La dernière Interview d’Abel Goumba

Vice-président centrafricain

Publié le 19 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Monsieur Propre », « l’éternel opposant »… Abel Goumba ne manque pas de surnoms. Signe que le vieux lion de 77 ans est populaire chez lui et à l’étranger. Et le président Bozizé le sait bien. Le 23 mars, il l’a nommé Premier ministre pour se faire pardonner son coup d’État du 15. Et le 11 décembre, il l’a limogé pour mieux s’ouvrir la voie de l’élection présidentielle. Abel Goumba n’est pas dupe, mais accepte ses nouvelles fonctions de vice-président. Pour l’instant, il reste la caution morale du régime. Pour l’instant…

Jeune Afrique/L’intelligent : Avez-vous été surpris par la décision du président Bozizé de vous démettre ?

Abel Goumba : Oui et non. Notre gouvernement venait d’être reconnu par l’Union européenne et le Fonds monétaire international. J’avais donc de belles perspectives devant moi. Mais un chef d’État peut prendre les mesures qu’il veut. C’est lui qui commande. Je me suis rappelé ce film où l’ancien président Amin Dada faisait la course à la nage. Quand il se sentait distancé, il repoussait son concurrent de la main.

J.A.I. : Avez-vous dû avaler quelques couleuvres ?
A.G. : Évidemment, c’est inévitable, mais il y a des moments où l’intérêt supérieur de la nation exige quelques sacrifices. En Afrique, les gens ont le culte du chef. Porter atteinte à son image peut mettre la paix en danger. Si j’étais retourné dans l’opposition, cela aurait pu semer la division et des troubles. J’ai donc préféré respecter l’ordre établi et rester dans le système. D’ailleurs, pour moi, l’accession à la vice-présidence n’est pas un départ. C’est une deuxième étape de mon engagement dans la transition. Et je ne me contenterai pas d’inaugurer les chrysanthèmes !

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J.A.I. : Le 5 novembre, le Conseil national de transition a rejeté votre programme de gouvernement. Cela a-t-il pesé sur la décision du chef de l’État ?
A.G. : Non, je n’ai pas été sanctionné pour ma gestion, car le bilan de mon gouvernement est positif. Il est même mesurable. Nous avons assaini les finances publiques et payé salaires et pensions. En huit mois, nous avons injecté plus de 20 milliards de F CFA dans le circuit économique. Et plus de 1 600 dossiers d’agents véreux de la fonction publique ont été mis à jour et transmis à la justice.

J.A.I. : Ces derniers mois, plusieurs exécutions sommaires ont été commises à Bangui par des « libérateurs », c’est-à-dire par ces combattants centrafricains ou tchadiens qui ont aidé François Bozizé à prendre le pouvoir. Au fond de vousmême, n’êtes-vous pas soulagé de ne plus être Premier ministre ?
A.G. : Pas du tout. C’est vrai que, ces derniers temps, j’ai commencé à me poser certaines questions sur la maîtrise de ces « libérateurs », d’autant que la population s’était mise à manifester contre eux. Mais ceux qui me connaissent savent que j’aime affronter les difficultés. Chaque fois que des éléments incontrôlés de l’armée ont commis des bavures, j’ai saisi le chef de l’État. Je lui ai dit que nous étions en période d’observation devant la communauté internationale, et qu’il fallait punir sévèrement les auteurs de ces crimes. De fait, ils ont déjà été dégradés, et aujourd’hui, leurs dossiers sont devant la justice. Par ailleurs, j’ai exigé que ces combattants soient recensés et ensuite reclassés dans l’armée ou dans l’administration. Malheureusement, des jeunes de Bangui se sont mêlés aux « libérateurs ». Et bien sûr, cela a compliqué le travail de recensement qui est toujours en cours. Quant à la question des combattants tchadiens, elle ne sera pas résolue tant que les populations kodos qui vivent à cheval sur la frontière tchado-centrafricaine seront utilisées comme réservoir de mercenaires.


J.A.I. :
Le nouveau chef du gouvernement Célestin Gaombalet n’a aucun passé politique. N’est-ce pas la preuve que François Bozizé ne pouvait pas cohabiter longtemps avec un Premier ministre politique ?

A.G. : Je suis mal placé pour répondre à cette question, mais on constate les faits. Cela dit, mes rapports avec le chef de l’État sont bons, et fondés sur un respect mutuel.
J.A.I. : À l’instar de certains hommes politiques français, pensez-vous à l’élection présidentielle à chaque fois que vous vous rasez le matin ?
A.G. : [Rires.] Non, je n’y pense pas. L’idée vient comme ça, vaguement, mais elle est vite balayée par tous les préalables qu’il faut poser, à commencer par le retour de la sécurité dans le pays.
J.A.I. : Que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes trop âgé pour vous présenter ?
A.G. : Mais je ne suis pas un vieillard grabataire ! Au contraire, je suis en pleine possession de mes moyens. Et sur le plan intellectuel, je peux rivaliser avec n’importe quel étudiant !

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