Quand la paix se heurte à la justice
Le 4 juillet a été un grand jour pour la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, a été conduit devant ses juges. Avec son costume gris et sa cravate rouge, Jean-Pierre Bemba ressemble à un homme d’État tout à fait respectable. Mais le président du Mouvement de libération du Congo (MLC) est poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine en 2002 et 2003.
Les avocats de La Haye ont enfin une nouvelle chance de prouver l’efficacité de l’instance internationale. Car, dix ans après sa création, la CPI fait l’objet de nombreuses critiques. Son travail est jugé contre-productif, politisé et mené de manière incompétente. Le rêve d’une justice internationale universelle est en train de virer au cauchemar.
En théorie, cette juridiction a deux missions principales : rendre justice aux victimes et prévenir de nouvelles atrocités. Mais il est évident aujourd’hui que son action peut desservir la paix : au Zimbabwe et dans bien d’autres cas, la menace qui plane au-dessus des dirigeants les incite à se maintenir coûte que coûte au pouvoir.
Prenons par exemple le procès de Charles Taylor en cours à La Haye. Lorsque l’ancien dictateur du Liberia a quitté le pouvoir, il s’est réfugié au Nigeria, pensant être protégé par un accord lui garantissant l’amnistie. Mais le gouvernement nigérian l’a finalement extradé vers les Pays-Bas, pour qu’il soit jugé pour les crimes commis lors de la guerre en Sierra Leone.
On serait tenté de saluer une telle décision, surtout lorsqu’il s’agit de crimes aussi atroces que ceux perpétrés par Taylor en Sierra Leone. Mais la menace de la CPI peut compliquer les efforts de paix sur d’autres théâtres de conflits en Afrique. Un membre du gouvernement soudanais et le leader d’un groupe rebelle sont déjà sous mandat d’arrêt pour leurs exactions commises au Darfour. Le président Omar Hassan el-Béchir devrait également être inculpé. Une immense victoire pour les Darfouris, mais un obstacle supplémentaire pour mettre fin au conflit. Julie Flint et Alex de Waal, qui ont écrit un ouvrage sur le Darfour, expliquent qu’inculper maintenant le président soudanais représente « un pari dangereux sur le futur du pays ».
De même, la seule solution pour mettre un terme à l’agonie du Zimbabwe serait de persuader Robert Mugabe de s’exiler sous promesse d’amnistie. Mais ce dernier est trop bien informé du cas de Charles Taylor pour prendre un tel risque.
En Afrique, on considère que le continent sert de laboratoire au système judiciaire international. Quatre procès sont en cours à La Haye : les quatre mettent en cause des Africains. Même si la justice est censée être impartiale, il n’y aura jamais de procès contre la Russie pour les crimes commis en Tchétchénie. Et, malgré les appréhensions des conservateurs américains qui ont rejeté la CPI par crainte d’être traduits en justice, il est peu probable que des ressortissants des États-Unis soient un jour inquiétés.
La CPI n’est pas réputée non plus pour sa compétence : dix ans après sa mise en place, aucun procès tenu à La Haye n’a abouti – les criminels de guerre en Yougoslavie et au Rwanda ont été jugés par des tribunaux spéciaux. Quant au procès du chef de guerre congolais Thomas Lubanga, le premier de la CPI, il est aujourd’hui remis en question : les avocats de la défense ont accusé le procureur de ne pas fournir toutes les pièces de l’instruction, et les audiences ont été suspendues le 13 juin.
Doit-on accepter l’idée que la justice internationale est une noble cause vouée à l’échec ? Ce serait aller vite en besogne. Rendre la justice, punir les coupables de crimes de guerre sont des objectifs louables. Mais la CPI doit adopter une démarche politiquement appropriée si elle veut assurer son avenir.
Jusqu’à présent, une inculpation lancée par La Haye est irréversible – tout juste peut-elle être suspendue par le Conseil de sécurité. Cette règle rend impossible toute négociation politique. Bien sûr, garantir l’amnistie aux dictateurs ou aux criminels est une affaire douloureuse. Mais à choisir entre la paix et la justice, le droit des morts et celui des vivants, la priorité devrait aller à la paix et aux vivants.
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