Trois évolutions à suivre

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

De la semaine qui s’achève je retiens trois événements, dont je pense qu’ils auront des prolongements importants, dès le mois prochain et très certainement en 2006.
1. L’Allemagne a un nouveau chancelier, plus exactement, et pour la première fois de son histoire, une chancelière : Angela Merkel.
Nul ne sait si elle sera un bon chef de gouvernement ni combien de temps elle pourra tenir à la tête de « la grande coalition » composée de son parti, la CDU (et de son alliée, la CSU), et du SPD de Gerhard Schröder. Mais on sait, parce que cela a été négocié entre les deux principales formations de la nouvelle majorité parlementaire, quels seront les axes de la politique extérieure de l’Allemagne à partir de la semaine prochaine.
Sur trois points importants, et qui nous intéressent, cette politique sera différente de celle pratiquée par Gerhard Schröder.
– Comme la France, et avec autant de détermination qu’elle, l’Allemagne pesait jusqu’ici de tout son poids pour que l’Europe, passant outre à l’opposition (et aux menaces) des États-Unis, lève l’embargo par lequel elle s’interdit depuis quinze ans de vendre des armes sophistiquées à la Chine.
Angela Merkel et son gouvernement voudront conserver les avantages de relations commerciales importantes avec la Chine, mais ne se battront pas pour que l’Europe lève l’embargo sur la vente d’armes. Du coup, ce dernier n’a plus aucune chance d’être levé dans les trois ou quatre années qui viennent.
C’est là, indiscutablement, une victoire américaine.
– Gerhard Schröder était l’ami personnel et politique de Jacques Chirac et de Vladimir Poutine. Les trois hommes se concertaient en permanence, se rencontraient fréquemment, s’efforçaient de constituer un front.
Ayant perdu son centre, ce front se trouve disloqué et, sans qu’on puisse parler d’un renversement d’alliances, Angela Merkel sera plus proche de Tony Blair que de Jacques Chirac et de George W. Bush que de Vladimir Poutine.
Ce dernier ne pourra plus continuer à massacrer les Tchétchènes sans que Berlin proteste…
Seconde victoire américaine.
– Gerhard Schröder est favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Europe et a encouragé l’ouverture des négociations avec elle en vue de son adhésion ; comme Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy en France, Angela Merkel est opposée à cette adhésion.
Sur ce plan, elle attendra son heure pour marquer son opposition mais ne fera pas ce que veulent les Américains…

2. Le deuxième événement que je juge important et dont je pense qu’il affectera le proche avenir était, lui, complètement inattendu : c’est l’arrivée d’Amir Peretz à la tête du Parti travailliste israélien, en remplacement du vieux Shimon Pérès, usé jusqu’à la corde.
Accroché au pouvoir, Shimon Pérès était devenu le faire-valoir d’Ariel Sharon ; de trente ans son cadet, représentatif de l’aile gauche du Parti travailliste, Amir Peretz a fait, la semaine dernière, une entrée tonitruante dans le paysage politique israélien en annonçant une vraie volte-face de son parti : « Il faut cesser de se compromettre avec Sharon et sa politique, a-t-il dit, quitter son gouvernement, provoquer des élections pour tenter de réinstaller les travaillistes au pouvoir et faire une autre politique… »
Laquelle ? Tenez-vous bien : celle des accords d’Oslo à laquelle avait mis fin un certain Ariel Sharon, il y a tout juste cinq ans.
On ne doute pas de la sincérité de Peretz. Mais nul ne sait si les électeurs, convoqués pour le début de 2006, lui permettront de tenir ses promesses et de réaliser son programme.

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Au moins est-il assuré de mettre à nu l’imposture grâce à laquelle Ariel Sharon a réussi à persuader la majorité de ses concitoyens, la majorité des Juifs de la diaspora et une bonne partie de l’opinion mondiale qu’il veut la paix, mais… ne trouve pas de partenaire palestinien pour la faire avec lui : Sharon a prétendu en effet que Yasser Arafat était « un Ben Laden palestinien » et ne pouvait, par conséquent, être son partenaire pour la paix. Yasser Arafat ayant été éliminé, le même Sharon cherche à faire croire depuis plus d’un an que son successeur, certes différent, n’est cependant pas ce qu’il (lui) faut.
Dans une interview parue en ce mois de novembre*, il le traite comme un vaincu qu’on piétine : « Mahmoud Abbas fait-il aujourd’hui tout ce qu’il est possible de faire ? J’estime que non. Il s’est lui-même placé dans une impasse. Je peux dire ce qu’il doit faire… pour que les discussions puissent commencer… » (sic).
L’entrée en scène d’Amir Peretz aura pour mérite de montrer que l’Ariel Sharon qui a fait évacuer Gaza n’est pas pour autant un « homme de paix », car, à l’instar de son ami George W. Bush, il veut écraser ses adversaires, dominer ses voisins, faire prévaloir ce qu’il croit être les intérêts de son pays.
Et ne peut y parvenir qu’en prolongeant l’affrontement.
(Voir pp. 22-24, l’analyse de Marcel Péju.)

3. La troisième information de la semaine, lourde de conséquences, dont je veux vous entretenir, est celle relative à Hissein Habré, l’ancien dictateur-tortionnaire du Tchad, renversé il y a quinze ans et qui, depuis, coulait des jours tranquilles dans cette démocratie ouest-africaine par excellence qu’est le Sénégal (voir pp. 50-53 notre dossier spécial).
Les Africains ont un problème avec leurs dictateurs les plus sinistres, même lorsqu’ils ont été chassés du pouvoir : ils ne les jugent pas, ni ne les livrent à la justice internationale lorsqu’elle les réclame.
Il se trouve toujours un chef d’État africain pour leur accorder refuge et une manière de protection : Hissein Habré est dans ce cas, mais aussi le Libérien Charles Taylor et l’Éthiopien Haïlé Mariam Mengistu.

Il faut que cela cesse, et cela ne cessera que si l’opinion publique africaine se fait entendre, le réclame, l’exige.
Les Latino-Américains l’ont fait, avec plus ou moins de succès, pour les infâmes généraux argentins ou pour le non moins criminel Pinochet.
Les Asiatiques aussi, à leur manière.
Jusqu’à quand les Africains laisseront-ils d’autres le faire à leur place, sans même y contribuer ?
Quand comprendrons-nous que faire juger et condamner Habré, Taylor et Mengistu est essentiel ? Car c’est ainsi que nous dirons à leurs émules encore au pouvoir qu’ils se doivent, pour leur propre sécurité, de desserrer leur étreinte.
L’extradition d’Hissein Habré est, pour le Sénégal et sa justice, pour le président Abdoulaye Wade, une ardente obligation, car elle rendra possible celle de Charles Taylor et de Haïlé Mariam Mengistu.
Leur condamnation sonnera comme un avertissement salutaire et nous prémunira contre les méfaits de ceux qui croient encore qu’au XXIe siècle on peut gouverner par la force et bafouer les droits de l’homme.

Mais Abdoulaye Wade n’a pas tort de soutenir que le problème posé par Habré est africain, pas sénégalais.
Le président de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, et celui de sa Commission, Alpha Oumar Konaré, auxquels il fait appel, se doivent de pousser à l’extradition.
S’il leur apparaît que le dictateur tchadien, convaincu de crimes atroces contre son peuple, doit être jugé, mais par une autre instance que celle qui le réclame, qu’ils le disent – et agissent dans ce sens.
L’essentiel est de mettre un terme à l’impunité des dictateurs (africains ou non) accusés de crimes graves. Il faut qu’ils soient traduits devant une justice équitable, internationale de préférence.
Qui condamnera ou acquittera.

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* Dans Politique Internationale.

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