Bagarre des ondes

Trois ans après la libéralisation de l’audiovisuel, l’éclosion de médias privés reste laborieuse. Et suscite parfois des conflits avec les autorités de tutelle.

Publié le 18 décembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Si la libéralisation du paysage audiovisuel camerounais semble acquise sur le papier, elle a encore bien du mal à entrer dans les faits. Et, plus encore, dans les moeurs. Si les nouveaux opérateurs sont confrontés à une cruelle pénurie de fréquences, l’obtention d’une licence s’apparente pour certains à un véritable parcours du combattant. C’est notamment le cas pour Mgr Christian Tumi, l’archevêque de Douala connu pour ses prises de position critiques envers le pouvoir. Sa radio Veritas a finalement été autorisée à émettre le 12 décembre, sous certaines conditions : la station doit respecter son « caractère confessionnel » et se soumettre à la « tutelle de l’archidiocèse de Douala ». Veritas, qui émettait depuis quelques semaines « en essai » sur les rives du Wouri, avait été interdite le 14 novembre par les pouvoirs publics.
Pius Njawé, propriétaire du journal Le Messager, a été moins chanceux : sa radio Freedom FM a été fermée le 24 mai, à la veille de son lancement, et son matériel placé sous scellés. Njawé a d’abord porté plainte contre l’administration, avant de se voir attaquer à la mi-octobre par le ministre de la Communication, Jacques Fame Ndongo, pour violation de la législation audiovisuelle. Les autorités se bornent à rappeler que ce projet de radio n’avait pas fait l’objet d’une demande de licence en bonne et due forme. Parmi les adversaires du régime, on souligne toutefois que Veritas et Freedom FM font partie des médias qui dérangent : « Le gouvernement a beau se retrancher derrières des arguments juridiques, il est évident qu’il s’agit de mesures politiques, estiment certains. Les fréquences radio sont attribuées de manière sélective. »
Ces péripéties sont révélatrices des difficultés des médias privés à se faire une place sur les ondes nationales. Pourtant, la fin du monopole public n’a rien d’inattendu. Le 10 décembre 1990, le Parlement camerounais vote une loi ouvrant la voie à la libéralisation de l’audiovisuel. Mais le décret d’application autorisant la création de radios et de télévisions privées n’est signé par le Premier ministre Peter Mafany Musonge que dix ans plus tard. Depuis le 3 avril 2000, les médias indépendants ont – théoriquement – droit de cité au sein du paysage audiovisuel. À condition d’en obtenir l’autorisation par l’administration.
Pour qu’un opérateur privé puisse se lancer dans la production et la diffusion par voie hertzienne, par câble ou par satellite, il doit au préalable se faire délivrer une licence d’exploitation par le ministère de la Communication. Toute nouvelle radio est tenue de se plier à cette procédure. Les candidats doivent notamment déposer un dossier, qui est ensuite examiné par une commission interministérielle et soumis à l’avis du Conseil national de la communication.
Quelques antennes privées, comme Radio Reine ou Radio Lumière, ont débuté leurs émissions en modulation de fréquence avant même la signature du décret d’application. Elles ont été « tolérées » jusqu’au 3 avril 2000, avant de disposer d’un délai de trois mois pour se conformer à la nouvelle législation. Si ces opérateurs ont été rapidement régularisés, l’arrivée d’autres candidats a créé une situation de concurrence pour l’obtention des précieuses licences. Accusé de favoritisme par les uns, d’autoritarisme par les autres, le ministère de la Communication se défend de prendre parti et assure que son rôle se limite à celui de simple arbitre.
« Pour attribuer de nouvelles fréquences, nous sommes tenus de nous conformer aux directives de l’Union internationale des télécommunications (UIT), explique Joseph Mvoto Obounou, directeur de la communication auprès de l’administration de tutelle. Celles-ci sont particulièrement strictes pour Douala, car cette ville est située à proximité d’une zone frontalière avec le Nigeria et la Guinée équatoriale. Nous devons donc partager les fréquences avec nos voisins. Compte tenu de cette contrainte technique, nous ne pouvons satisfaire toutes les demandes de licence. D’autant que nous en recevons en moyenne une nouvelle par jour. » Pour l’heure, une vingtaine de radios associatives ou communautaires, et autant de radios thématiques ou commerciales se partagent la bande FM. Parmi elles, RFI, BBC, Africa N°1 et la CRTV occupent déjà cinq fréquences, la radio nationale s’en étant octroyé deux. Et les autorités estiment que le pays a encore besoin de cinq à dix fréquences supplémentaires à Yaoundé et d’autant à Douala.
Autre argument brandi par le gouvernement : « Certains se lèvent un beau matin et décident de créer une radio. Sans se soucier outre mesure de sa viabilité économique ni du professionnalisme de ses animateurs, poursuit Joseph Mvoto Obounou. On ne peut pas ouvrir une antenne en répétant tous les matins que le président de la République a les pieds plats. » Pour éviter les écarts de langage, le ministère dispose d’un observatoire des médias : « Notre contrôle est strictement technique. Nous ne portons pas de jugement sur la politique éditoriale des médias. Nos seules interventions se limitent à des rappels à l’ordre en cas de dérapage. C’est ce que nous avons fait avec Magic FM, une antenne qui s’est rendue coupable d’insulte à l’égard du chef de l’État et du gouvernement. Notre rôle est de réguler… Pas de caporaliser. »
Si les enfants terribles du paysage audiovisuel camerounais ont du mal à se faire entendre, d’autres, en revanche, ont reçu sans problème leur licence. Le 23 septembre, trois nouvelles stations de radio et quatre chaînes de télévision ont été autorisées à émettre en partenariat avec l’administration. Ces sept nouveaux médias sont sous « la tutelle thématique des personnes morales de droit public (administrations publiques ou sociétés parapubliques) », a indiqué le ministre de la Communication. Ainsi, l’un des nouveaux opérateurs consacrera une partie de sa programmation à la lutte contre le sida, en partenariat avec le ministère de la Santé. Avec, pour ce dernier, la possibilité de dénoncer ce parrainage institutionnel en cas de dérapage de l’opérateur.
Plus généralement, cette épée de Damoclès pèse sur tous les journalistes qui travaillent sur des antennes privées. Cité en exemple par les uns, montré du doigt par les autres, Rémy Ngono, animateur d’une émission satirique sur la Radiotélévision Siantou (RTS), a été incarcéré le 5 août à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, à la suite de sa condamnation à six mois de prison ferme pour diffamation. « Rémy Ngono était l’animateur du Kondré chaud, très écouté dans la capitale, raconte l’un de ses confrères. Il est vrai qu’il a dépassé les bornes en insultant certaines personnalités. Mais les sanctions auxquelles s’exposent ceux qui franchissent la ligne jaune sont disproportionnées avec la faute. »
Rédacteur en chef de Radio Siantou, Jean-Claude Mvodo travaille sur cette antenne depuis sa création, en juin 2000. Propriété de Lucien Siantou, homme d’affaires proche du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), RTS ne peut se permettre de braver les interdits. Quant à ses journalistes, ils doivent parfois s’autocensurer. « Lorsqu’ils traitent de certains sujets, les reporters ont le choix entre deux options, explique Jean-Claude Mvodo : dire les choses comme elles sont et se retrouver au chômage ; ou bien mettre la pédale douce sur les sujets sensibles et conserver leur place. » Parmi les thèmes tabous, on trouve tout ce qui touche à la présidence de la République, à la santé du chef de l’État ou à la première dame. Mais si l’information manque parfois de rigueur, c’est moins à la faible formation des journalistes qu’à la difficulté d’accéder à l’information qu’il faut l’attribuer : « Si les médias privés étaient traités avec un peu plus d’égards, ils pourraient certainement travailler plus rigoureusement », conclut le rédacteur en chef. Un appel particulièrement opportun à moins d’un an de l’élection présidentielle. Les représentants des médias privés n’espèrent pas de révolution du paysage audiovisuel national avant octobre 2004. Mais ils espèrent au moins que leur ministre de tutelle les laissera couvrir l’événement « librement ».

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