Consensus à la gabonaise

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le Gabon est un pays à part. C’est « la Suisse de l’Afrique centrale », avait-on coutume de dire dans les années 1970, au plus fort du rêve pétrolier. Aujourd’hui, la vitrine s’est fissurée. Après une décennie d’austérité et de « déflatage », les Gabonais ont appris à se serrer la ceinture. L’État, qui a été contraint de réduire son train de vie, veut maintenant s’attaquer à la pauvreté et aux injustices sociales, qui n’ont cessé de se creuser depuis quinze ans. Le Gabon n’a plus rien d’un modèle. Pourtant, comparé aux autres pays de la région, il reste, à bien des égards, un îlot de paix et de prospérité relative. Contrairement à ses voisins, qui ont tous connu des épisodes de guerre civile ou, à tout le moins, de sanglantes révoltes, il présente une trajectoire atypique.
Des universitaires, spécialistes en sciences sociales, se sont penchés sur cette « singularité ». Ils l’ont expliquée en avançant une notion, celle de « consensus à la gabonaise », censée imprégner profondément l’imaginaire politique national. Une notion survalorisée, et qui semble constituer un puissant ressort de légitimation. De Léon M’Ba, le premier président du Gabon indépendant, à Omar Bongo Ondimba, on ne compte plus les gouvernements « d’union nationale ». Le fait que la candidature de l’actuel président soit soutenue par une coalition hétéroclite d’une quarantaine de partis, agrégeant autour d’elle nombre de ceux qui, à l’instar d’un Paul Mba Abessole, furent ses farouches adversaires n’étonne plus personne à Libreville.

Bien sûr, l’argent, comme la course aux prébendes et aux honneurs, joue un rôle déterminant dans des ralliements qui, bien souvent, manquent de spontanéité. Et ceux-ci ont d’ailleurs un impact désastreux sur la conscience civique de la population, en accréditant l’idée que tout s’achète et que le militantisme est, par essence, vénal. Pourtant, souligne Flavien Inongoué, politologue et enseignant à la faculté de Libreville, « il serait absurde de vouloir réduire la notion de « consensus à la gabonaise » à de simples jeux de pouvoir et d’argent. Car, on l’a vu notamment pendant les crises les plus aiguës, l’imprégnation de l’imaginaire politique gabonais par cette notion a bien souvent empêché les protagonistes de notre histoire de commettre l’irréparable ». Ainsi, en 1964, lors de la tentative de renversement du président Léon M’Ba (remis en selle quelques jours plus tard grâce à l’armée française) par un coup d’État militaire, les putschistes ont-ils pris soin de préserver la vie du dirigeant déposé. Quand le pays s’est déchiré, après le scrutin présidentiel de 1993, et que le chaos menaçait, les acteurs politiques ont su, dans un sursaut de patriotisme, se retrouver pour aplanir leurs divergences. Ils ont souscrit à la « paix des braves » proposée par l’opposant Pierre-Louis Agondjo Okawe, leader du Parti gabonais du progrès (PGP), ouvrant la porte à la constitution du gouvernement d’union et, dans la foulée, à la signature des accords de Paris d’octobre 1994.

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Tout se passe comme si, consciemment ou non, les acteurs faisaient en sorte que leurs contradictions et la rivalité inhérente à toute compétition pour le pouvoir ne débordent jamais du cadre étroit qui leur est assigné. Afin de ne pas mettre en danger l’unité nationale. « Les déchirements et les phénomènes de radicalisation sont globalement étrangers à notre culture politique, poursuit Flavien Inongoué. Le Gabon est un petit pays, où les gens se connaissent presque tous ; Libreville est un village. Il existe de nombreuses passerelles, familiales ou maçonniques, qui amènent des gens de bords différents à continuer à se parler. Je crois qu’à la racine de tout cela il y a ce que l’écrivain tchèque Milan Kundera a appelé la « conscience d’une petite nation ». Un sentiment que l’on peut observer, par exemple, en Suisse. Ce réflexe consensuel renvoie à la peur de disparaître, d’être avalé par des voisins plus gros ou plus puissants. Les contradictions doivent toujours s’exprimer dans le cadre du consensus. Ceux qui s’en éloignent se disqualifient. Mais cela suppose, de la part des dirigeants, un respect scrupuleux des équilibres régionaux et communautaires. Il s’agit de faire en sorte que personne ne se sente exclu ou définitivement marginalisé. »

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