuxième de Côte d’Ivoire. « Au cours des deux premières années de son mandat, il a laissé les coudées franches à son Premier ministre Pascal Affi Nguessan, au gouvernement et à ses principaux collaborateurs, souligne un politologue ivoirien. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis le déclenchement des hostilités, en septembre 2002, il est seul maître à bord. »
Pour se remettre en scène, Gbagbo, qui n’est au meilleur de sa forme que dans l’adversité, a dû faire preuve de flair politique, de ruse, voire de roublardise, et d’une capacité exceptionnelle à rebondir. Mais aussi, certains de ces adversaires en conviennent, de courage physique. Il en faut, en effet, du culot, pour retourner chez soi lorsque les insurgés sont aux portes du palais, surtout lorsque l’on sait qu’en décembre 1999 une poignée de « p’tits gars » avaient réussi, avec une facilité déconcertante, à renverser le président Henri Konan Bédié et à le contraindre à la fuite. Il en faut, également, du courage, alors que la crise perdure, pour continuer de voler d’une capitale à l’autre, à la recherche d’une paix hypothétique. Ou pour aller déjeuner à Bobo-Dioulasso, chez le président burkinabè Blaise Compaoré, suspecté par Abidjan d’être le deus ex machina de la rébellion ivoirienne. « Il a, chez lui, un côté s’en-fout-la-mort qui plaît à ses partisans », poursuit l’universitaire cité plus haut.
Ces douze derniers mois, Laurent Gbagbo a démontré, ainsi qu’il aime à le dire, que « la politique est un métier » qui laisse peu de place aux états d’âme. Il a donc ostensiblement joué la Constitution contre l’accord de Marcoussis, lequel a rogné l’essentiel de ses prérogatives. Tout en se démarquant d’un Premier ministre sans réelle assise politique, mais responsable en chef de l’organisation du scrutin présidentiel de 2005. Dans la configuration actuelle, le président apparaît aux yeux d’une partie de l’opinion comme le défenseur du texte sacré – la Constitution – et de « l’ordre national » face à un chef de gouvernement qui tire l’essentiel de sa légitimité d’un compromis imposé de l’étranger.
Gbagbo a réussi par ailleurs le tour de force de maintenir le contact avec les différents acteurs de la crise, à l’exception notable de l’ancien Premier ministre (et leader du Rassemblement des républicains, RDR) Alassane Dramane Ouattara, responsable, à ses yeux, des malheurs de la Côte d’Ivoire. En dépit des apparences, le fil n’a jamais été rompu avec Bédié, ni avec les partisans de feu le général Robert Gueï, chef d’État de décembre 1999 à octobre 2000, assassiné le 19 septembre 2002. Le président, qui, à dessein, ne tarit pas d’éloges sur certains de ses ministres RDR (Henriette Diabaté, Hamed Bakayako), a personnellement négocié avec la rébellion, surtout ses chefs militaires, qu’il tient pour des interlocuteurs sérieux. C’est également lui, et non pas le chef d’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), le général Mathias Doué, qui a fait le tour des casernes pour réconforter les troupes, multiplié les rencontres avec les jeunes, les mouvements de femmes, les anciens, la chefferie traditionnelle, autant de catégories sociales sur lesquelles il espère s’appuyer pour briguer un nouveau mandat. Car, à moins d’un accident de parcours, Gbagbo sera candidat à sa propre succession en octobre 2005.
Tout en s’efforçant, non sans succès, de rassembler autour de lui, et par-delà les clivages partisans et communautaires, ceux des Ivoiriens qui sont de plus en plus exaspérés par la situation de ni paix ni guerre, Laurent Gbagbo a réussi à desserrer l’étau diplomatique autour de lui. Il n’y a en effet rien de comparable entre les discussions quasi ininterrompues qui ont cours aujourd’hui, tant au plan régional qu’avec la France, et l’indexation dont il avait été l’objet au lendemain de l’accord de Marcoussis. Entre le moment où la France était parvenue à faire légitimer par les Nations unies le compromis interivoirien et à faire entériner par la communauté africaine la « reddition » politique de Gbagbo, et les médiations en vue de ramener la rébellion au sein du gouvernement de réconciliation nationale, il y a sans conteste le talent du président ivoirien à faire porter la « charge de la preuve » sur ses adversaires. Alors qu’il y a seulement quelques mois tout accroc diplomatique et politique lui était imputé, c’est désormais au tour des rebelles de se faire réprimander par la communauté internationale.
Ce renversement de rôle n’est pas étranger aux liens de confiance que Laurent Gbagbo a noués avec les pays qui « comptent » au sein de la CEDEAO, le Nigeria et le Ghana, ainsi qu’à l’alliance d’intérêt qu’il a instaurée avec des États comme le Togo et la Guinée, de plus en plus méfiants à l’égard du Burkina Faso, accusé d’être « le berceau de la subversion » en Afrique de l’Ouest. Il n’est pas jusqu’aux voisins malien et burkinabè avec lesquels le pragmatisme n’ait finalement pris le dessus sur le soupçon et les accusations.
Mais, à l’évidence, c’est avec la France que Gbagbo a eu recours à toutes les subtilités de la diplomatie. Tout en ne cédant rien sur l’essentiel (c’est-à-dire la légitimité qu’il tire du suffrage universel et la suprématie de ses prérogatives constitutionnelles), il a su trouver le bon ton et les mots pour se présenter comme le meilleur garant de la paix et, en fin de compte, de l’accord de Marcoussis. Quitte à faire appel à l’Histoire et aux sentiments, comme ce fut le cas dans son adresse à la nation du 27 novembre, il n’hésite pas à rappeler le rôle privilégié que la France doit jouer dans une Côte d’Ivoire en paix.
Ainsi va Laurent Koudou Gbagbo, certes endurci par un combat politique qui l’a amené à croiser le fer avec le « monument » Houphouët-Boigny, ou encore par la farouche adversité que lui vouent certains hommes politiques ivoiriens, mais qui puise ses forces dans la conviction qu’il mène aujourd’hui une « bataille pour l’histoire et l’honneur » de son pays.

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