Service minimum à N’Djamena

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Pourquoi le gouvernement tchadien et le président Idriss Déby n’ont-ils jusqu’ici jamais demandé au Sénégal l’extradition d’Hissein Habré ? Quinze ans après la fuite à Dakar de l’ancien dictateur, la question demeure ouverte. Officiellement, les autorités de N’Djamena apportent leur appui à toutes les procédures visant à traduire Habré en justice où que ce soit sauf… au Tchad. Dans une lettre adressée le 10 octobre dernier au directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch, Reed Brody, le directeur de cabinet d’Idriss Déby, Mahamat Saleh Annadif, tenait ainsi à réitérer le soutien de son chef « à toutes les démarches conduisant à traduire l’ancien président Hissein Habré, ses complices et/ou ses coauteurs devant une juridiction neutre, pour le plus grand repos des âmes des victimes ». Dans les faits pourtant, le gouvernement tchadien n’a que très peu agi entre 1990 et 2005 à l’encontre de celui qui est tenu pour directement responsable de la mort de plusieurs milliers de ses concitoyens. Il a réclamé et obtenu le retour de l’avion C-130 avec lequel Habré avait fui au Sénégal, il a récupéré son téléphone satellitaire et fini par lever son immunité judiciaire. Mais aucune poursuite n’a à ce jour été engagée à l’encontre des complices d’Habré, et aucun processus d’indemnisation des familles des victimes n’est en cours.
Mieux – ou pis : selon un rapport publié en juillet 2005 par Human Rights Watch, une quarantaine d’anciens responsables de la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité), l’ancienne police politique d’Habré, dont la plupart ont été mêlés aux tortures et aux disparitions, exerceraient toujours de hautes fonctions au Tchad. En particulier dans la police, l’administration et les services de sécurité. Parmi eux figureraient le régisseur de la prison de N’Djamena, le chef de cabinet du directeur général de la police nationale, plusieurs préfets, des cadres importants de l’Agence nationale de sécurité et des renseignements généraux. Depuis la publication de ce rapport, certains ont été discrètement mutés – c’est le cas notamment des cinq anciens patrons de la DDS et de son bras armé, le BSIR – mais aucun ne fait l’objet de poursuites. Une impunité qui laisse à penser que le chef de l’État lui-même ne souhaite guère ranimer les fantômes du passé. Idriss Déby, qui fut le commandant en chef de l’armée d’Habré, puis son conseiller en charge de la défense et de la sécurité jusqu’en 1989, a eu en effet à connaître des exactions du régime. Son rôle exact dans le sinistre « septembre noir » de 1984 dans le Sud, ratissé par de véritables colonnes infernales, mériterait ainsi d’être éclairci.
Pour l’instant, les autorités de N’Djamena bénéficient d’un argument tacite et peu glorieux, qu’elles se gardent de mettre en avant mais qui n’en est pas moins efficace : le Tchad n’est absolument pas en mesure d’organiser un procès objectif, indépendant et impartial d’Hissein Habré. Reed Brody lui-même le reconnaît, qui affirme qu’Human Rights Watch et les autres ONG s’opposeraient à une éventuelle extradition d’Habré vers son pays où « sa sécurité personnelle serait gravement en danger, avant même que ne s’ouvre son procès ». Par peur qu’il ne parle ? Peut-être. Dans ce consensus un peu honteux, sans doute faut-il ajouter les États qui, à un moment ou à un autre, ont soutenu et aidé Habré en fermant les yeux sur les atrocités de son régime : la France, mutique depuis quinze ans sur ce sujet, les États-Unis et l’Égypte. Avec l’Irak de Saddam Hussein et le Zaïre de Mobutu, ces trois pays furent presque jusqu’au bout les piliers du système Hissein Habré. Pour que leur travail de deuil et de mémoire puisse enfin s’accomplir, les proches des suppliciés de la « piscine » de N’Djamena (principal centre de torture de la DDS) devront donc attendre. Attendre que le symbole de leurs souffrances soit jugé, à Bruxelles ou – pourquoi pas, si l’État sénégalais en fait une affaire de principe et de souveraineté – à Dakar même. Mais jugé.

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