Kabila à Paris : l’ombre chinoise
Au menu d’une visite écourtée par la faute d’un certain Mouammar Kadhafi : le fameux contrat conclu entre Pékin et Kinshasa, que l’Élysée a bien du mal à avaler.
Les Congolais de France l’ont attendu en vain à l’ambassade de RD Congo à Paris. Et les journalistes, à qui il avait donné rendez-vous dans un salon de l’hôtel Ritz, place Vendôme, pour une conférence de presse, aussi. En visite officielle en France du 15 au 17 juillet, Joseph Kabila n’a pas cherché à exploiter médiatiquement sa première rencontre officielle avec Nicolas Sarkozy. À l’évidence, il avait d’autres soucis en tête.
En froid avec le gouvernement belge, critiqué par les bailleurs de fonds depuis la signature des fameux « contrats chinois », Kabila avait pourtant l’occasion de sortir de son relatif isolement. Il n’en a rien été. À cause, entre autres raisons, de Mouammar Kadhafi.
Le « Guide » libyen a en effet profité d’une escale « refueling » de l’avion présidentiel congolais à Tripoli pour inviter avec insistance la délégation, forte d’une quarantaine de personnes, à passer la nuit en terre libyenne. Kabila a donc dû avancer de quatre heures son départ de Paris, afin d’assister à un dîner donné en son honneur par Ali Abdessalam Treiki, le ministre libyen de l’Unité africaine. En froid avec Paris sur la question de l’Union pour la Méditerranée (UPM), Kadhafi, chantre de l’unité – et bailleur de fonds – du continent, a manifestement tenu à briefer son jeune collègue de passage. Peut-être savait-il que, quelques jours plutôt, à son arrivée à Paris, celui-ci avait été accueilli par Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État aux Anciens Combattants et grand pourfendeur de la Françafrique. Tout un symbole !
Pas de coup de pouce
Flanqué de quatre ministres, Olivier Kamitatu (Plan), Antipas Mbusa Nyamwisi (Affaires étrangères), Athanase Matenda Kyelu (Finances), Masuga Ruganika (Enseignement supérieur), Kabila a néanmoins demandé l’aide de Nicolas Sarkozy pour obtenir du Fonds monétaire international (FMI) l’allègement de la dette de son pays. Celui-ci se rapproche du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), ce qui pourrait lui permettre de bénéficier d’une remise de plus de 9 milliards de dollars, sur un total évalué à 11 milliards. « On ne peut solliciter de nouveaux prêts sans tenir compte de la nécessité de se désendetter par ailleurs », lui aurait répondu le chef de l’État français.
Manifestement, à Paris comme à Bruxelles ou au G8, l’affaire des contrats chinois ne passe pas. On sait que le gouvernement congolais s’est engagé à céder aux Chinois 10 millions de tonnes de cuivre et 600 000 tonnes de cobalt en échange d’un prêt de 10 milliards de dollars (versé en trois tranches) destiné notamment au financement de diverses infrastructures. Outre la sous-évaluation de ces colossales quantités de minerais, c’est le réendettement du pays que la communauté financière internationale a du mal à digérer. Sans parler, bien sûr, de la « concurrence déloyale » que les Chinois font aux Occidentaux dans le secteur minier en Afrique. Et Sarkozy, dont le style tranche avec celui de son prédécesseur à l’Élysée, l’a fait savoir à Kabila. Sans ménagements excessifs.
Si Jacques Chirac, à qui le Congolais avait réservé sa première visite à l’étranger, en janvier 2001, lui vouait une affection quasi paternelle, il en va tout autrement avec son successeur. Ce dernier a déjà annulé deux étapes à Kinshasa lors de ses tournées africaines. Une rencontre entre les deux hommes était prévue en marge du sommet Union européenne-Afrique de Lisbonne, en décembre 2007, mais Kabila a finalement renoncé à se rendre au Portugal. Avant l’entrevue du 16 juillet à l’Élysée, qui n’a duré qu’une demi-heure, ils ne s’étaient entretenus qu’une seule fois – et encore, furtivement -, l’année dernière, en marge de la 62e Assemblée générale de l’ONU.
Pragmatisme
À l’avenir, la relation Kabila-Sarkozy devrait donc être beaucoup moins affective et beaucoup plus pragmatique que la relation Kabila-Chirac. Face à la concurrence américaine, belge et, surtout, chinoise, la France entend renforcer sa présence dans « ce grand pays en reconstruction » qu’est la RD Congo. Jusqu’ici, force est de reconnaître qu’elle s’est montrée plutôt discrète. En 2007, elle s’est engagée à financer plusieurs projets dans les secteurs de la santé et de l’éducation (200 millions d’euros sur cinq ans) et a contribué au financement de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc). Une goutte d’eau dans l’océan des besoins congolaisÂ
Les entreprises françaises ne se bousculent pas non plus au portillon, même si une quinzaine de patrons membres du Medef ont été reçus par le président congolais pour parler investissements. En revanche, l’entretien accordé par ce même Kabila à Anne Lauvergeon, le PDG d’Areva, n’est pas passé inaperçu. Si, globalement, l’intérêt de la France pour le secteur minier congolais a tendance à se relâcher, tel n’est pas le cas du groupe nucléaire français. Et pour cause : il est le seul opérateur du secteur. Areva a même décidé de faire du secteur minier l’un des axes stratégiques de son développement et entend doubler sa production d’uranium d’ici à 2012 pour profiter d’une demande mondiale en pleine expansion.
Reste à savoir si les liens entre Kabila, admirateur déclaré de la Chine, et Sarkozy, dont le style pour le moins direct est parfois déconcertant, vont se trouver renforcés par leur dernière rencontre parisienne. A priori, cela n’a rien d’évident.
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