Centrafrique : avec « Camille », le réalisateur Boris Lojkine rend hommage aux reporters de guerre
Entre fiction et images d’archives, le film « Camille », qui sort en salles ce mercredi 16 octobre, rend hommage à Camille Lepage, jeune photographe française tuée en Centrafrique en 2014. Interview de Boris Lojkine, réalisateur parti sur les traces de cette passionnée du continent africain.
C’est la première image du film : sous la bâche d’un 4×4, cinq corps, dont celui d’une femme blanche, Camille Lepage. Cette jeune photojournaliste a été tuée dans une embuscade le 12 mai 2014, alors qu’elle accompagnait un groupe de miliciens anti-balaka. Tout le reste du long-métrage de Boris Lojkine permet de comprendre en flash-back comment et pourquoi la jeune journaliste a été fauchée par une balle à seulement 26 ans.
« Camille » n’est pas une glorification posthume. L’inexpérimentation de la photographe, ses prises de risque frôlant l’inconscience font aussi partie du portrait complexe brossé par le réalisateur. Et le résultat est d’autant plus dérangeant qu’en utilisant des séquences vidéo de l’époque ainsi que des photographies réalisées par la journaliste, le cinéaste brouille les pistes de la fiction.
Camille – qui vendit aussi ses photos à Jeune Afrique – s’impose progressivement comme une héroïne singulière. Une Blanche, Française, à Bangui ; une femme jeune face à un cercle fermé – les reporters de guerre – de vieux baroudeurs ; une observatrice en quête d’humanité confrontée à la barbarie ; une idéaliste qui s’oppose aux diktats de l’actu, et qui reste en Centrafrique quand une rédaction lui conseille de partir couvrir un autre conflit en Ukraine.
À travers ce récit tragique, s’étendant sur quelques mois seulement, le réalisateur amorce une réflexion profonde sur ce qu’est le métier de photojournaliste. Peut-on couvrir longtemps un conflit en gardant une distance suffisante avec victimes et bourreaux ? La présence des journalistes encourage-t-elle certains crimes ? Jusqu’où doit-on aller pour témoigner de la folie de la guerre ? « Camille » ne donne pas de solution clé en main, et c’est aussi cela qui fait sa force.
Tel un plaidoyer, le réalisateur Boris Lojkine retrace, dans le film hommage « Camille », l’itinéraire de cette jeune femme pleine de fougue et d’humanisme dans une ville Bangui en pleine guerre civile. Pour Jeune Afrique, il revient sur la réalisation de ce film.
Jeune Afrique : Quel a été le point de départ de ce projet de film sur Camille Lepage ?
Boris Lojkine : Cela faisait longtemps que j’avais en tête de tourner un film sur les reporters de guerres et les conflits en Afrique. En découvrant la mort de Camille Lepage dans les journaux, en mai 2014, j’ai été frappé par la manière de travailler de cette jeune photojournaliste, son engagement envers un pays qui lui était inconnu : la Centrafrique. Camille était à la fois fonceuse et avait de l’empathie. Elle n’avait peur de rien et n’hésitait pas à suivre les groupes armés. J’ai senti une certaine proximité avec elle et ça a été le déclic.
La Centrafrique vous était-elle familière ?
J’ai passé beaucoup de temps en République démocratique du Congo (RDC) et j’ai une certaine proximité avec le continent puisque j’ai réalisé le film Hope qui raconte l’histoire d’un Camerounais et d’une Nigériane sur la route de l’Europe. Alors quand les parents de Camille ont accepté que je fasse ce film, c’est tout naturellement que je suis parti en Centrafrique afin de mieux connaître ce territoire.
Je m’y suis rendu la première fois en 2016, deux ans après la mort de Camille. J’y ai fait des recherches, rencontré des personnes qu’elle a côtoyées sur place. Cette phase préliminaire a été fondamentale pour la réalisation du film. C’est grâce à cette bible d’informations recueillies que j’ai commencé à écrire le scénario.
Comment êtes-vous parvenu à obtenir les autorisations pour tourner en Centrafrique ?
Quand je suis arrivé en Centrafrique en 2016, j’ai créé un atelier de Cinéma et documentaire à Bangui avec l’aide de l’Alliance française de développement (AFD) et les Ateliers Varan afin de former quelques jeunes aux pratiques cinématographiques. Lorsqu’il a fallu demander les autorisations de tournage, je suis allé voir directement le président Faustin-Archange Touadéra en lui présentant le travail que j’avais fait durant ces deux années et en lui garantissant que le film « Camille » serait franco-centrafricain, avec une équipe et des acteurs issus du pays.
Qui sont justement les protagonistes du film ?
À part Nina Meurisse qui incarne Camille, tous les acteurs du film sont des Centrafricains. Une seule personne – l’actrice qui joue Leïla – avait eu quelques rôles dans le passé mais les autres comédiens n’étaient pas professionnels; la plupart d’entre eux travaillaient en tant que chauffeurs de taxi-motos. L’un d’entre eux était même un ancien combattant anti-balaka.
la Centrafrique est encore en proie à de nombreuses tensions et le tournage s’est donc déroulé à Bangui
Comme le pays manque d’acteurs, nous avons lancé un appel d’offres sur différents médias pour les repérer. J’ai une préférence pour le casting « sauvage » car les débutants gardent une certaine spontanéité qui me séduit.
Comment assuriez-vous la sécurité de vos équipes ?
Une équipe de sécurité (policiers et gendarmes), parfois épaulée par la Minsuca, était déployée à chaque tournage. Ce dispositif a permis de faciliter le contact avec les locaux puisque nous allions en amont sur le terrain pour leur expliquer notre démarche. Mais la Centrafrique est encore en proie à de nombreuses tensions et le tournage s’est donc déroulé à Bangui pour des raisons de sécurité et de logistique. Les scènes de brousse étaient, elles, tournées à 20 kilomètres de la capitale.
Comment êtes-vous parvenu à retracer l’itinéraire de Camille dans le détail ?
Dans le film, il y a des scènes de fiction mais la plupart ont été reproduites à l’identique. Les archives des photos auxquelles j’ai pu avoir accès, grâce à la mère de Camille avec qui j’ai travaillé étroitement, ont été un élément crucial pour la reconstitution des faits, le choix des décors, des costumes, et des actions. Nous avons également eu recours à des témoignages de familles, amis et journalistes que Camille a côtoyés lors de ses missions en Centrafrique.
Où en est le procès des assassins de Camille ?
Malheureusement, le temps joue en la défaveur de Camille et le procès n’a pas encore été ouvert. À la suite de sa mort, les enquêteurs français se sont rendu à Bangui et ont pu interroger un certain nombre d’individus, notamment l’un des rescapés de l’embuscade qui a causé la mort de Camille. Mais à cause de la zone estimée trop dangereuse et du manque de moyens en Centrafrique, ils n’ont pas mené d’enquête de proximité qui aurait pu mettre un nom sur les groupes armés responsables de sa mort.
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