Amir Peretz la divine surprise

Sous la direction de Shimon Pérès, le Parti travailliste s’était fourvoyé dans une alliance contre-nature avec le Likoud…

Publié le 21 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Sur les deux rives du Jourdain, c’est peut-être la meilleure nouvelle depuis plusieurs mois. À l’aube du 10 novembre, par 42,35 % des voix contre 39,96 %, les cent mille militants travaillistes consultés lors de « primaires » ont écarté de la présidence leur dirigeant historique, Shimon Pérès, 82 ans, au profit d’Amir Peretz, 53 ans, chef de la puissante centrale syndicale Histadrout. Un troisième candidat, Benyamin Ben Eliezer, a obtenu 17,5 % des suffrages.
Ainsi, le vieux parti de David Ben Gourion, qui présida à la naissance de l’État juif et gouverna ses premières années, renoue-t-il avec ses racines proprement travaillistes. Il rompt avec un establishment politicien qui l’avait fourvoyé dans une pseudo-union nationale avec son adversaire fondamental, la droite nationaliste du Likoud, dont la campagne de haine ne fut pas pour rien, il y a dix ans, dans l’assassinat du Premier ministre Itzhak Rabin, rallié aux accords de paix d’Oslo avec la direction palestinienne.
Spécialiste du XVIe siècle français (l’époque des « guerres de religion »), aujourd’hui professeur à l’université de Tel-Aviv après avoir été ambassadeur à Paris, l’historien Élie Barnavi a parfaitement identifié les circonstances de ce tournant fatal. Militant du camp de la paix, il se trouvait naturellement, le 4 novembre 1995, sur la place des Rois-d’Israël, avec l’immense foule qui célébrait les promesses d’avenir. Chantant faux, mais avec émotion, Rabin avait entonné L’Hymne à la paix, composé pour l’événement, avant de regagner tranquillement sa voiture.
Général, ministre de la Défense, entré le premier dans Jérusalem en 1967, lors de la guerre des Six Jours, le Premier ministre n’était pas un « pacifiste » professionnel. Au moment de l’Intifada, il avait même conseillé de « briser les os » des jeunes émeutiers. Mais il respectait l’adversaire et s’était convaincu qu’il n’y avait d’avenir pour Israël que dans une coexistence pacifique, sur l’ancien territoire du mandat, avec un véritable État palestinien. Bouleversé par ce qu’il avait pris pour un large soutien populaire, il n’avait pas cru nécessaire de se faire protéger, ce qui en fit une cible facile pour les balles d’un terroriste juif d’extrême droite, Yigal Amir.
Barnavi, qui dînait avec des amis, entendit les coups de feu sans comprendre d’abord ce qui se passait, jusqu’au moment où la télévision annonça le meurtre. Il confesse n’avoir pas pensé que ce tragique épisode puisse enrayer un processus de paix si bien engagé qu’il paraissait irréversible. Il se trompait, constate-t-il aujourd’hui, tout en reconnaissant que les fanatiques du Likoud avaient « bien joué » : en frappant la tête, ils avaient paralysé le corps.
Ce tournant a été accompagné dernièrement par l’apparent revirement opéré par le Premier ministre likoudnik Ariel Sharon. En décidant unilatéralement d’évacuer la bande de Gaza – battant sur ce point son grand rival Benyamin Netanyahou -, celui-ci a créé un choc dont la portée ne doit pas être sous-estimée. Quelles que soient les arrière-pensées qui la grèvent, l’initiative a son poids et ne restera pas sans conséquences. Après tout, Sharon fut le champion de la multiplication des implantations juives dans la bande de Gaza. Parlant du principal port du territoire, il s’aventura même, un jour, à proclamer : « Netzarim, c’est Tel-Aviv ! » Aujourd’hui, Netzarim est évacué, mais Tel-Aviv…
En vérité, la liquidation des colonies juives qui paralysaient l’existence des Palestiniens de Gaza aurait pu constituer une véritable novation dans la politique israélienne si elle avait été accompagnée d’une relance du processus dans le style d’un Itzhak Rabin. Tout au contraire, elle a été marquée par un durcissement sans précédent depuis 1967. Les colonies abusivement construites en Cisjordanie ont été développées et renforcées au point de rendre pratiquement impossible la formation d’un authentique État palestinien, d’ores et déjà scindé en trois fractions. À Jérusalem-Est, non moins illégalement, de nouvelles autorisations de construire ne cessent d’être accordées pour interdire à une future Palestine d’y installer sa capitale. Et le « mur de la honte », comme on appelait jadis celui de Berlin, coupe les villages palestiniens de leurs ressources agricoles.
Il n’est pas jusqu’à la bande de Gaza elle-même où Sharon ne crée des embarras touchant les points de passage avec Israël et l’Égypte. En visite sur place, Condoleezza Rice, la secrétaire d’État américaine, s’est montrée incapable d’obtenir des garanties sur l’arrêt des colonisations illégales en Cisjordanie ou sur une participation du Hamas aux élections. Elle a dû se contenter d’arracher laborieusement un accord sur le point de passage de Rafah (à la frontière égyptienne) pour ne pas repartir les mains vides.
Rien ne saurait mieux illustrer, dans ces conditions, le triste crépuscule de Shimon Pérès, Prix Nobel de la paix en 1994, que l’idée qu’on lui prête : former avec Sharon un nouveau « parti centriste » débarrassé d’un côté des durs du Likoud – et, au premier chef, de Netanyahou -, et, de l’autre, des irréductibles du « Labour », regroupés autour de Peretz.
La tâche de celui-ci n’en sera pas facilitée pour autant. Souhaitant retirer les ministres travaillistes du cabinet de coalition – notamment le vice-Premier ministre Shimon Pérès et le ministre des Infrastructures Benyamin Ben Eliezer -, il aura quelque mal à les convaincre et rencontrera des résistances au sein du reste de l’establishment du « Labour ». L’objectif, dès lors, est de provoquer des élections législatives anticipées « le plus rapidement possible », c’est-à-dire en février ou mars 2006.
Peretz a été conforté dans cette voie par le succès des cérémonies organisées pour commémorer le dixième anniversaire de l’assassinat de Rabin. À Tel-Aviv, sur cette place des Rois-d’Israël rebaptisée place Rabin, il s’est vu acclamé sous les yeux de Bill et Hillary Clinton, par plus de deux cent mille personnes, soit le double de la foule attendue. Proclamant son « attachement à la paix », il s’est présenté comme l’héritier spirituel de Rabin, en affirmant que les accords d’Oslo n’étaient pas « morts » et ne pouvaient être remplacés par la « feuille de route » difficilement élaborée par les médiateurs internationaux.
Comme un nouveau défi aux fanatiques de type Yigal Amir, c’est la chemise ouverte et sans gardes du corps que le nouveau président travailliste est descendu parmi les manifestants qui se pressaient pour lui serrer la main. « Sois notre deuxième Rabin », s’est exclamé, pour sa part, Chlomo Artzi, le chanteur le plus populaire d’Israël, auteur dans le quotidien Yediot Aharonot d’un éditorial où il s’écrie : « Merci, Amir [Peretz], il existe encore un espoir de paix dans ce pays. »
Pour sa part, Yossi Sarid, fondateur du petit parti progressiste Meretz, n’hésite pas à envisager la fusion de son organisation avec celle de Peretz. Selon les sondages, une telle liste d’union mordrait sur l’électorat de tous les partis, y compris le Likoud et même l’ultraorthodoxe Shass, de même que sur les petites listes arabes.
Avec Amir Peretz, le Parti travailliste a commencé de se réveiller. Qu’il ne se rendorme pas !

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