La loi du plus fort

Qui jugera le raïs déchu ? Quelle peine risque-t-il ? Les Américains trancheront.

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Saddam Hussein s’est vu accorder le statut de prisonnier de guerre et sera traité conformément à la convention de Genève », a déclaré Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense américain, comme pour calmer les inquiétudes des défenseurs des droits de l’homme après la diffusion des images de la capture de l’ancien raïs irakien. Indiscutablement, ces images violent l’article 13 de la troisième convention de Genève (1949), qui stipule que « les prisonniers de guerre doivent être protégés en tout temps contre […] la curiosité publique ». Pour sa part, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) proscrit la diffusion de films ou photographies de nature à donner du détenu une image dégradante. Celles montrant le dictateur déchu sont sans doute « humiliantes », mais elles sont surtout contraires à l’article 14 de la même convention, qui confère aux prisonniers de guerre le « droit, en toutes circonstances, au respect de leur personne et de leur honneur ». Au début des hostilités, l’administration Bush n’avait-elle pas sommé les médias arabes de ne plus diffuser d’images de prisonniers américains ?
Par ailleurs, sur un plan strictement juridique, les autorités américaines, qui ont livré une guerre illégale et occupé l’Irak contre la volonté de l’ONU, sont un peu embarrassées pour justifier la capture et traduction en justice des dirigeants de ce pays. Raison pour laquelle elles s’apprêtent à « sous-traiter » le travail aux Irakiens eux-mêmes. Mais ne soyons pas naïfs : « qui gagne juge », telle est, depuis la nuit des temps, la loi de la guerre. En 390 av. J.-C., le chef gaulois Brennus ne l’envoya pas dire aux Romains qu’il venait de défaire et qui réclamaient un meilleur traitement : Vae victis ! (« Malheur aux vaincus ! »).
À Bagdad, le Conseil de gouvernement transitoire propose que le jugement de Saddam soit confié au Tribunal spécial sur les crimes contre l’humanité créé le 10 décembre. Une solution d’autant plus défendable en droit que les faits reprochés au dictateur ont été commis en Irak, au préjudice d’Irakiens. Mais tout n’est pas si simple : « Il est essentiel, estime le juriste Serge Sur, directeur de la revue Questions internationales, que la future cour irakienne ait une forte composante nationale, mais qu’elle ait aussi une dimension internationale, parce que certains des crimes commis lors de la guerre contre l’Iran ou l’invasion du Koweït ont eux-mêmes une dimension internationale. » Il pourrait s’agir d’une cour « mixte » constituée de juges irakiens et étrangers, appliquant à la fois la loi irakienne et le droit pénal international. Sur le modèle, en somme, du Tribunal pénal spécial pour la Sierra Leone créé par le Conseil de sécurité de l’ONU en janvier 2002. Ou de celui mis en place au Cambodge, en juin 2003, pour juger les anciens dignitaires Khmers rouges.
Compte tenu de l’hostilité de l’ONU à la guerre américaine en Irak, il est peu probable que le Conseil de sécurité accepte de mettre en place une juridiction internationale ad hoc, comme il l’a fait pour l’ex-Yougoslavie (1993) et le Rwanda (1994). De même, il est exclu que l’ex-dictateur soit jugé par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, seule juridiction permanente chargée de connaître des crimes les plus graves : celle-ci ne peut statuer que sur des faits postérieurs au 1er juillet 2002. Quant à le traduire devant la justice américaine, il ne faut pas y songer, sauf à réitérer la grave transgression du droit international qu’a constitué le procès du Panaméen Manuel Noriega, en 1992.
Saddam Hussein risque-t-il la peine capitale ? Cette sanction est considérée par de nombreux juristes comme « un traitement cruel, inhumain et dégradant ». Les tribunaux onusiens et la CPI, par exemple, la proscrivent. Il est donc permis d’espérer, comme le Premier ministre britannique Tony Blair, qu’elle ne sera pas prononcée contre le dictateur déchu. Mais sans trop se faire d’illusions.

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