Le prix de la démocratie
Le pays vient d’assister à la nomination d’un troisième gouvernement en seize mois. Dérive institutionnelle pernicieuse ou vertu de l’État de droit ? La population s’interroge…
Formé le 11 mai dernier, le premier gouvernement de Yahya Ould Ahmed el-Waghf n’aura pas fait de vieux os. Le 3 juillet, deux mois à peine après sa nomination, l’ancien secrétaire général de la présidence a présenté sa démission au chef de l’État Sidi Ould Cheikh Abdallahi. À l’origine de ce vrai-faux départ – el-Waghf a aussitôt été reconduit dans ses fonctions et chargé de former une nouvelle équipe gouvernementale -, la fronde menée par une quarantaine de députés de la majorité, dont la plupart appartiennent au Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD, parti présidentiel). Et la menace d’une motion de censure, déposée le 30 juin – une première dans le pays. Parmi les principaux griefs exprimés par les parlementaires, la présence au sein du gouvernement de caciques du régime Ould Taya [déchu le 3 août 2005, NDLR] ou celle de deux partis qui étaient jusqu’ici dans l’opposition (l’Union des forces de progrès et le Rassemblement pour la réforme et le développement).
Le 15 juillet vers 22 heures, Yahya el-Waghf a donc, après moult consultations et un défilé incessant de personnalités politiques à la primature, dévoilé les contours de sa deuxième équipe. Exit les ministres mis à l’index, anciens membres du pouvoir d’Ould Taya ou membres de l’opposition. Place à un gouvernement de compromis, uniquement composé de partis de la majorité présidentielle représentée au Parlement. Et bienvenue aux douze « nouvelles têtes ».
Au lendemain de son élection en mars 2007, lors du premier scrutin libre et transparent de l’histoire du pays, Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait souhaité installer un gouvernement de technocrates, compétents et peu enclins aux chicaneries politiciennes, dirigé par le troisième homme de la présidentielle, Zeine Ould Zeidane. Un an après, il a dû mettre fin à l’expérience. Confronté à la dégradation de l’image du pays à la suite d’attaques terroristes répétées et à l’annulation du Paris-Dakar, doté d’une marge de manoeuvre réduite en raison d’une conjoncture économique difficile (dramatique hausse du prix des produits de première nécessité et du cours du brut, conjuguée à la chute de la production pétrolière nationale), le premier gouvernement de l’ère « Sidi » a été sacrifié pour recréer une dynamique et répondre à l’exaspération d’une population exsangue, impatiente de constater de véritables changements dans sa vie quotidienne. « La démocratie, c’est bien, mais cela ne se mange pas », explique un membre du Rassemblement des forces démocratiques (RFD d’Ahmed Ould Daddah, principal parti d’opposition). La deuxième équipe se voulait plus politique et rassembleuse. Mais l’expérience a, une nouvelle fois, fait long feu.
« C’est une leçon de démocratie, précise un conseiller du chef de l’État. Le président a répondu aux attentes exprimées par ceux qui l’ont soutenu et qui le soutiennent encore. » Il a surtout dû faire face à un chantage mené par les membres de sa majorité et a peut-être ouvert la boîte de Pandore. Qu’est-ce qui, à l’avenir, empêchera une nouvelle épreuve de force lancée par de nouveaux mécontents ou par d’autres « opportunistes de carrière », soucieux d’obtenir un maroquin et les avantages inhérents à la fonction ? « C’est le coût de la démocratie, répond un autre de ses collaborateurs. Et la démocratie n’a pas de prix.»
Une première équipe technocrate, une deuxième politique, une troisième ni l’une ni l’autre : la valse des ministres continue. La Mauritanie tâtonne et poursuit son apprentissage du système démocratique. Avec ses avantages et ses inconvénients. Mais après l’euphorie des premiers temps, les Mauritaniens ont aujourd’hui tendance à ne plus en voir que les inconvénients. Il faut dire que leur classe politique ne fait pas grand-chose pour les inciter à l’optimisme.
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