Technion : yeshiva high-tech

Machine à fabriquer des élites, le fleuron de l’enseignement supérieur scientifique est l’un des outils stratégiques majeurs de l’État hébreu.

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

C’est la plus ancienne et certainement la plus moderne des universités israéliennes. En 1912, quand la toute première pierre du Technion est posée au coeur de la ville de Haïfa, Israël n’existe pas encore. Mais l’idée d’un institut technologique trotte déjà depuis longtemps dans la tête de trois leaders sionistes, Haim Weizmann, Martin Buber et Bertold Faivel. En 1901, ils la soumettent au cinquième Congrès sioniste, à Bâle. Ils rêvent alors d’un État hébreu fondé sur la science et la connaissance, et dont la matière première serait… grise. Mais le projet, même soutenu par un dénommé Albert Einstein, traîne en longueur. Ouverte en 1924, la première classe – architecture et génie civil – de ce qui deviendra le fleuron de l’enseignement supérieur scientifique israélien réunit péniblement seize élèves.
Quelque quatre-vingts années et plus de 75 000 diplômés plus tard, le campus s’est déplacé sur les flancs du mont Carmel, surplombant Haïfa et la Méditerranée, pour pouvoir accueillir les 13 000 élèves inscrits, ainsi que les 19 facultés et 40 centres de recherche. Le Technion a gagné en notoriété grâce au soutien des personnalités politiques, Ben Gourion en tête, et au rayonnement de ses illustres étudiants (dont les Prix Nobel de chimie 2004, Avram Hershko et Aaron Ciechanover). L’institut s’est aussi fait remarquer par une série de découvertes, dont le fonctionnement de l’ubiquitine, protéine utilisée dans la lutte contre certains mélanomes. Et, grâce à ses ingénieurs, qui, d’après son porte-parole, « ont construit et construisent Israël », est devenu l’un des outils stratégiques majeurs du pays.
En fait, le Technion a tout de la machine à fabriquer des élites nationales (70 % des ingénieurs israéliens en sont issus), aussi bien en agriculture, en médecine et en chimie qu’en aérospatiale et en informatique. Répartis sur tous les niveaux du cursus, depuis la première année post-baccalauréat au doctorat, ses élèves sont sélectionnés sur la base de critères qui rappellent les méthodes des universités américaines, avec un attirail de questionnaires à choix multiples et de tests psychométriques. Les étudiants étrangers sont peu nombreux, et pour cause : tous les cours sont dispensés en hébreu (les fondateurs du Technion avaient songé aussi à l’allemand, mais ils ont finalement opté pour l’hébreu, démontrant ainsi que cette langue pouvait, elle aussi, être scientifique). Le corps enseignant (900 professeurs), en partie issu du Technion, soutient largement la comparaison avec celui des établissements internationalement reconnus, en tête desquels figure le MIT (Massachusetts Institute of Technology).
L’État est le principal bailleur de fonds de ce culte de l’excellence : il contribue à hauteur de 65 % environ au budget annuel, d’un montant total de 1 milliard de shekels (181,25 millions d’euros). Que le financement soit essentiellement public s’explique par la situation d’Israël : dépourvu de ressources naturelles, le pays se voit, dès sa création, contraint de fonder sa puissance sur les ressources humaines. Einstein l’avait prédit, qui déclara : « Israël ne peut survivre qu’en développant son savoir technologique. » La recherche et l’application scientifiques font aujourd’hui partie de l’identité nationale, le pays comptant 135 ingénieurs pour 10 000 salariés, contre 83 aux États-Unis et 80 au Japon. Certes, ces quatre dernières années, le soutien de l’État au Technion a diminué de 27 %. Mais c’est une tendance qui s’inscrit dans un mouvement plus général de réduction des dépenses publiques, ces dernières ayant reculé de 2 % en 2003. Moins financières, les relations entre le Technion et les pouvoirs publics n’en sont pas moins toujours vivaces.
Il arrive en effet à cet immense cerveau de travailler en étroite collaboration avec l’État. Ce dernier agit comme un commanditaire. En 2002, un an après les attentats du 11 Septembre, un laboratoire dédié à la lutte contre le terrorisme a été créé. Dans ce cadre, la faculté de sciences informatiques a notamment développé un outil d’identification du visage en trois dimensions. Récemment, un appareil pour détecter des explosifs peu sophistiqués a été mis au point. La science pour la science ? Un tel désintéressement est loin d’être l’adage de la maison, d’autant qu’elle enregistre, comme toutes les autres universités du pays, un déficit important, de l’ordre de 21,3 millions d’euros. Afin de bénéficier des retombées des découvertes a notamment été créé Dimotech, filiale à 100 % de la Fondation Technion pour la recherche et le développement. Son objectif : aider des start-up – aussi bien dans les bio que les nanotechnologies – à amener un projet scientifique à son stade commercial. Et les inciter à déposer leur brevet, ce qui permet à l’université d’en récolter les dividendes.
La recherche et la formation ont attiré, en aval du Technion, des entreprises susceptibles d’appliquer ses trouvailles, comme Intel et Motorola. Si bien que la « recherche et développement » est devenue une activité nationale en Israël, représentant 4,5 % du PIB (l’un des rapports les plus élevés au monde). De fait, le Technion est un pôle de compétitivité – ces îlots scientifiques où travaillent de concert chercheurs, étudiants et ingénieurs – comme en rêvent les gouvernements européens, car on leur prête la vertu de prévenir les délocalisations.
On l’aura compris, c’est aussi une grande entreprise. Pour combler le vide progressivement laissé par le désengagement financier de l’État, l’institut se voit contraint de recourir de plus en plus à des fonds privés. Le réseau international des quelque 75 000 anciens élèves, regroupés en associations, fonctionne à plein et assure le rayonnement mondial de cette fierté nationale, par le biais de colloques et de collectes de fonds. L’institut de recherche en nanotechnologies, inauguré en février dernier, a ainsi été financé par un fonds américain à hauteur de 22,3 millions d’euros (soit un tiers du coût total, le solde se répartissant, à parts égales, entre le Technion et l’État). Un type de partenariat probablement appelé à se renouveler.

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