La fin d’une illusion

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Ma réaction devant ces images d’un leader arabe déshonoré par de simples soldats est terrible. D’un côté, comme tous les Arabes, je ressens un sentiment d’humiliation. Jadis, Saddam Hussein a ouvert la voie de la modernité : beaucoup d’espoirs avaient alors été placés en lui. Il a incarné la modernité sociale. En même temps, la chute d’un tyran est toujours une joie. Les Arabes ont-ils forcément raison de se sentir humiliés, humiliés pour de mauvaises raisons et sur de mauvaises bases ? Sans doute auraient-ils intérêt à se défaire de ces fascinations dangereuses pour tous les Nabuchodonosor, les génies du Tigre et de l’Euphrate, et les raïs « aimés » de leur peuple.
Nous avons du mal à nous dégager de ce culte de la personnalité que nous substituons trop volontiers à la rationalité politique. Depuis la chute de Grenade en 1492, le monde arabo-musulman est entré en décadence. Pourtant, au niveau inconscient, nous restons fixés au temps de notre splendeur, lorsque nous faisions trembler l’Occident. Quand les Arabes ont entrepris de réagir, ils ont créé ce monstre qu’on appelle l’intégrisme religieux. Parce qu’ils ne savaient pas quoi faire d’autre. Avec la chute de Saddam, nous payons la fin d’un monde, la fin d’une illusion, la fin du règne de leaders populistes et démagogues qui ne jouissent d’aucune légitimité et ne respectent pas les droits de l’homme.

Cette arrestation va calmer ceux qui croyaient encore au mythe de Saddam. Mais cette minorité, nourrie au biberon du baasisme et ignorante des réalités géopolitiques, ne compte pas. La mort politique du dictateur va surtout donner des ailes aux chiites et aux Kurdes, les groupes ethnico-religieux les plus forts en Irak. Que les premiers prennent le pouvoir grâce aux Américains et ce serait un quitus donné à Téhéran. Les États-Unis
ont besoin d’écarter la menace iranienne pour prendre le contrôle du golfe Arabo-Persique (désormais Américano-Persique). Ils veulent le détroit d’Ormuz pour avoir libre accès aux richesses pétrolières. Un deal a sans doute été passé entre Washington et Téhéran, qui pourrait devenir la pièce maîtresse sur l’échiquier américain dans la région.
Avec cette victoire symbolique très forte, les Américains ont gagné la première manche. Il leur fallait compléter leurs victoires militaires par la capture de l’un de leurs ennemis déclarés. C’est chose faite. Sauf accident majeur guerre civile irakienne avec
implosion sociale , la réélection de Bush est désormais assurée. Lors de son procès, le tyran déchu, qui a préféré l’humiliation à la mort, risque d’ergoter sans fin sur des points de détail, sans même comprendre qu’il n’est qu’un pion dans le jeu d’une puissance américaine en train de se déployer à l’échelle planétaire.
Je garde bon espoir que cet électrochoc provoque une prise de conscience dans le monde arabe. Les plus grands maux dont nous souffrons sont la violence religieuse et l’absence de réponse laïque, démocratique et républicaine à cette violence. Nous ne donnons pas de nous-mêmes une image positive à cet Occident qui nous considère, sans distinction, comme des fanatiques et/ou des terroristes. Ne pas travailler à faire connaître et défendre nos choix culturels et intellectuels est aussi dangereux que poser une bombe.

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