Que va faire Wade ?

Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, l’ex-président tchadien a été placé en détention le 15 novembre à Dakar. Reste à savoir s’il sera extradé.

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Après cinq ans d’une procédure judiciaire qui s’est éteinte au Sénégal pour être ravivée en Belgique, Hissein Habré a été placé sous mandat de dépôt le 15 novembre, à Dakar. La décision fait suite au mandat d’arrêt international lancé le 19 septembre par la justice belge contre l’ex-dictateur qui endeuilla le Tchad de son accession violente au pouvoir, en 1982, à sa chute suivie d’une fuite vers la capitale sénégalaise, en 1990.
À bord d’un 4×4 vert, l’ex-homme fort de N’Djamena sanglé dans un grand boubou blanc et coiffé d’un bonnet de même couleur a été acheminé non pas à la prison centrale de Rebeuss, mais vers le pavillon spécial de l’hôpital Aristide-Le-Dantec, au centre-ville de Dakar. « Quand on tue une personne, on est reçu dans une cellule pour détenus dangereux. Quand on en décime des dizaines de milliers, comme Habré, on a droit à un régime carcéral pour privilégiés », ironise Reed Brody, le directeur adjoint de Human Rights Watch, l’organisation américaine de défense des droits de l’homme.
Mais l’arrestation de l’ex-dictateur était loin d’être acquise il y a seulement quelques semaines. Son pays-hôte a usé de subterfuges pour en différer l’échéance. Après avoir reçu le mandat d’arrêt international faxé le 19 septembre depuis Bruxelles, le Sénégal a exigé d’en recevoir la copie originale. Laquelle a été déposée le 22 septembre au cabinet du ministère de la Justice par le conseiller politique de l’ambassade de Belgique à Dakar. Alors que leur loi nationale permet d’agir sur la base du simple mandat faxé, les autorités sénégalaises ont en outre exigé que l’original du mandat soit certifié. Ce qui fut fait. Le 7 novembre, elles ont reçu une copie frappée d’un visa du vice-président du tribunal de première instance de Bruxelles qui authentifie la signature du juge auteur du mandat. C’est seulement à partir de ce moment que le ministère de la Justice a consenti à procéder à une formalité simple : transmettre la demande d’extradition de la Belgique au procureur général auprès de la cour d’appel de Dakar.
Visiblement peu pressé de livrer Habré, le Sénégal a été poussé à ce premier pas du 15 novembre par la mobilisation des associations de défense des droits de l’homme. Mais également par une intense diplomatie secrète.
Abdoulaye Wade n’a cessé de subir les pressions discrètes de la part d’États (Canada, Suisse, Belgique…) et de personnalités (Kofi Annan, Louise Arbour, Alpha Oumar Konaré…) favorables à l’extradition.
Human Rights Watch, de son côté, a contacté de nombreux gouvernements occidentaux – qui ont intercédé auprès de Wade -, mobilisé les instances onusiennes et sensibilisé les grands médias internationaux. Depuis plusieurs semaines, le palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor croule sous un nombre impressionnant de lettres adressées au locataire des lieux par des militants d’Amnesty International, ainsi que par des organismes comme la Commission internationale des juristes.
Sur le terrain, la bataille de l’opinion publique a été conduite sur la base d’un credo : « Laisser les victimes de Habré parler. » Une délégation de l’Association des victimes des crimes et répressions politiques au Tchad (AVCRP), dirigée par son président Ismaël Hachim Abdallah, a ainsi tenu à Dakar, tout au long du mois d’octobre, des conférences de presse remarquées. Tout comme elle a engagé de nombreuses actions en coulisses. Elle a pris langue avec toutes les chancelleries occidentales et africaines en poste dans le pays, qui ont contacté leurs gouvernements respectifs. Lesquels n’ont pas manqué d’en toucher un mot à Wade.
Ismaël Hachim Abdallah s’est entretenu, fin octobre, à Touba, avec Serigne Saliou Mbacké, le guide de la confrérie des Mourides. Lequel, rapporte Abdallah, lui a confié : « Je ne protégerai jamais un criminel ni un voleur. Ma position est ferme, et j’en ferai part au chef de l’État, Abdoulaye Wade ». Le Tchadien n’a pas connu la même fortune avec Serigne Mansour Sy, calife des Tidianes et « protecteur » de Habré. Le marabout l’a reçu dans sa résidence de la Sicap Liberté V, à Dakar, début novembre. Après un échange crispé interrompu par l’intrusion d’un visiteur, le président de l’AVCRP a quasiment fait le pied de grue trois jours chez Serigne Mansour Sy, sans réussir à le revoir.
En quinze ans de séjour au Sénégal, Hissein Habré s’est tissé un réseau d’amis aujourd’hui mobilisés contre son extradition, qui s’étend des familles maraboutiques aux proches du chef de l’État. Le ministre d’État, Landing Savané, a clamé haut et fort sa position, le 15 novembre : « Je suis opposé à l’extradition d’Hissein Habré. » Sans doute soucieux de l’impact du dossier Habré sur l’image internationale du pays, son collègue des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, adopte une démarche qui se veut plus subtile : il multiplie les signes d’ouverture envers les organisations de défense des droits de l’homme, mais ne leur donne aucune garantie.
Quant au garde des Sceaux, Cheikh Tidiane Sy, il tient les plaignants à l’écart. L’avocat belge des victimes, George-Henri Beauthier, qui a séjourné à Dakar début novembre, n’a pu rencontrer que le directeur des affaires criminelles et des grâces, Chimère Diouf. Tandis qu’Ismaël Hachim Abdallah a dû se satisfaire, au niveau officiel, d’un rendez-vous avec le directeur de cabinet d’un ministre d’État à la présidence.
Le 15 novembre au soir, le procureur général près la cour d’appel, qui dépend du ministre de la Justice, s’est opposé dans sa réquisition à l’extradition d’Habré. Rien n’est donc joué avant l’intervention d’une décision favorable de cette juridiction. Le 16 novembre, Wade a annoncé qu’il demanderait l’avis de ses pairs de l’Union africaine avant de signer un décret d’extradition. Tandis que les médias officiels sénégalais et ceux proches du pouvoir prennent un ton nettement contre la « livraison » d’Habré. Comme si le Sénégal préparait l’opinion à une décision défavorable.

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