[Tribune] Changeons notre manière de faire de la politique
Il est nécessaire de sortir de la marchandisation de la vie publique pour assainir le paysage politique et améliorer la gouvernance dans les États africains.
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Moussa Mara
Ancien Premier ministre du Mali, président du parti Yelema.
Publié le 17 octobre 2019 Lecture : 3 minutes.
Il est établi et accepté que, pour être président dans nos pays, il faut disposer de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA – voire de plusieurs centaines de milliards, comme c’est le cas au Nigeria. Mais est-il possible de rassembler une telle somme tout en gardant les mains propres ? Comment, prenant le pas sur les idées débattues ou les qualités intrinsèques des candidats, l’argent est-il devenu faiseur de rois – ou, en l’occurrence, de président ?
Les électeurs sont, en général, peu instruits et peu formés politiquement. Ils sont dans le concret, le court terme et les enjeux faciles à comprendre. Ils votent pour celui qui paie leurs ordonnances, creuse des forages dans leurs villages, réfectionne des dispensaires, ou selon la consigne qui leur aura été donnée par le patriarche.
Marchandisation de la vie publique
Bien sûr, ils ne sont pas les seuls responsables, loin de là. C’est le comportement des politiciens qui encourage à souscrire à la marchandisation de la vie publique dans nos pays. Les élites ne multiplient-elles pas les promesses sans lendemain ? Leur gouvernance insouciante et la manière révoltante dont elles parviennent à s’enrichir sont forcément source de déception et font que les citoyens ne comptent plus que sur eux-mêmes.
D’autant que les gouvernants sont très forts pour ramener le débat sur le terrain des questions matérielles, là où ils sont imbattables. Ils s’approprient la réalisation d’infrastructures, en font des victoires personnelles et, ce faisant, utilisent les moyens publics pour acheter le soutien des populations, aussi sûrement qu’ils harcèlent leurs opposants à coups de contrôles fiscaux. Dans nos pays, être avec le pouvoir est devenu synonyme de bien-être ; être face à lui équivaut à un véritable régime amincissant ! Par endroits, les adversaires les plus pugnaces ont été réduits à la précarité tandis que le pouvoir drainait toutes les ressources – humaines, matérielles et financières.
Les soutiens ne sont pas des philanthropes et exigent des contreparties
Il n’est pas étonnant que les questions matérielles soient devenues le point central des élections et l’objectif ultime des gouvernants. Et comme ces mêmes gouvernants sont persuadés que l’argent suffira à convaincre les citoyens, les attentes et les aspirations de ces derniers sont passées au second plan.
Tout cela est naturellement risqué. Les soutiens ne sont pas des philanthropes et exigent des contreparties. Il y a parmi eux des hommes d’affaires véreux, des trafiquants de tous acabits et des puissances extérieures susceptibles de confisquer la souveraineté des États. C’est un piège dont il nous faut absolument sortir pour assainir le paysage politique et améliorer la gouvernance. Des mesures doivent être prises pour le bien de nos démocraties.
Rendre le jeu politique plus équitable
Il faut interdire les distributions de biens et d’argent à l’approche des élections. Il faut empêcher les dirigeants politiques qui souhaiteraient obtenir un nouveau mandat d’utiliser les moyens des États qu’ils sont censés servir pour fausser la compétition. Il convient d’encadrer de manière très stricte la collecte de fonds avant une élection, de la rendre transparente et de fixer un plafond dans l’exécution des dépenses.
Il faut exiger la publication des comptes de campagne et que ceux-ci soient audités, avec une sanction d’inéligibilité en cas d’infraction. La publication des patrimoines et des revenus doit également être systématisée. Il est nécessaire de prévenir les conflits d’intérêts et d’éloigner des marchés publics les proches de nos dirigeants.
Il faut regrouper et stabiliser le champ politique avec de grands partis homogènes et cohérents
Ce n’est qu’à ce prix que l’on rendra le jeu politique plus équitable, mieux organisé et plus sérieux. Est-ce que cela suffira ? Sans doute pas, puisqu’il nous faut aussi réfléchir à la diminution du nombre de partis et de candidats aux élections. Il faut regrouper et stabiliser le champ politique avec de grands partis homogènes et cohérents. Cela facilitera les débats d’idées et fera émerger des projets identifiables, permettant aux populations de mieux connaître les acteurs et de les suivre.
À défaut, la politique continuera à rebuter ceux qui ont des idées et du savoir-faire mais qui sont réticents à marchander leurs convictions. Elle demeurera un champ trouble, terrain de jeu pour aigrefins, où les mandats s’achètent à coups de milliards et où la démocratie est confisquée. Les citoyens ne doivent pas en être réduits à se résigner ou à se révolter.
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