Bolloré voit l’Afrique en bleu
Le groupe français Bolloré veut décliner en Afrique toute une palette de services basés sur le stockage de l’électricité. Des projets qui ont pour noms Bluebus, Bluezone, Bluehouse…
Chaque début de semaine, c’est un rituel. Depuis le siège de son groupe, à Puteaux, en banlieue parisienne, Vincent Bolloré réunit les principaux responsables du dernier pôle créé par le leader de la logistique terrestre en Afrique : les solutions énergétiques. Parmi les participants, les quelques managers établis sur le continent et qui veillent sur les premiers pas en Afrique de l’Ouest de Blue Solutions, filiale du groupe spécialisée dans les batteries électriques. « C’est la passion de Vincent Bolloré, son grand pari industriel », explique un observateur.
Selon le cabinet BCG, le marché mondial du stockage électrique dépassera 10 milliards d’euros par an en 2020.
Bras droit du patron français, Ange Mancini confirme : « Vincent Bolloré a pensé dès 1991 à la question du stockage de l’électricité. » Le groupe familial centenaire, né dans la production de papier, voyait alors dans cette activité la suite logique de son métier de fabricant de films fins et de condensateurs.
Deux décennies plus tard, alors que ses voitures électriques en libre-service ont convaincu les municipalités de grandes villes comme Paris ou Indianapolis, le groupe se rêve en acteur de l’énergie sur le continent africain. « Blue Solutions a des ambitions mondiales, souligne Ange Mancini, et l’Afrique est un continent d’avenir. »
Robustesse
Il est néanmoins peu probable que Lagos ou Abidjan voient fleurir des Bluecar (voitures électriques) ou se déployer des Bluetram (tramways électriques) fabriqués par Bolloré. Au sud du Sahara, où 500 millions de personnes n’ont aucun accès à l’électricité, le groupe français mise plutôt sur l’émergence de solutions de production électrique décentralisée, parfois plus simples à mettre en oeuvre que de vastes réseaux.
« Il y a un grand mouvement, à la fois des industriels et des États, vers les énergies décentralisées : l’hydraulique, le solaire, l’éolien et la biomasse », note Fabrice Le Saché, PDG d’Ecosur Afrique, un courtier en crédits carbone qui conseille également des institutions dans leurs projets énergétiques.
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Dans ce domaine, Bolloré n’est pas le seul acteur à nourrir des ambitions, mais il dispose de ce qu’il estime être son atout maître : des batteries robustes (les mêmes que celles utilisées dans les Bluecar) capables de stocker l’énergie et donc d’apporter dans les zones les plus reculées la solution au problème de l’intermittence de la production des énergies renouvelables.
Offensive
Depuis octobre 2013, en association avec Bolloré Africa Logistics, dont les équipes locales portent désormais aussi les solutions énergétiques du groupe, Bolloré pose les premiers jalons de cette nouvelle offensive : des minibus (les Bluebus) sur les campus d’Abidjan et de Yaoundé, puis une première zone entièrement autonome en énergie (Bluezone) à Lomé et, en juin, une seconde à Kaloum, la presqu’île de Conakry. Deux autres ont été annoncées, à Cotonou et Niamey.
L’objectif de ces installations réalisées – gratuitement – en partenariat avec Sunpower (filiale de Total qui fournit les panneaux solaires) est clair : « Montrer notre capacité en stockage d’énergie », insiste Ange Mancini. Un showroom grandeur nature, en quelque sorte, fait pour marquer les esprits mais aussi pour tester les usages : e-learning, eau purifiée, activités sportives, plateformes multifonctionnelles…
« La Bluezone de Conakry nous a coûté entre 500 000 et 1 million d’euros, souligne le conseiller de Vincent Bolloré. Le long de la ligne de chemin de fer entre Conakry et Kagbelen, qui va être rénovée, nous comptons en implanter six autres [voir carte en fin d’article]. Et sur la boucle ferroviaire ouest-africaine, nous pourrions installer une Bluezone tous les cinq à dix kilomètres, chacune faisant entre deux et quatre hectares. »
En test en France, la Bluehouse, une maison autonome en énergie, devrait également trouver sa place en Afrique dès 2015. La possibilité d’un premier test au Malawi est évoquée. Une commercialisation de ces maisons « électrifiées » sur le continent pourrait ouvrir un vaste champ d’application dans les zones rurales : des maisons privées, des dispensaires, des salles de classe, des campements isolés pour miniers…
Aléas
Reste à préciser le modèle économique. « C’est tout de même le principal problème de tous ces projets énergétiques décentralisés. Qui paiera ? Qui financera ? » se demande Fabrice Le Saché, qui observe que les projets dans le domaine des énergies renouvelables sont beaucoup plus nombreux à être annoncés qu’à être réalisés en Afrique subsaharienne.
Sur le financement, le groupe Bolloré n’a guère d’inquiétudes, rappelant qu’il a investi 2 milliards d’euros depuis 1991 dans le développement de ses batteries. « Nous ne nous posons pas encore la question des clients, admet Ange Mancini. On verra. Cela pourra être des États, des groupes miniers ou des bailleurs de fonds. » Par ailleurs, des partenariats avec des groupes spécialisés (dans l’eau ou la santé, par exemple) sont envisagés.
Qui paiera ? Qui financera ? C’est le principal problème de tous ces projets énergétiques décentralisés.
La capacité de stockage des batteries, pour l’instant de 180 kWh, limite encore le champ des possibles, mais pourrait tout à fait satisfaire les besoins de groupements d’artisans ou de commerçants, voire de PME : le cabinet américain McKinsey estime qu’entre 35 % et 55 % des entreprises en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud possèdent des générateurs au diesel, une solution coûteuse et soumise aux aléas des approvisionnements. « Nous travaillons sur une capacité de 1 MWh, utilisable pour tout un quartier », révèle Ange Mancini.
L’explosion annoncée du marché mondial du stockage électrique, qui dépassera les 10 milliards d’euros par an à partir de 2020 selon Boston Consulting Group, est dans tous les esprits. Y compris, bien sûr, dans celui de Vincent Bolloré.
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