Le « rideau de fer » fiscal

Neuf pays d’Europe de l’Est ont adopté un taux unique d’impôt sur le revenu. Seront-ils imités à l’Ouest ? Rien n’est moins sûr.

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Le taux unique d’impôt sur le revenu des particuliers – la flat tax – vient de connaître coup sur coup deux échecs cinglants. En Allemagne, la proposition de Paul Kirchhof, ex-conseiller de la nouvelle chancelière Angela Merkel, qui préconisait de taxer les revenus à un taux unique de 25 %, a été enterrée. Pis, le gouvernement de coalition CDU-SPD a décidé, le 13 novembre, un tour de vis fiscal (voir p. 87). Le parti social-démocrate avait pourtant ramené, en 1998, le taux d’imposition pour les plus hauts revenus de 53 % à 42 %, et celui des plus bas revenus de 25,9 % à 12 %. Kirchhof, un temps pressenti pour le poste de ministre des Finances, puis tenu pour responsable de l’échec relatif de la CDU, arrivée devant le SPD d’une courte tête aux législatives du 17 septembre, a dû regagner, penaud, sa chaire de fiscalité de l’université d’Heidelberg. Rebelote une semaine plus tard en Pologne. Lors des législatives du 25 septembre, les Polonais ont à leur tour refusé un taux unique d’imposition de 15 % défendu par les libéraux.
Mais ces revers électoraux ont le mérite de mettre sous les feux de la rampe la flat tax, déjà adoptée par neuf pays d’Europe de l’Est. D’autant qu’aux États-Unis George W. Bush, affaibli, pourrait reprendre la main en proposant une simplification fiscale d’ici à la fin de l’année. Un comité bipartisan a présenté, le 1er novembre, ses propositions au secrétaire au Trésor, John Snow.
À l’Est, neuf pays ont adopté la flat tax pour les particuliers : Estonie, Géorgie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie et Ukraine. La flat tax permet de simplifier l’impôt sur le revenu et de réduire le coût de sa collecte : un coût évalué entre 10 % et 20 % des impôts perçus. En outre, la faiblesse de son taux – de 12 % en Géorgie à 33 % en Lituanie – stimule l’activité. En témoigne l’Estonie, dont la croissance a été de plus de 6 % par an depuis 1997, sans que la part de ses recettes fiscales – de l’ordre de 39 % du PIB – ne diminue. Autre avantage, la flat tax facilite la lutte contre la fraude fiscale et le travail au noir. En Russie, la mise en place, en janvier 2001, par David Laro, un ex-juge fiscal américain, d’un taux unique d’imposition – 13 % pour l’impôt sur le revenu – et du prélèvement à la source a permis à l’État de doubler en quatre ans le montant des impôts collectés. De même dans la province canadienne de l’Alberta, où l’introduction d’un taux unique de 10 % en 2001 a eu pour effet d’augmenter les recettes fiscales de 21 % en trois ans. Reste que l’intérêt principal de la flat tax est d’attirer les investisseurs. La concurrence fiscale des nouveaux membres de l’Union européenne ne se limite plus à l’impôt sur les sociétés mais s’étend aussi à l’impôt sur le revenu. Par exemple, la mise en place, en 2004, en Slovaquie, d’un taux identique de 19 %, aussi bien pour l’impôt sur le revenu que pour l’impôt sur les sociétés et la TVA, a joué un rôle crucial dans la décision de Hyundai, le constructeur automobile coréen, d’y investir 1,3 milliard de dollars.
En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, le débat bat son plein sur cette potion libérale venue de l’Est. La flat tax a « ringardisé » le régime fiscal britannique, pourtant considéré comme un des plus libéraux avec seulement trois taux d’imposition : 10 %, 22 % et 40 %, selon les revenus. George Osborne, candidat des conservateurs au poste de chancelier de l’Échiquier, a annoncé, au début de septembre, la création d’une commission d’étude sur un projet de flat tax. Quant aux Américains, à l’origine de la première révolution de l’impôt sur le revenu en 1986, ils sont à la traîne avec leur barème à cinq taux, de 15 % à 35 %. L’Espagne et la Grèce prévoient également de réduire et de simplifier leur barème d’imposition. En France, les députés ont voté le 16 novembre le projet de loi défendu par le Premier ministre, Dominique de Villepin. Ce texte prévoit, pour les revenus 2006, la réduction du barème de l’impôt sur le revenu à quatre taux : 5,5 %, 14 %, 30 % et 40 %. Le taux maximum d’imposition sera ramené de 48 % à 40 %, soit le même niveau que celui du Royaume-Uni. De plus, cette réforme vise à plafonner le montant des impôts directs (impôt sur le revenu et impôt sur la fortune pour l’État ; taxe d’habitation et taxe foncière pour les impôts locaux) à 60 % du revenu des contribuables, une limitation qui sera inscrite dans le code des impôts. « Le travail doit payer », se justifie le Premier ministre français. Déjà, trois pays européens, la Suède, l’Espagne et le Danemark, ont limité le prélèvement fiscal autour de 60 %. En Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a fixé la limite à 50 %.
Politiquement, le Vieux Continent n’est pas près d’abandonner le sacro-saint principe de progressivité selon lequel « plus les revenus sont élevés, plus leur taux d’imposition augmente ». Dans les faits, cette progressivité est à relativiser. En France, l’impôt sur le revenu ne représente que 16 % des recettes fiscales de l’État. Il a rapporté, en 2003, 53 milliards d’euros, contre 63,6 milliards pour la CSG (contribution sociale généralisée), une flat tax qui ne dit pas son nom. Les plus fortunés, du fait des déductions fiscales, évitaient jusqu’ici légalement la taxation, sans parler de l’évasion fiscale frauduleuse. L’Allemagne et l’Italie, enfin, ont dû recourir, pour faire revenir les capitaux, à de massives amnisties fiscales avec des taux d’imposition réduits, une sorte de flat tax… pour les fraudeurs.

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