La dame de fer de Monrovia

Vainqueur de l’élection présidentielle du 8 novembre face à l’ex-footballeur George Weah, Ellen Johnson-Sirleaf est la première femme élue chef d’État sur le continent africain.

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

C’est fait, le « héros » est à terre. Son épopée s’est achevée banalement, au fond des urnes. Le candidat George Weah a été battu. Sa richesse alliée à sa célébrité et à sa générosité n’ont pas suffi à lui assurer le succès au second tour de la présidentielle du 8 novembre. Pas plus d’ailleurs que son très bon score du premier tour qui lui avait permis de devancer très nettement les vingt et un autres candidats. Après quatorze ans de guerre civile et à l’issue de la première élection multipartite, libre et transparente, les Libériens ont démocratiquement élu une veuve de 66 ans, mère de quatre enfants, qui lui ont donné six petits-enfants : Ellen Johnson-Sirleaf qui devient ainsi la première femme à la tête d’un pays africain. La première à entrer dans le club très fermé des femmes chefs d’État. Une consécration et un encouragement pour toutes celles qui dans les champs, les marchés ou ailleurs cherchent tous les jours de quoi faire bouillir la marmite.
Combien de Libériens, surtout des jeunes, pour la plupart d’anciens enfants-soldats, ont accompli leur devoir civique le mardi 8 novembre pour apprendre le lendemain et les jours suivants interloqués, incrédules, que le changement qu’ils attendaient n’était pas au rendez-vous ? Que quelque chose d’incompréhensible s’était passé ? Que George Weah, leur champion, ne serait pas le premier footballeur professionnel porté à la tête d’un État ? Le choc est également rude pour l’intéressé, revêtu du boubou de rédempteur, qui n’a pu battre Ellen Johnson-Sirleaf à son propre jeu : la politique, à laquelle le tout nouveau chef de l’État libérien a consacré une bonne partie de sa vie.
Une vie de militante faite de crocs-en-jambe, de services rendus, de renvois d’ascenseur, de petites attentions et d’amitiés entretenues, qu’elles soient sincères ou intéressées. À l’arrivée, le résultat d’un investissement qui lui a permis de donner sa mesure dans plusieurs institutions. Inventaire : Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) ; Banque du Liberia pour le développement et l’investissement ; Citicorp ; Banque mondiale ; Fonds monétaire international (FMI) ; Banque africaine de développement (BAD) ; Songhai Financial Holding Ltd (Ghana) ; Commission d’enquête internationale de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) sur le génocide au Rwanda ; Fondation Soros ; Open Society Initiative for West Africa (Osiwa) ; International Crisis Group (ICG)…
« Partout, confie Johnson-Sirleaf, j’ai travaillé comme un professionnel qui se trouve être une femme. » La carte de visite dit toute l’expérience du tombeur de Weah. Celle, en tout cas, qui lui permet aujourd’hui d’obtenir le fruit de tant d’années d’engagement personnel : diplômée de Harvard, celle que ses compatriotes appellent la « Dame de fer » à cause de son caractère bien trempé accède à la tête de l’État. Avec, à l’en croire, de nouvelles résolutions. « Dans le passé, assure-t-elle à l’hebdomadaire britannique Newsweek, j’ai été perçue comme quelqu’un de volontaire, de strict. Mais aujourd’hui, ma préoccupation est plutôt d’être une mère pour le Liberia. Je veux soigner les blessures de cette nation, surtout celles de sa jeunesse. Il faut bien que quelqu’un s’en occupe tendrement. Il faut bien que quelqu’un lui fasse comprendre qu’elle est aimée… »
Ellen Johnson-Sirleaf est apparemment parvenue à en convaincre la majorité de ses concitoyens. À faire en sorte que d’un tour de scrutin à l’autre, la joie change de camp, qu’elle quitte le visage souriant des partisans du Congrès pour le changement démocratique (CCD, de Weah) pour flotter sur les lèvres de ceux du Parti de l’unité (PU, de Johnson-Sirleaf). King George, 39 ans, qui fut pour nombre de ses compatriotes le symbole de l’enfant du peuple qui s’est fait un nom et un patrimoine sans aucune coterie politique et sans avoir trempé dans la corruption, a été vaincu. Il a été largement défait par une dame « pragmatique » et droite dans son pagne, qui fut ministre du président William Tolbert dans les années 1970, au temps de la paix. Une femme qui fit preuve de compréhension à l’endroit du sanguinaire dictateur Samuel Doe, même si elle le paya de deux séjours en prison. Et qui manifesta une certaine indulgence à l’égard du chef de guerre Charles Taylor, car il avait osé défier Doe, avant de finir par l’affronter à la présidentielle de juillet 1997.
Ces concessions faites à ces deux tyrans, mais aussi le compagnonnage au second tour avec Jewell Howard Taylor (épouse de Charles Taylor), qui lui a apporté son soutien, atténuent à peine l’éclat de la victoire de Johnson-Sirleaf. Et le résultat est d’autant plus cinglant que pendant les trois semaines de campagne entre les deux tours, c’est Weah qui semblait devoir emménager à Executive Mansion, le palais présidentiel. L’intrusion de l’ancienne gloire du football dans la politique avait, il est vrai, redonné espoir à des milliers de personnes lasses de l’impéritie de leurs dirigeants, qui n’ont eu de cesse de se disputer le sort du pays, les armes à la main. Quand Weah s’est porté candidat en novembre 2004, les rues de Monrovia ont été transformées en pistes de danse. Et lorsqu’à la veille de la campagne électorale, il est rentré de Floride, troquant ses costumes « ritals » contre une tunique blanche avec sa photo scannée dessus pour affronter ses adversaires sur le terrain, la capitale a été prise de frénésie.
Dans la course à la magistrature suprême, Weah était devenu l’homme à battre, ses rivaux, anciens chefs de guerre, avocats, hommes d’affaires ou évangélistes ne pouvant se prévaloir de tant de popularité. Il les battit tous au premier tour et crut le fauteuil présidentiel avancé pour lui, entouré des ralliés de dernière minute dont Winston Tubman, Varney Sherman, l’avocat proche du chef de l’État intérimaire, Gyude Bryant, et les anciens seigneurs de la guerre comme Sekou Damate Conneh, Prince Johnson, Alhaji Kromah ou George Boley. Erreur. Le soutien de ces derniers conjugué avec sa propre inexpérience de la gestion des affaires publiques ont rogné ses chances de gagner la bataille. L’abstention a fait le reste. Écarté si près du but, l’ex-avant-centre vedette du Milan AC se révèle très mauvais joueur et se met à protester. Mais, malgré ses recours pour fraudes auprès de la Commission nationale électorale, il est peu probable qu’il obtienne les clefs d’Executive Mansion.
Sera-t-il aussi sportif en politique que sur les terrains de football pour étouffer dans l’oeuf la menace de ses partisans proclamant à l’envi : « Pas de Weah, pas de paix » ? Saisira-t-il la main tendue de son vainqueur qui l’invite à rejoindre son équipe dans le cadre du « large gouvernement d’union » qu’elle promet de mettre en place ? Le pays en a besoin, qui, quatorze ans durant, a souffert des rancunes des chefs de guerre. Et souhaite ne plus compter sur les quelque 15 000 Casques bleus qui tiennent à distance les différentes factions armées.

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