Que reste-t-il de Barcelone ?

En 1995, l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée affichaient l’ambition de créer une vaste zone de paix et de prospérité. Ils se retrouvent les 27 et 28 novembre pour tenter de donner une nouvelle impulsion à leur partenariat.

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Dix ans après le lancement du partenariat euro-méditerranéen, les grandes résolutions adoptées dans la capitale catalane par les ministres des Affaires étrangères des quinze membres de l’Union européenne de l’époque et de douze États riverains de la Méditerranée (lire ci-dessous) n’ont pas tenu toutes leurs promesses. L’élan qui prévalait lors du sommet de novem-bre 1995 a fait place à un pessimisme affiché, en particulier dans les pays du Maghreb. Envolés, les espoirs d’espace commun de paix et de stabilité, de zone de prospérité partagée et de compréhension entre les cultures. « Le processus de Barcelone non seulement stagne, mais n’arrive plus à défendre sa raison d’être », estimait fin octobre à Marseille Habib Boularès, secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Force est de reconnaître que le bilan est plus que mitigé.
L’idée était ambitieuse : créer un partenariat politique, économique et social regroupant l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée à l’exception de la Libye, à l’époque sous sanctions internationales. « Réunir des pays aussi variés, aux intérêts aussi différents et dont les perspectives d’évolution future vers l’Union européenne sont disparates, était probablement assez difficile », relève Amine Aït-Chaalal, codirecteur du
centre d’études des crises et des conflits internationaux (Cecri) de l’université de Louvain, en Belgique. Malte et Chypre ont rejoint l’Union européenne en 2004, et la Turquie est engagée dans une logique d’intégration européenne. Les neuf autres pays, du Maroc à la Syrie en passant par Israël et l’Autorité palestinienne, représentent une zone hétérogène incapable de parler d’une seule voix. Au sein de laquelle l’UMA, elle-même, paraît incapable de devenir un interlocuteur valable de l’Union européenne.
De part et d’autre de la Méditerranée, on s’accorde au moins sur un point : la reprise du conflit israélo-palestinien a sonné le glas du volet politique des accords de Barcelone. En 2000, le début de la seconde Intifada met fin aux espoirs de paix engendrés par les
accords d’Oslo. Et rend impossible l’adoption de la Charte euro-méditerranéenne de paix et de stabilité, prévue dans la déclaration de Barcelone. Seule institution à réunir à la même table Israël et les pays arabes, le processus de Barcelone aurait pourtant pu trouver là une raison d’être politique. Mais l’approche multilatérale du conflit par l’Europe et son incapacité à jouer un rôle positif dans un règlement ont conduit à une impasse. « Les partenaires de l’Euro-Méditerranée doivent se donner pour objectif d’en finir avec les conflits qui empoisonnent les relations dans la région : en Palestine,
comme à Chypre et au Sahara occidental, sans oublier l’Irak. C’est le moment pour l’UE
de s’imposer comme un médiateur déterminé », écrivait fin 2004 Hervé de Charette, ancien ministre français des Affaires étrangères et président de l’Institut euro-méditerranéen.
La dégradation de la sécurité dans la région est néanmoins loin d’être l’unique responsable de l’impasse dans laquelle s’enlise le processus. « Le décalage entre les
objectifs et les moyens mis en uvre est flagrant », dénonçait en juin, à Tunis, Hassan Abouyoub, ancien ambassadeur du Maroc en France. Manque de volonté politique, absence d’institutions communes, différence entre l’aide promise par l’Union européenne et les montants effectivement versés la mise en place d’un véritable partenariat entre les deux rives de la Méditerranée peine à s’épanouir. En dépit de quelques succès sur le plan
économique (voir page 105) et de l’ouverture au Caire en mars 2005 de la Fondation euro-méditerranéenne Anna-Lindh pour le dialogue des cultures, les trois objectifs fixés par le
Programme de coopération pour le partenariat euro-méditerranéen (Meda) soutien à la transition économique accompagnant la mise en place d’une zone de libre-échange, aide aux réformes globales et développement de la coopération des sociétés civiles sont loin d’être atteints.
Pis, le fossé qui sépare les deux rives n’a cessé de se creuser. L’écart des niveaux de développement augmente, le déficit commercial est chronique, et les investissements
européens se dirigent en priorité vers les nouveaux États membres ou vers l’Asie. Le virage à l’est amorcé par l’Union européenne dans le cadre de son élargissement a changé le cours des relations entre les deux rives de la Méditerranée. À Tunis, Rabat ou Alger, on déplore que les dispositifs mis en uvre pour assurer la mise à niveau des pays d’Europe centrale et orientale fassent défaut. Un sentiment d’abandon conforté par la réalité des chiffres : l’Europe de l’Est attire aujourd’hui trois fois plus de capitaux européens. À elle seule, la Pologne a reçu ces dernières années, en moyenne, quelque 8 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) par an. Soit autant que l’ensemble des pays sud-méditerranéens.
Naturellement, les responsabilités de l’échec sont partagées. Au Nord, on se justifie en évoquant les maux dont souffrent les pays riverains du Sud : inefficacité des systèmes financiers, manque de transparence ou encore faiblesse des systèmes éducatifs à l’exception de la Tunisie. Et l’on dénonce la lenteur des réformes, jugées indispensables pour attirer les investisseurs. Aux problèmes de confiance s’ajoute l’absence d’intégration économique régionale. « Les entrepreneurs préfèrent la Chine au Maghreb en
raison de l’absence d’un marché commun », explique Henri Roux-Alezais, président de l’Institut de la Méditerranée. Même si la signature, en 2004, des accords d’Agadir qui prévoient la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie va dans le bon sens.
Au Sud, c’est l’amertume qui prévaut. On reproche à l’Europe d’avoir obtenu, sans véritable contrepartie, une ouverture des marchés pour ses produits. Un sentiment résumé par la réaction de dépit de Mouammar Kadhafi à la lecture des textes de Barcelone : « L’Europe nous demande tout, mais ne s’engage sur rien. » L’évolution des priorités européennes depuis les événements du 11 septembre 2001 est également source de déception.
Vu du Sud, le volet sécuritaire a pris le dessus sur les idéaux de Barcelone, et la politique européenne se focalise désormais sur la volonté de contrôle des flux migratoires et sur une gestion commune du fondamentalisme religieux. « Le terme de développement, sous tous ces aspects, a été remplacé par la sécurité, la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine », se désole Habib Boularès, de l’UMA.
Ces espoirs déçus de part et d’autre permettront-ils de relancer le processus ? Les 27 et 28 novembre, les 35 partenaires euro-méditerranéens se réunissent à nouveau à Barcelone pour tirer les leçons de la décennie écoulée, et tenter de donner un nouveau souffle à leur partenariat. Sans quoi, l’initiative américaine du Grand Moyen-Orient pourrait bien prendre le dessus. « Il n’y aura pas d’Europe dans cinquante ans si nous n’avançons pas
en Méditerranée », a prévenu Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre français de l’Économie. Sera-t-il entendu ? Réponse fin novembre.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires