« Comment a-t-il pu nous faire ça ? »

Indignation dans le monde arabe : un vrai dictateur est censé finir en héros !

Publié le 22 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Lorsque les troupes américaines sont entrées dans Bagdad, le 9 avril, il s’est trouvé des gens à Sanaa, Le Caire, Tunis ou Casablanca pour soutenir que Saddam Hussein n’avait pas dit son dernier mot, que la chute de la capitale des Abbassides faisait partie d’un plan
secret destiné à piéger ses ennemis. Refusant d’admettre l’évidence de la défaite, d’autres ont cherché à justifier la débâcle de l’armée irakienne par la félonie de certains de ses chefs. Traduire : Saddam ne pouvait pas avoir perdu la guerre.
Lorsque, quelques semaines plus tard, la guérilla irakienne a lancé ses premières attaques contre des cibles américaines et britanniques et que Saddam a commencé à diffuser des messages appelant les Irakiens à la résistance, il s’est trouvé des Arabes
pour croire que le président déchu, désormais dans la clandestinité, coordonnait en sous-main les attentats. Prenant leurs désirs pour des réalités, certains pariaient même sur son prochain retour à la tête de l’Irak !
Lorsque, enfin, les chaînes de télévision du monde entier ont, le 14 décembre, diffusé les images de la capture du tyran, il s’est encore trouvé d’incurables sceptiques. Cet avocat tunisois, par exemple, qui tranche, péremptoire : « Non, ce n’est pas lui. »
Pourquoi ? Parce que le film vidéo diffusé par les services américains est muet. Selon lui, « seule la voix de l’ancien président aurait apporté la preuve irréfutable de son arrestation ». Saddam, il est vrai, apparaissait sous les traits d’un vieillard résigné. Sale, hirsute et la barbe en bataille, il ne ressemblait que de très loin au fier leader
célébré par ses thuriféraires.
« Ils [les Américains] nous ont montré l’un de ses sosies », jure un étudiant cairote. Et les tests ADN attestant l’identité du captif ? Notre interlocuteur ne se démonte pas : « Les Américains peuvent dire ce qu’ils veulent. Ils ont tellement menti depuis le début de cette guerre que personne ne leur accorde plus le moindre crédit. » Un médecin yéménite renchérit : « S’il avait été en possession de tous ses moyens, Saddam ne se serait pas
rendu sans livrer combat. Ils l’ont paralysé avec un gaz asphyxiant avant de lancer l’assaut. » Le praticien cite même plusieurs produits susceptibles d’être utilisés à cette fin. Apparemment, la « théorie du complot » qui permet d’expliquer tous les maux du monde arabe a encore de beaux jours devant elle !
La vérité est que ces images d’un Saddam clochardisé ont été ressenties comme une humiliation par la majorité des Arabes. « Par tradition, nous sommes non seulement soumis à nos dictateurs, mais fascinés par eux, commente un juge tunisien. Un vrai dictateur doit toujours finir en héros : s’il n’est pas assassiné par un rival trop pressé ou lynché par la foule, il doit se donner la mort ou mourir les armes à la main. Ce contrat tacite, Saddam ne l’a pas respecté. C’est pourquoi les Arabes, dictateurs et peuples réunis, se sentent aujourd’hui déshonorés. »
« Pourquoi n’a-t-il pas utilisé son pistolet pour mettre fin à ses jours et épargner aux siens le spectacle affligeant de sa déchéance ? » s’interroge un chauffeur saoudien qui a toujours admiré le tyran et se sent aujourd’hui trahi. Commentaire diamétralement opposé d’un universitaire marocain : « Pourquoi n’a-t-il pas cédé quand cela était encore possible ? Il aurait pu épargner à son peuple les affres de la guerre et d’une humiliante occupation. » L’homme n’a jamais porté le raïs dans son cur, mais regrette les
circonstances peu glorieuses de son arrestation.
Nombreux chez les intellectuels arabes, les adversaires de l’ancien président s’en prennent plus volontiers aux vainqueurs qu’au pauvre hère qu’ils ont exhibé : « Saddam a été jusqu’au bout, parfois à son insu, l’homme des Américains, analyse un confrère algérien. Sans les bêtises qu’il a commises, ces derniers n’auraient jamais pu prendre pied dans la région. En leur offrant une victoire facile, il leur a offert la possibilité de mettre en route leur plan d’occupation de l’Irak et de remodelage du Moyen-Orient. »
À Bagdad, des plaisantins font courir la rumeur selon laquelle Saddam se serait volontairement livré de peur d’être capturé par des compatriotes ! Selon d’autres, il serait sur le point de conclure un accord avec les Américains, qui, incapables de maîtriser la situation sur le terrain, pourraient se résoudre à son retour au pouvoir. L’admiration cède peu à peu la place à la déception, et l’adoration à la haine. La destruction de l’idole a commencé.

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