Gentleman Kibaki

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Mwai Kibaki a pris son temps. Presque un an, en réalité. Élu troisième président du Kenya le 27 décembre 2002, il avait promis, lors de son investiture, que la corruption cesserait « d’être un mode de vie au Kenya ». Les premières mesures, radicales, ne sont intervenues qu’en octobre 2003 avec une opération « Mains propres » dans le milieu judiciaire. Un gage pour ses compatriotes, qui peuvent enfin avoir confiance en l’avenir, mais aussi pour les institutions financières internationales qui attendaient un signal fort après la première alternance démocratique du pays.
Au coeur des exigences du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, qui avaient suspendu leur aide en 2000 : la lutte contre la corruption, mal endémique plombant la croissance du pays. Volontaire, Mwai Kibaki, ancien de la Kenya African National Union (KANU) passé dans les rangs de l’opposition au lendemain de l’avènement du multipartisme, en 1991, et porté au pouvoir par la National Rainbow Coalition (Narc), a enfin commencé à proposer des réponses adéquates. Non seulement en s’attaquant bille en tête à la corruption du système judiciaire, mais aussi en exigeant que les fonctionnaires et les ministres déclarent publiquement leur patrimoine. Et, bien sûr, en relançant le procès de l’affaire Goldenberg – toujours en cours -, du nom de l’entreprise qui reçut 600 millions de dollars de fonds de compensation pour des exportations inexistantes d’or et de diamants.
Ces preuves de bonne volonté ont été entendues. En premier lieu par le FMI, qui, le 22 novembre, a repris son aide et approuvé un prêt de 250 millions de dollars. Puis par les pays donateurs et les institutions financières, qui ont promis, le 25 novembre, d’accorder un total de 4,1 milliards de dollars pour financer une politique de relance économique. Le ministre des Finances David Mwiraria s’est réjoui de cette manne inattendue : « C’est un grand jour pour le Kenya. Nous avons des promesses de vingt-cinq institutions financières qui s’engagent à apporter un soutien financier pour les trois prochaines années fiscales », avant d’ajouter que ce geste était « un élan de générosité et d’intérêt sans précédent ».

Enfin, le 10 décembre, le ministre de la Justice Kiraitu Murungi a été le premier à signer, à Mérida, au Mexique, la Convention des Nations unies autorisant les États à rapatrier les fonds détournés et placés sur des comptes à l’étranger. « La corruption endémique a atteint d’incroyables proportions chez nous. Elle a ruiné nos écoles et nos hôpitaux. Elle a détruit notre agriculture et nos industries. Elle a dévoré nos routes et nos emplois. Ce n’est pas par hasard que le Kenya est le premier pays à signer et à ratifier cette convention », a souligné Murungi. Simultanément, la Banque mondiale dégageait un prêt de 50 millions de dollars prélevé sur l’enveloppe du Crédit pour la réforme de l’économie et du secteur public (150 millions de dollars), suspendue en 2000 en raison des nombreux cas de corruption. Une somme qui devrait être utilisée pour combler le déficit de la balance des paiements et, surtout, pour financer la réforme d’un service public pléthorique et inefficace. À cette occasion, le représentant de la Banque mondiale au Kenya, Makhtar Diop, a demandé à Nairobi « d’engager des réformes massives en vue d’installer la discipline budgétaire et fiscale et de redevenir un leader économique régional », tout en critiquant le fait que « le Kenya [a] davantage de fonctionnaires que n’importe quel autre pays d’Afrique » et « affiche l’un des taux d’inégalité les plus élevés du continent ». Selon les chiffres de la Banque mondiale, 56 % des Kényans vivent en effet en dessous du seuil de pauvreté, alors qu’ils n’étaient « que » 45 % en 1992…

la suite après cette publicité

Si l’on en croit le programme d’investissement du gouvernement, le pays aurait besoin, chaque année, de 59,5 milliards de shillings (663 millions d’euros) de la part des bailleurs de fonds pour relancer son économie. Mais certains chiffres sont encourageants. Selon un rapport de l’Economist Intelligence Unit (EIU), sauf sécheresse exceptionnelle, la croissance devrait sans doute dépasser le maigre 1,7 % prévu pour cette année pour atteindre plus de 3 % l’année prochaine, un chiffre encore modeste si on le compare à ceux qui existent sur le continent. D’ores et déjà, l’inflation a été ramenée à 2,2 %, et les taux d’intérêt sont passés de 20 % à 12 %.
Reste que la bonne volonté des institutions financières et des pays donateurs ne s’explique pas seulement par les efforts de la Coalition arc-en-ciel au pouvoir. « Victime collatérale » d’el-Qaïda en 1998 et en 2002, le Kenya est une pièce maîtresse de la « croisade » des États-Unis « contre le terrorisme ». Comme l’affirmait au Mexique le ministre américain de la Justice John Ashcroft : « La corruption offre un sanctuaire aux forces globales de la terreur. »
Avec le retour de l’aide, la balle est désormais dans le camp de Kibaki. Il va lui falloir démontrer qu’il est bien un « gentleman de la politique » attelé à la poursuite des réformes. Il devra non seulement poursuivre la lutte contre la corruption (dans la police notamment), mais aussi faire aboutir le processus de réforme de la Constitution. Prévu pour durer cent jours, ce dernier n’est toujours pas achevé après plusieurs mois de débats houleux, et le texte finalisé ne devrait être disponible qu’en juin. Et il n’est pas certain qu’il soit conforme en tous points aux promesses faites il y a plus d’un an.
En effet, le « gentleman » Kibaki vient de s’asseoir sans complexe sur l’un de ses engagements électoraux. Il a décidé de fêter l’anniversaire des quarante ans d’indépendance de son pays (12 décembre 1964) en mettant en circulation une pièce de 40 shillings à son effigie. Les opposants, mais aussi certains membres de la Narc, la coalition qui a porté Kibaki au pouvoir, se sont engouffrés dans la brèche. Le député Joe Khamisi a ainsi déclaré : « C’est une violation flagrante de la promesse de la Narc selon laquelle les pièces ne porteraient pas l’effigie du président en exercice. Cela montre que la coalition s’habitue à revenir sur sa parole. Nous pensions être enfin entrés dans une nouvelle ère où le culte de la personnalité ne serait plus à l’ordre du jour. » Erreur politique d’un jeune président de 72 ans, pourtant rompu aux manoeuvres politiciennes ? Sans doute. Un faux pas d’autant plus surprenant que Kibaki connaît mieux que quiconque l’équilibre fragile sur lequel repose sa coalition. Et que, de surcroît, malgré « l’état de grâce » dont il bénéficie encore, un an après son élection, il se sait attendu au tournant.

L’explication de cette erreur tactique réside peut-être dans l’assurance acquise en un an par le chef de l’État : malade et blessé (après un accident de la route) au début de son mandat, il s’est constamment ragaillardi, même quand il a fallu faire face à des événements aussi déstabilisants que la mort du vice-président Michael Wamalwa, le 23 août dernier, et la pression des partisans de Raila Odinga pour la création d’un poste de Premier ministre fort. Le plus dur, sans doute, reste à venir, mais comme le clamait Kibaki le 12 décembre : « Les fondations d’une nation au travail sont désormais en place. Nous devons maintenant bâtir vigoureusement sur ces fondations, de manière à transformer notre pays en un membre fier et prospère de la communauté internationale. » Il lui reste quatre ans pour y parvenir, avant l’élection présidentielle de 2007.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires