Cayenne la métissée

En Guyane, la deuxième édition du festival Cinamazonia a attiré un large public. Et confirmé sa vocation interculturelle et conviviale.

Publié le 22 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Cayenne, place des Palmistes. De longues files d’attente se font et se défont. « Dans une ville aux loisirs quasi inexistants, Cinamazonia constitue un sacré bol d’air. Je suis ravie de pouvoir passer mes soirées à visionner des films en avant-première », confie Mariam Koïta, Franco-Malienne, professeur de géographie.
Pourquoi avoir choisi Cayenne pour abriter Cinamazonia, le Festival du cinéma des mondes métissés, dont la deuxième édition a eu lieu du 4 au 9 novembre 2005 ? « Le littoral de la Guyane ne fleurira que grâce à des rencontres de ce genre, où s’exprime toute la richesse culturelle du Sud, déclare Antoine Karam, président du Conseil régional (d’origine libanaise). Car si nous sommes rattachés à la France, une grande partie de notre histoire vient du Sud. » Comme lui, beaucoup font l’éloge du métissage, véritable point d’ancrage de la manifestation.
Sortir les gens de leur ghetto. C’est cette urgence qui a motivé les comédiens Yasmina Ho-You-Fat, France Zobda et Jean-Lou Monthieux, promoteurs de Cinamazonia. Tous métis – d’origine nègre, indienne ou amérindienne -, ils revendiquent une présence plus régulière dans le cinéma français. Un film tous les cinq ans, c’est insignifiant. Et qu’on ne leur oppose plus un défaut de créativité sans même regarder leur travail ! Plus question d’être victime de sa couleur ! « Le regard que posent sur nous les décideurs du cinéma français n’est pas normal », s’indigne France Zobda, la coordinatrice du festival. Cette actrice sait de quoi elle parle. Elle a incarné une fascinante métisse dans Les Caprices d’un fleuve, de Bernard Giraudeau, avant de jouer dans la série policière SOS 18, et dans Léa Parker, un téléfilm de Bruno Gantillon.
« Peu de réalisateurs font appel à nous, si ce n’est pour des seconds rôles. Est-ce parce que nous sommes noirs ? Est-ce du mépris ? Cinamazonia prouve qu’il existe aussi parmi nous des réalisateurs et des comédiens de talent », ajoute la jeune femme.
Cette discrimination dont se disent victimes les créateurs noirs a été au coeur des débats organisés notamment en présence de Perrine Fontaine, directrice de la fiction à France Télévisions et membre du Centre national cinématographique (CNC), chargé de l’attribution des budgets de subvention.
Depuis la première édition de 2002, un fonds spécial a été ouvert aux DOM-TOM. Insuffisant, pour la communauté caribéenne, qui demande à intégrer le CNC, seul moyen de plaider sa cause face à la frilosité des producteurs. « Ils prétextent que le grand public ne se reconnaîtra pas dans ces patois, jargons créoles à donner le tournis… », ironise un réalisateur qui court après les aides. Les Antilles représentent près d’un million d’individus, si l’on s’en tient aux seules Guyane, Martinique et Guadeloupe. « Comme les métropolitains [les Antillais qui vivent dans l’Hexagone, NDLR], ne méritons-nous pas d’avoir des programmes et des films à notre image ? » s’offusque la romancière Marie-Claude Pernelle, responsable culturelle de la ville du Moule, en Guadeloupe.
Ce festival a été l’occasion pour certains de parler de leur métier ; pour d’autres, anciens et jeunes réalisateurs, de travailler ensemble à l’écriture des scénarios, à la mise en scène.
Enfin, et surtout, les cinéphiles ont pu fréquenter les salles obscures. Ils n’ont eu que l’embarras du choix parmi les nombreux films programmés à Cayenne et dans d’autres communes du littoral : Remire-Montjoly, Kourou et Saint-Laurent. Cinamazonia a également rendu hommage à Haïti, où « la négritude s’est mise pour la première fois debout », en décernant le titre d’invité d’honneur à Raoul Peck, le réalisateur de Lumumba… Un adieu fut fait à Cathy Rosier. Disparue en mai 2004, à l’âge de 59 ans, cette actrice martiniquaise avait fait une interprétation magistrale aux côtés d’Alain Delon dans Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville.
Après quelques croisières sur les rivières, une visite de la base de Kourou et le bagne de Saint-Laurent, les festivaliers ont quitté Cayenne, emportant avec eux le souvenir d’une ville hospitalière et métissée.

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