La guerre n’est pas fatale

Publié le 21 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

En Israël et aux États-Unis, d’indécrottables faucons ne cessent d’évoquer l’éventualité – voire le caractère inévitable – de frappes pour détruire les installations nucléaires iraniennes. En outre, si l’on en croit Seymour M. Hersh, dans le New Yorker daté du 7 juillet, les forces spéciales américaines mènent déjà de vastes opérations clandestines sur le territoire iranien en utilisant minorités ethniques et groupes dissidents pour contrer les ambitions nucléaires de la République islamique et tenter de renverser le régime du président Ahmadinejad.
À ce jour, ces menaces grossières comme ces missions secrètes n’ont eu, à l’instar des initiatives diplomatiques des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, aucun impact perceptible sur le programme iranien d’enrichissement de l’uranium. Tout porte en effet à croire que l’Iran refusera les aides, notamment économiques, que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie, la Chine et l’Allemagne lui ont proposées en échange d’un arrêt de ces activités. Le problème ? Ces aides ne correspondent nullement aux besoins de l’Iran.
Téhéran pourrait accepter un « gel bilatéral » temporaire, comme l’a proposé le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Javier Solana. À savoir la suspension pendant six mois de l’enrichissement en échange d’une levée des sanctions de même durée. Cette procédure permettrait l’organisation de « pourparlers en vue de négociations futures ». Ce qui n’a rien à voir avec un arrêt définitif.
Ajoutons qu’en dépit de leurs menaces répétées, il est fort peu probable que les États-Unis et/ou Israël s’en prennent à l’Iran. Les conséquences d’une telle attaque – sur l’approvisionnement et les prix du pétrole, sur l’économie des pays arabes du Golfe, sur la sécurité des troupes et des bases américaines dans la région, sur le développement du terrorisme et même sur la survie, à terme, de l’État d’Israël – sont carrément dissuasives. Bref, en dépit de toute cette rhétorique guerrière qu’il nous est donné d’entendre, tout le monde sait bien qu’une guerre contre l’Iran serait pure folie.
Quelle autre solution pour résoudre la crise peut-on suggérer, sinon au président George W. Bush, du moins à son successeur ? Il semble que pour convaincre Téhéran de suspendre son programme d’enrichissement il faille lui proposer des aides d’une tout autre nature que celles actuellement offertes. La solution avancée ci-dessous se fonde sur la conviction que la plupart des conflits du Moyen-Orient sont inextricablement liés et ne peuvent être résolus séparément. Les ambitions nucléaires de l’Iran, par exemple, ne peuvent être dissociées de la présence militaire américaine à ses frontières, ni de l’interminable conflit israélo-palestinien, ni de ses relations parfois tendues avec les États sunnites du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite.
Un accord global prenant en compte ces tensions et conflits aurait davantage de chances de réussir que toutes les tentatives faites jusqu’ici. Israël, par exemple, souhaite que l’Iran ne puisse jamais acquérir l’arme nucléaire – un objectif que partagent les États-Unis et la majeure partie de la communauté internationale. Qu’on y adhère ou non, l’opinion communément admise est que si l’Iran était doté de l’arme nucléaire, l’ordre international en serait profondément déstabilisé. Cela ouvrirait la voie à une inquiétante prolifération nucléaire, au point que même des organisations terroristes seraient susceptibles de se procurer des armes de destruction massive. Certains Israéliens vont jusqu’à prétendre qu’une bombe iranienne représenterait une « menace pour l’existence de leur pays », même si l’État hébreu possède un arsenal nucléaire estimé à plus de 200 ogives équipées des systèmes aériens et terrestres permettant de les lancer.
Ces affirmations israéliennes sont, à l’évidence, partiales et exagérées. Pourtant, il est clair que si l’Iran acquérait l’arme atomique, il deviendrait un formidable rival pour Israël et les États-Unis. Leur marge de manÂÂÂuvre dans la région serait largement réduite et leur hégémonie contestée.
La question centrale est donc la suivante : quel prix diplomatique l’Amérique et Israël sont-ils prêts à payer pour convaincre l’Iran d’abandonner ses ambitions nucléaires ? Les États-Unis peuvent-ils, par exemple, accepter de retirer leurs forces d’Irak, voire de fermer leurs bases dans le Golfe ? Peuvent-ils revenir à une présence militaire moins visible et moins provocatrice ? Israël, pour sa part, peut-il se résoudre à la création d’un État palestinien indépendant et viable en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale ?
Barack Obama, le candidat démocrate à la Maison Blanche, a promis de mettre fin à la guerre en Irak et de retirer les troupes américaines. Ce serait une sage décision dont les États-Unis ne tarderaient pas à récolter les fruits.
De même, les amis d’Israël – parmi lesquels le président français Nicolas Sarkozy – considèrent que la création d’un État palestinien serait positive pour l’État hébreu et représenterait la meilleure garantie de sa ?sécurité.
Si cette analyse est juste, un retrait américain et un feu vert israélien en faveur d’un État palestinien ne seraient pas cher payer l’interruption du programme iranien d’enrichissement de l’uranium.
On oublie souvent que l’Iran, au temps du Shah, était un allié d’Israël et que les livraisons secrètes d’armes israéliennes pendant les huit ans de la guerre contre l’Irak (1980-1988) ont permis à la République islamique de résister aux assauts de l’armée de Saddam. Les diatribes anti-israéliennes d’Ahmadinejad sont surtout dictées par le sentiment d’humiliation, largement répandu dans le monde musulman, provoqué par le sort fait aux Palestiniens. Si, au lieu d’écraser ces derniers, Israël les aidait à atteindre leurs objectifs nationaux, ses relations avec l’Iran en seraient profondément modifiées. Et, qui sait, une nouvelle amitié pourrait même voir le jour.
Reste la question des relations entre les pays du Golfe et l’Iran. Ce dernier a peur d’être attaqué depuis les bases américaines, tandis que les monarchies arabes redoutent qu’il ne mobilise contre elles leurs minorités chiites. Ces craintes mutuelles pourraient être apaisées par un pacte de sécurité liant l’Iran et les membres du Conseil de coopération du Golfe. Les États du Golfe s’engageraient ainsi à interdire l’utilisation de leur territoire pour des opérations militaires tandis que l’Iran promettrait de ne pas encourager les communautés chiites à se dresser contre leurs gouvernants sunnites.
Il est tentant de spéculer sur la manière dont Téhéran réagirait si, au lieu de lui offrir des pièces détachées d’avions, la fin des sanctions frappant ses banques ou d’incertaines récompenses diplomatiques, on lui promettait un retrait militaire américain, la création d’un État palestinien et un pacte de sécurité avec les pays du Golfe.
Que se passerait-il si le prochain président américain faisait de l’adoption d’un plan de cette sorte la priorité de sa politique étrangère ? Sous de tels auspices, il est peu probable que l’Iran ressente encore la nécessité de se procurer l’arme atomique. La menace d’une guerre dévastatrice serait transformée en équation gagnant-gagnant. Seuls les incurables va-t-en-guerre – à Tel-Aviv, Washington et Téhéran – auraient à y perdre.

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