Gbagbo déclare la paix

Le chef de l’État veut offrir à ses compatriotes la « fin officielle de la guerre » en guise de cadeau de fin d’année.

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

A Noël ou pour le nouvel an ? À Bouaké, quartier général des ex-rebelles, à Abidjan, à Yamoussoukro ou ailleurs ? Peu importe finalement la date exacte ou le lieu précis si, comme il n’a cessé de le répéter tout au long du mois de décembre, le président Laurent Gbagbo offre à ses compatriotes, du haut de sa légitimité et de son autorité, la « fin officielle de la guerre » comme cadeau de fin d’année. Mais lui souhaiterait l’annoncer depuis Bouaké [« Je veux, par ma présence, prendre les deux bouts de la Côte d’Ivoire et les recoudre »] pour marquer davantage le côté symbolique et solennel du geste qui serait le plus important de toute une série d’autres. À commencer par celui du 4 décembre à Yamoussoukro.

Dans sa bonne capitale politique, Gbagbo, à l’issue d’une rencontre entre les Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) et les FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire), a indiqué pour la première fois qu’il était favorable à l’application de Marcoussis pour la réconciliation nationale. « Tous les accords signés à Paris, a-t-il précisé, doivent être appliqués jusqu’au bout […]. Évacuons ces problèmes, intellectuellement et moralement… » Le propos présidentiel venait couronner la décision des militaires de procéder, du 13 au 25 décembre, au « regroupent des armements légers dans les armureries » pour en limiter l’emploi « aux seules nécessités de service » et au retrait des armements lourds de la ligne de front. Dans la foulée, les deux camps s’étaient également entendus pour supprimer, dans la même période, la quasi-totalité des barrages et check-points, à l’exception de ceux qui se trouvent à l’entrée et à la sortie des grandes agglomérations. Et le 7 décembre, une quarantaine de soldats loyalistes, détenus dans le nord du pays depuis l’éclatement de l’insurrection armée, le 19 septembre 2002, ont été libérés.
Tout se passe comme si, près d’un an après la signature, le 24 janvier dernier, du document de Marcoussis, le processus de réconciliation nationale connaissait une nouvelle impulsion. Mais comme au lendemain du paraphe de cette sorte de « feuille de route », le calendrier établi à Yamoussoukro devait subir le sabotage des boutefeux de l’entourage présidentiel. Dans la nuit du 11 au 12 décembre, des affrontements entre troupes loyalistes et « individus en armes » – selon certaines sources démenties par d’autres – ont ainsi fait une vingtaine de morts. La fusillade a éclaté alors que, confie un proche des Forces nouvelles, « nous nous étions réunis jusque tard dans la nuit et nous avions préparé un document annonçant notre retour [dans le gouvernement dont les ministres issus de l’ex-rébellion boycottent les travaux depuis la fin septembre]. Et puis est arrivé ce qui s’est passé à Abidjan. »
Le propos a été corroboré quelques jours plus tard par le ministre de la Défense, René Amani, qui indique qu’il aurait pu donner une « réponse politiquement correcte » en impliquant des éléments de l’ex-rébellion, mais préfère prendre le risque de ne pas croire à « la piste concernant des militaires des Forces nouvelles ». Et d’ajouter, en parlant de la tuerie : « Ce sont les derniers soubresauts de gens qui ne veulent pas ou qui n’ont pas encore accepté que nous allions à la paix. » Le 29 novembre déjà, des éléments de l’armée régulière ouvrant le chemin à quelques centaines de « jeunes patriotes » s’étaient heurtés aux soldats français de l’opération Licorne dans leur tentative de « libérer Bouaké ». Mécontents, certains des soldats de l’expédition se sont retrouvés à la télévision nationale, dont ils ont interrompu les programmes pour réclamer, après avoir affirmé leur fidélité au chef de l’État, le départ des troupes françaises, l’éviction du général Mathias Doué, chef d’état-major des FANCI, des généraux Touvoly Bi Zogbo, commandant supérieur de la gendarmerie, et de Denis Bombet, patron des forces terrestres.
Les trois officiers généraux verront leur lettre de démission refusée par le président Gbagbo, plus que jamais soucieux de préserver l’unité de son armée. Mieux, le 17 décembre, il a demandé aux « jeunes patriotes » se réclamant de lui de ne pas « gêner » les efforts en cours : « Ils ne faut pas qu’ils nous gênent par des actions que les militaires ne comprendraient pas. Quand la guerre est finie, elle est finie. » Gbagbo rappelait ainsi à l’ordre l’un des chefs de ses jeunes partisans qui, la veille, annonçait le lancement de l’opération « Assaillants dehors », destinée à chasser les Forces nouvelles des zones qu’elles occupent depuis plus de quinze mois. Entend-il désormais ne plus se laisser déborder par les plus extrémistes de son propre camp ?

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Beaucoup de ses compatriotes, sevrés de véritables fêtes de fin d’année depuis le coup d’État de Noël 1999, se prennent à y croire, même si, mi- décembre encore, des témoignages faisant état de ratissages dans les quartiers populaires et des rumeurs d’arrestations dans les casernes d’Abidjan sont parfois venus tempérer leur optimisme. Même si l’ex-rébellion peinait toujours à trouver le chemin de la table du Conseil des ministres, perdue entre ses propres divisions, les pressions venues de toutes parts et sa boulimie de concertations aux allures de palabres sous le baobab. Toujours partagée entre des velléités de sécession sans lendemain et un retour au gouvernement (annoncé pour avant Noël) qu’elle a remis de semaine en semaine depuis plus de deux mois.
En tout cas, cette fois, Gbagbo, jusqu’ici imprévisible, semble vouloir en finir. La plupart des textes prévus dans le document de Marcoussis (foncier rural, conditions d’éligibilité…) sont prêts et n’attendent que le retour dans le gouvernement de Guillaume Soro et de ses camarades des Forces nouvelles pour être discutés en Conseil avant d’être soumis à l’Assemblée nationale. Reste à rattraper le retard enregistré dans le calendrier du processus de réconciliation nationale. Le numéro un ivoirien manifeste le sentiment de s’y être résolu. Et certains, qui jouent les bons offices dans le dossier Côte d’Ivoire, lui en donnent acte. Ainsi du président Omar Bongo Ondimba, qui avait réuni, le 21 novembre à Libreville, Gbagbo et le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin. Le 8 décembre, au sortir d’une rencontre avec Jacques Chirac, il a indiqué que le président ivoirien « a promis de remplir complètement » les accords de réconciliation. « C’est un chef d’État, il s’est engagé […], laissons-lui le temps. » Celui de ficeler le cadeau qu’il veut faire à ses compatriotes pour la fin de l’année.

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