C’était un imposteur

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Fin février 2003, un mois avant que les Américains envahissent son pays, Saddam Hussein donnait sa dernière interview à Dan Rather, le grand journaliste de la chaîne de télévision américaine CBS :
Dan Rather : Monsieur le Président, vous a-t-on offert l’asile quelque part ? Et envisageriez-vous, dans certaines conditions, de vous exiler pour préserver votre peuple de la mort et de la destruction ?
Saddam Hussein : Je suis né en Irak… Je suis fier d’être né dans la crainte de Dieu, et j’ai enseigné à mes enfants la valeur de l’Histoire et la valeur des droits de l’homme… Celui qui accepte d’abandonner son pays sur la demande de qui que ce soit trahit ces principes.
Nous mourrons ici. Nous mourrons dans ce pays et nous défendrons notre honneur, l’honneur qui va de soi… devant notre pays. Je crois que celui qui… offre un asile à Saddam dans son pays est, dans le fond, une personne qui n’a pas de sens moral.
Saddam n’a certes pas quitté son pays, mais, en Irak, il ne pouvait s’estimer en sécurité qu’aux alentours de Tikrit, et cela a grandement facilité sa capture.
C’était, en tout cas, le Saddam Hussein imbu de lui-même, aveugle au danger et qui voulait donner de lui l’image du patriote habité par un sens très fort de l’honneur, de l’homme qui sentait entre lui et son pays un lien charnel.
C’était il y a neuf mois.

L’homme qui s’est rendu le samedi 13 décembre aux militaires américains, et dont le monde entier a vu le lendemain les images à la télévision, avait l’allure de ce que les Français appellent un SDF (sans domicile fixe) : chevelu et barbu, hirsute et sale, docile, résigné et fataliste…
Le faux courage avait conduit à la vraie humiliation.
Et pas seulement la sienne, celle de tous ceux qui, malgré ses crimes, n’ont pu s’empêcher d’être séduits par ses bravades et qui l’ont, à un moment ou à un autre, admiré.
Parmi ceux qui l’ont connu ou étudié, personne, absolument personne, n’a prévu ou imaginé que cet homme à l’ego démesuré se comporterait, entre les mains de ceux qui l’ont capturé et n’en espéraient pas tant, avec autant de dégradante docilité.

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Je vous invite à lire les douze pages que nous consacrons, plus loin, à cet épisode de l’histoire de l’Irak, du Moyen-Orient et du monde. Nous nous efforçons d’éclairer l’événement le plus complètement possible et avec le maximum d’honnêteté.
En préambule, je voudrais dire ceci :
1. Nous n’en avons pas tout à fait fini avec Saddam. Contrairement à un Hitler, qui a préféré se donner la mort plutôt que de tomber entre les mains de ses ennemis, le dictateur irakien, cet homme qui a fait tuer des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, a choisi de se rendre et de rester en vie.
Il ne sera plus jamais libre, mais nous le verrons dans quelques mois, devant un tribunal, tenter de se justifier ; il sera encore pendant plusieurs semaines un « acteur » politique, nuira une dernière fois à son pays, à sa région, à sa communauté en contribuant à y semer la division.
2. Les Anglo-Saxons ont dit à leurs peuples et au monde qu’ils ont envahi l’Irak, y maintiennent 150 000 hommes armés et y dépensent plus de 4 milliards de dollars par mois « pour découvrir et détruire les armes de destruction massive de Saddam Hussein… ».
Eh bien ! ils les ont enfin trouvées : Saddam lui-même, un pistolet et deux kalachnikovs.
Je ne sais s’il faut en rire ou en pleurer.

3. Quoi qu’il en soit, il y a lieu, hélas ! de s’alarmer, car, à beaucoup de signes, l’observateur attentif perçoit que les Américains ne sont pas en train de conduire l’Irak vers la démocratie, comme ils le prétendent, mais vers la plus horrible des guerres civiles : l’armée, la police, les milices qu’ils ont entrepris de former, d’armer et de mettre en place apparaîtront de plus en plus comme les supplétifs des occupants destinés à réprimer, à mourir et à tuer à leur place.
Dans quelques mois, nous verrons tous les jours, beaucoup plus encore qu’aujourd’hui, des Irakiens tuer d’autres Irakiens.
4. Tout le monde le sait : dans les pays arabes, les citoyens n’élisent pas leurs dirigeants ; en général, ils leur sont imposés. Ce qu’on ne savait pas, car c’est tout à fait nouveau, c’est que, désormais, les Arabes élisent, ou plus exactement, font élire… le président des États-Unis.
À partir du 11 septembre 2001, le George W. Bush élu d’extrême justesse s’est imposé à ses concitoyens grâce à Ben Laden ; en novembre prochain, selon toute vraisemblance, il l’emportera sur son adversaire démocrate grâce à Saddam Hussein.
Ce sera l’ultime service que ce dernier aura rendu à ceux qui, depuis vingt-cinq ans, se servent de lui pour leurs ténébreux desseins.
5. Les images d’un Saddam vieilli, sale, défait et résigné que l’Amérique a diffusées le 14 décembre étaient destinées à montrer au monde qu’elle finissait toujours par triompher de ses adversaires.
Mais le message s’adressait particulièrement aux autres dictateurs arabes : voyez ce qui pourrait arriver à celui d’entre vous qui s’aviserait de cesser d’être docile et obéissant.
Nul doute que le message a été reçu « cinq sur cinq ».

Un mot pour finir : les historiens jugent un responsable politique en fonction de trois ou quatre critères et, même s’il est un peu tôt pour prononcer un jugement définitif, on peut d’ores et déjà affirmer que Saddam n’en remplit aucun.
– Il n’a pas été sous-estimé, mais largement surestimé. Force est de reconnaître que sa grande réussite – la seule – est d’avoir été l’une des plus grandes impostures du XXe siècle.
– Il n’a pas été attaqué en mars dernier parce qu’il était fort ou constituait une menace. Mais, au contraire, parce qu’il était faible, facile à vaincre et à renverser.
– Il n’a suscité aucune loyauté indéfectible. Bien au contraire, cet homme méfiant a constamment été trahi.
– N’ayant pas pris congé de sa fonction dans la dignité, il a raté sa sortie, laissant de lui la pire des images qu’un homme public puisse donner de lui-même et de ce qu’il a prétendu représenter.
Et sur sa tombe, en guise d’épitaphe, il faudra écrire :
« Ci-gît un homme qui, toute sa vie, n’a cru qu’à la violence, celle infligée à plus faible que lui… »

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